La crise du Lévothyrox®.  Démarche scientifique de L’Association Française des Malades de la Thyroîde. 2017-2024.

Résumé. Assemblée Générale de l’ AFMT du 21/09/2024

En mars 2017, le Lévothyrox® des laboratoires Merck KGaA est en monopole de fait. En volume, c’est le troisième médicament prescrit en France. Trois millions de personnes ne peuvent s’en passer pour des raisons vitales.

Son principe actif, la lévothyroxine, le range dans la liste des médicaments essentiels de l’Organisation Mondiale de la Santé. L’organisme y est très sensible. Il réagit à quelques microgrammes. La marge thérapeutique est dite étroite (ou critique).

C’est alors que l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) impose aux français la 1ère mise sur le marché au monde d’une nouvelle formule (NF) sans essai clinique préalable, du jour au lendemain, sans échappatoire et sans retour en arrière possible. Les pharmaciens doivent la substituer obligatoirement à l’ancienne formule (AF). Dans les faits, l’ANSM, d’un simple trait de plume, vient de créer une situation quasi expérimentale.

Du bénéfice au risque

Deux améliorations pour justifier et rassurer : meilleure stabilité de son principe actif dont le dosage est resserré à +/- 5%, remplacement du lactose, excipient à effet notoire, par du mannitol. Donc un progrèspar rapport à l’ancienne formule (AF) dont la tolérance est, pourtant, remarquable : 0,075 évènement indésirable/100 000 mois de traitement…

Derrière cet affichage quels fondements ? Un resserrement du dosage fondé sur une hypothèse exprimée au conditionnel, le 27 mars 2012 après l’échec de deux génériques du Lévothyrox. Une modification de la formule à l’initiative du laboratoire. Et, administrativement, une simple « variation » et non une nouvelle autorisation de mise sur le marché (AMM).

Quels progrès pour les malades ? « Aucun changement lié à la modification de formule n’est attendu pour les patients en termes d’efficacité ou de tolérance du médicament » dit la fiche destinée aux médecins. Pas d’amélioration du service médical rendu dit la Haute Autorité de Santé.

Quels risques ? Pour les médicaments à base de lévothyroxine, et dans des conditions voisines, le passé regorge de questions sans réponse claire sur les effets indésirables observés après un simple changement d’usine de fabrication (Nouvelle Zélande 2007) ou d’excipients (Danemark 2009, France 2009-2010 avec le même excipient que la NF, Israël 2011). Ou sur la prévision des conséquences, à l’intérieur même du comprimé, d’un simple changement de procédé de fabrication (Belgique 2015). La situation est donc propice à la Recherche médicale.

Une catastrophe pour des dizaines de milliers de malades

Très vite, des milliers de malades sont en détresse. L’AFMT débordée d’appels lance l’alerte.

L’ANSM d’abord confiante, doit prendre acte de la réalité. Pour qui se réfère au règlement européen CE/1234/200, ce changement d’excipient n’était pas si banal : il se rapporte à une « modification majeure de type II ». Le ministère décide en urgence d’importer des médicaments concurrents. Au bout d’un an, sur prescription médicale, 20 à 30% des malades ont abandonné la NF. Le Comité technique de pharmacovigilance recense des évènements indésirables en « nombre jamais vu » : 31 411 le 17/04/2018.

Rassurer à tout prix

Entre temps, le discours public dominant veut rassurer, quitte à effacer la souffrance des malades : « La crise du Levothyrox® enfin résolue » titre le rapport de la mission flash de L’Assemblée Nationale (31/10/2017).On peut y découvrir :« il n’y a pas de crise sanitaire, mais une crise médiatique » ; défaut de communication; effet « nocebo » ;phénomènes sociologiques liés aux médias et aux réseaux sociaux ; excipients, bonbons et chewing-gum amalgamés en argument… pharmacologique. Le tout asséné en vérités incontournables.

L’AFMT réfute l’étude de bioéquivalence

Dès la commission de suivi de Septembre 2017, à la Direction Générale de la Santé (DGS), le conseiller scientifique de l’AFMT affirme: « La Recherche en Thyroîdologie devrait s’engouffrer dans l’analyse des faits observés dans cette situation quasi expérimentale »

Le 16 octobre, il est seul à critiquer une synthèse de l’étude de bioéquivalence sur les moyennes qui a autorisé la substitution NF/AF : « un tel travail n’aurait jamais été accepté dans une revue clinique à comité de lecture ». Il n’est pas la « garantie d’une efficacité et d’une sécurité identiques à celle de l’ancienne formule » Les coefficients de variation sont trop élevés compte tenu de l’effectif pléthorique (5 à 10 fois plus qu’habituellement) et des paramètres testés. L’AF et la NF n’étaient donc pas interchangeables pour nombre de patients. Une étude clinique préalable aurait dû être conduite avant de donner l’AMM. Pour l’ANSM la procédure est conforme à la réglementation… La réplique fuse« quand une réglementation est inadaptée on doit la changer »

L’AFMT se mobilise pour déclencher des travaux de Recherche

Un va-et-vient minutieux entre la chimie analytique du comprimé et les données cliniques est nécessaire. Mais les sociétés savantes ne l’envisagent pas. Quant au ministère de la Santé, il choisit de regarder ailleurs : il crée une mission sur la communication…

Aussi, dans l’espoir de susciter l’intérêt des chercheurs, l’AFMT fait-t-elle engager, sur ses propres moyens, des analyses en Italie et en Amérique : nanoparticules, impuretés élémentaires, pureté énantiomérique… L’ANSM suit, critique, parle ou épouse le terme d’artéfacts (sans les caractériser), mais n’innove guère. Alors, l’AFMT lance un appel national auprès de ses adhérents. Elle leur demande de lui confier les boîtes de médicaments à base de thyroxine inutilisées et conservées dans des conditions convenables. Des échantillons pourront ainsi être confiés à des laboratoires de Recherche.

Confirmations scientifiques de haut niveau.

Rejet de l’étude de bioéquivalence. Le 4 avril 2019, Concordet, Toutain et collaborateurs démontrent dans Clinical Pharmacokinetics, une variabilité telle que plus de la moitié des résultats individuels (en rouge) sont hors des limites. Le 21 août, ils dénoncent l’effectif pléthorique de plus de 200 participants.

Ils valident ainsi les critiques affichées en séance dès octobre 2017 par l’AFMT. L’AF et la NF ne sont pas substituables l’une à l’autre. Les résultats confirment l’origine et la réalité des problèmes d’hyper et d’hypothyroïdie au changement de formule…

Impuretés par interactions chimiques.

En septembre 2024, dans Journal of Pharmaceutical Analysis, une équipe internationale franco-tchèque découvre des interactions chimiques inattendues. Elles sont responsables d’une variabilité de la composition du médicament selon les lots. Celle des comprimés de NF assez marquée est à rapprocher de la crise. Elle contraste avec celle de l’AF, très faible à rapprocher de l’excellente tolérance.

Evolution des impuretés ? Ses résultats montrent une amélioration du profil d’impuretés (quantité, abondance) à partir de l’année 2018. C’est l’année de l’extension géographique de l’AMM à l’usine de FAMAR (Espagne) avec ses particularités de fabrication, mais sans modification de formule. Par la suite, pas de vague de signalement dans les autres pays.

Conclusions

Ces travaux ont été menés en toute indépendance dans des laboratoires de très haut niveau, à Toulouse et à l’étranger. Ils valident la démarche scientifique que l’Association Française des Malades de la Thyroîde a engagée dès 2017 avec le soutien de ses adhérents.

Ils confirment la justesse de ses orientations. Qu’il s’agisse des faiblesses de l’étude de bioéquivalence sur les moyennes : elle ne pouvait garantir que la NF et AF étaient substituables l’une à l’autre. De la question des impuretés : les profils d’impureté des lots de NF initialement introduits en France en 2017 étaient plus marqués que ceux de l’AF et, après 2018, de la NF. Du lien entre l’interférence de composés inattendus, maintenant prouvés, l’absence de bioéquivalence individuelleet les variations de biodisponibilité. De l’origine des problèmes d’hyper et d’hypothyroïdie et éclairent les symptômes plus difficiles à classer.

Ils questionnent la coïncidence avec la disparition des vagues de signalement sur la NF en France et leur absence lors de la commercialisation dans les autres pays à partir de 2018.

Ils redonnent tout son poids à la recherche scientifique fondée sur l’écoute des malades et l’humilité des médecin et des chercheurs qui, grâce à eux, remettent sans cesse leur savoir en question. Ils ramènent les pensées, croyances ou hypothèses infondées (nocebo) déployées en quasi-vérités à ce qu’elles sont. Des opinions sans preuve.

Ils mettent en avant le rôle déterminant des malades, rassemblés dans l’Association Française des Malades de la Thyroïde, sans laquelle les travaux de Recherche internationaux n’auraient pu être engagés. En retour, ils apportent enfin à chaque victime de ce changement de formule imprudemment et dogmatiquement imposé, la reconnaissance des souffrances, trop longtemps contestées, niées, sous-estimées ou travesties par ceux-là même qui auraient pu les protéger.

Comme elle l’avait demandé dès 2017, l’AFMT, attend maintenant une révision des mécanismes de contrôle des génériques et des modifications de réglementations concernant les AMM des médicaments à marge thérapeutique étroite, dont ceux à base de lévothyroxine.

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