Faudra bien que le Professeur Lechat s’explique…..Sur la nouvelle formule Levothyrox
6 mars 2018
COMPTES RENDUS DE LA MISSION COMMUNE D’INFORMATION SUR LE MEDIATOR
- Mardi 1er mars 2011
- Audition du professeur Jean-Louis Montastruc, chef du service de pharmacologie clinique au CHU de Toulouse, directeur du CRPV de Toulouse
- Audition de M. Philippe Lamoureux, directeur général du Leem (les Entreprises du médicament), ancien directeur auprès du directeur général de l’Agence du médicament
- Audition de M. Philippe Lechat, directeur de l’évaluation des médicaments et des produits biologiques à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps)
- Audition de MM. Jean-Luc Harousseau, président, François Romaneix, directeur général, et Gilles Bouvenot, président de la Commission de la transparence, de la Haute Autorité de santé (HAS)
- Jeudi 3 mars 2011
- Audition de M. Jacques de Tournemire, ancien conseiller pour les industries de santé auprès du ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées (2002-2004)
- Audition de M. William Dab, ancien directeur général de la santé (2003-2005)
- Audition de M. Martin Hirsch, ancien directeur du cabinet du secrétaire d’Etat à la santé et ancien conseiller chargé de la santé au cabinet du ministre de l’emploi et de la solidarité (1997-1999)
Mardi 1er mars 2011
– Présidence de M. François Autain, président –
Audition du professeur Jean-Louis Montastruc, chef du service de pharmacologie clinique au CHU de Toulouse, directeur du CRPV de Toulouse
M. François Autain, président. – Vous avez souhaité que cette audition se tienne à huis clos et ne soit pas ouverte à la presse. Cette réunion n’étant pas publique, je vous propose de décliner vos liens d’intérêts.
M. Jean-Louis Montastruc. – J’ai souhaité que cette réunion se tienne à huis clos car je ne suis pas un homme public ; je relève du secteur hospitalo-universitaire. J’ai deux liens d’intérêts, l’un avec le laboratoire Therabel Lucien qui fabrique le Nexen, et l’autre avec la revue Prescrire dont je suis l’un des collaborateurs de longue date. En tant que pharmacologue, j’ai publié la première observation française relative à une valvulopathie sous Mediator.
M. François Autain, président. – Pourquoi dites-vous que cette observation est la première à avoir été effectuée ? Considérez-vous la valvulopathie qui a été signalée par le docteur Georges Chiche, à Marseille, comme nulle et non avenue ?
M. Jean-Louis Montastruc. – L’observation dont je parle est la première à avoir été publiée, contrairement à celle effectuée par le docteur Chiche. De même, les observations effectuées en 2004, concernant deux soeurs, à Toulouse, dont la pathologie n’était pas très évocatrice, n’ont pas été publiées.
Selon mon point de vue de pharmacologue, qui se bat jour après jour en faveur d’une bonne utilisation des médicaments, l’affaire du Mediator illustre deux carences majeures, en France.
La première carence concerne l’insuffisance de la culture pharmacologique, qui consiste à confronter les données de base du médicament à la pratique clinique. Rappelons que le Mediator n’est pas un médicament antidiabétique, ni un médicament destiné à favoriser l’amaigrissement. Il s’agit d’un produit amphétaminique qui, de par ses propriétés, produit des effets attendus et des effets défavorables. La question posée est donc la suivante : les propriétés de base d’un produit amphétaminique peuvent-elles être transférées à la pratique clinique, en fonction de ses avantages et de ses inconvénients ?
La deuxième carence concerne l’insuffisance de la culture relative au risque médicamenteux. En France, la pharmacovigilance est une branche méprisée, maltraitée de la pharmacologie. En comparaison avec toutes les actions engagées pour évaluer les bénéfices des médicaments, l’évaluation des risques reste insuffisamment développée. Je suggère donc cinq pistes de réflexion.
D’une part, il me paraît très important de renforcer le fonctionnement des centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV). Nos missions sont immenses alors que nos moyens sont ridicules par rapport aux autres services hospitaliers. En 2005, une modélisation a été effectuée par la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (Dhos) et par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) sur le personnel dans ces centres : parmi ces trente et un centres, vingt et une structures ont à peine les moyens de fonctionner. Depuis cette date, au CHU de Toulouse, je plaide en faveur d’un deuxième praticien hospitalier. Or je me heurte systématiquement au refus des autorités.
Les CRPV ont besoin de praticiens hospitaliers pour valider les signaux. Depuis 2006, au CHU de Toulouse, la direction des relations humaines nous a attribué des assistants de recherche clinique (Arc) qui, dans tous les hôpitaux de la région, relèvent les effets indésirables des médicaments. En cinq ans, cette initiative, peu coûteuse et particulièrement efficace, a permis de multiplier par 4,5 le nombre d’observations réalisées, puisque 148 observations ont été relevées en 2006 contre 674 observations en 2010.
D’autre part, dans le domaine de la pharmaco-épidémiologie, j’insiste sur l’importance de la notification spontanée, qui reste la base du signal. Celle-ci exige à la fois une compétence médicale et une compétence pharmacologique. S’agissant du Mediator, elle a été négligée. Il faut absolument la renforcer, par des moyens modernes. A Toulouse, une notification en ligne a été mise en place depuis juillet 2010. En ce début du mois de mars 2011, cent notifications en ligne ont d’ores et déjà été effectuées.
Le nombre de notifications pourrait constituer un élément important pour l’accréditation des services, des pôles hospitaliers, des hôpitaux, des médecins et des pharmaciens. A mon sens, un médecin généraliste qui, durant une année entière, ne déclare aucune observation de pharmacovigilance ne répond pas à sa mission de santé publique.
Certes, une équipe de l’Inserm se consacre à la pharmaco-épidémiologie. Néanmoins, contrairement à une affirmation répandue, celle-ci ne peut répondre à l’ensemble des questions.
C’est à partir des notifications spontanées, et non sur la base d’un simple brassage des données, qu’une étude de pharmaco-épidémiologie peut être lancée. Entre 1998 et 2005, parmi vingt et un médicaments qui ont été retirés du marché, la pharmaco-épidémiologie n’a été à l’origine que d’un seul retrait. Ce sont les notifications spontanées qui ont suscité la majorité des décisions : il a fallu ce signal pour que l’Afssaps réalise une étude sur les valvulopathies sous benfluorex, auprès de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam).
Le recours à la pharmaco-épidémiologie pose le problème de la qualité des bases de données : actuellement, aucune base, notamment à la Cnam, n’est constituée pour étudier les effets indésirables des médicaments.
Enfin, la mise en place des études de pharmaco-épidémiologie est une aubaine pour les firmes car plusieurs mois s’écoulent entre l’évocation d’un signal et le résultat des études. Durant ce délai, le médicament reste sur le marché. Si les signaux relatifs au Mediator avaient été suivis, ce médicament aurait pu être retiré beaucoup plus tôt du marché, sans attendre les données de pharmaco-épidémiologie.
Mme Marie-Thérèse Hermange. – Les données issues du dossier pharmaceutique (DP) pourraient-elles constituer une base de données ?
M. Jean-Louis Montastruc. – Elles pourraient constituer une base de données, mais elles ne seront pas exhaustives car le patient peut refuser que certains médicaments y soient mentionnés. Or dans un pays moderne, les autorités de contrôle doivent avoir accès à l’ensemble des données relatives aux médicaments prescrits à l’ensemble des patients.
Ma troisième suggestion consiste à renforcer l’information indépendante. En ce sens, la revue Prescrire constitue un modèle. Par ailleurs, des bulletins sont édités par les CRPV. Le service de pharmacologie clinique du CHU de Toulouse publie le bulletin Bip31.fr Celui-ci fait partie de l’International Society of Drug Bulletins, tout comme la revue Prescrire.
Je souhaite, à ce propos, évoquer le problème posé par les visiteurs médicaux qui interviennent à tort et à travers dans les hôpitaux. Ils entrent dans les chambres des patients, dérangent leurs visiteurs, financent tel repas de service, tel voyage ou tel congrès. Il a été démontré que ces visiteurs médicaux exercent une influence sur les plus jeunes prescripteurs de médicaments, qui ont moins de recul que des praticiens plus âgés : les internes et les chefs de clinique s’avèrent beaucoup plus sensibles à leurs arguments qu’à ceux de la revue Prescrire.
Dès maintenant, il convient donc de débattre sur l’intrusion de ces visiteurs médicaux dans les lieux de formation, c’est-à-dire les facultés de médecine, de pharmacie et les hôpitaux universitaires. Accepterions-nous qu’un commercial fasse intrusion lors d’une séance au Sénat pour vanter les mérites de son matériel ?
M. François Autain, président. – Dans l’état actuel de la réglementation, un chef de service peut recevoir des visiteurs médicaux s’il le souhaite. Il paraît donc difficile d’interdire aux visiteurs médicaux l’accès aux hôpitaux et les tournées chez les médecins généralistes. Je n’ai pas de réponse à cette question.
M. Jean-Louis Montastruc. – Dans un premier temps, il conviendrait de réglementer cet accès. Dans mon service, les visiteurs médicaux peuvent uniquement prendre part à la réunion « officielle » du lundi. Certes, je n’ai pas de solution miracle à proposer, mais il me semble urgent d’alerter les pouvoirs publics.
Ma quatrième proposition consiste à renforcer l’enseignement de la pharmacologie, en distinguant clairement celle-ci de la thérapeutique. Nos confrères ont besoin qu’on leur rappelle la classe pharmacologique des médicaments, leurs propriétés de base, leurs interactions pertinentes sur le plan clinique mais aussi leurs effets indésirables et les pathologies qu’ils peuvent favoriser. Il est ainsi avéré que la pioglitazone, principe actif qui fait baisser la glycémie, augmente le risque de cancer de la vessie : le médicament Actos, présent sur le marché depuis 2006, ne devrait donc plus s’y trouver. Il conviendrait de renforcer l’enseignement de la pharmacologie dès la première année des études de médecine et de pharmacie, et même dès l’école car nous sommes tous des futurs consommateurs de médicaments. L’enfant doit être sensibilisé au fait que le médicament n’est pas un produit anodin : il génère des bénéfices mais aussi des risques. Une expérience pédagogique, dans ce domaine, a été réalisée à Toulouse.
Enfin, je propose quelques pistes de réflexion sur le fonctionnement de l’Afssaps où j’ai l’occasion de me rendre régulièrement, notamment depuis 1990 en tant que directeur du CRPV de Midi-Pyrénées, même si j’ai toujours refusé la présidence des commissions qui m’ont été proposées.
M. François Autain, président. – Etes-vous, depuis cette date, membre de la commission nationale de pharmacologie ?
M. Jean-Louis Montastruc. – Non, j’en ai été membre depuis 2000 ou 2002 jusqu’en 2007, et j’en fais à nouveau partie. En ce qui concerne l’autorisation de mise sur le marché ou AMM, il faudrait, pour qu’elle soit conférée à un médicament, qu’une comparaison soit effectuée avec un comparateur actif plutôt qu’avec un placebo. Par ailleurs, même si cette proposition paraît extrémiste, la délivrance d’une AMM ne devrait être conditionnée qu’au progrès thérapeutique constaté. Il faut cesser de commercialiser des médicaments dont le service médical rendu (SMR) est évalué au niveau 5. Je suis intimement persuadé qu’un jour ou l’autre, nous y parviendrons.
M. François Autain, président. – Quand un SMR de niveau 5 est conférée à des médicaments qui ne génèrent pas de progrès thérapeutique, l’objectif consiste à faire réaliser des économies à la sécurité sociale. Selon le texte réglementaire, ces produits peuvent être inscrits sur la liste des médicaments remboursés uniquement s’ils permettent à la sécurité sociale de réaliser une économie.
M. Jean-Louis Montastruc. – Cependant, le Febuxostat, c’est-à-dire le nouvel Allopurinol, est huit fois plus cher que l’ancien Allopurinol.
M. François Autain, président. – J’aurais tendance à être d’accord avec vous. D’ailleurs, j’ai demandé à plusieurs reprises que le montant des économies ainsi réalisées par la sécurité sociale soit chiffré. Je n’ai jamais obtenu de réponse.
M. Jean-Louis Montastruc. – Pour ma part, je considère que ce type de médicaments ne permet pas de réaliser des économies.
S’agissant de l’Afssaps, je pense qu’il faut y développer l’expertise interne, tout en maintenant l’expertise externe. De nombreux experts internes sont de jeunes étudiants, fraîchement émoulus de la faculté de médecine ou de pharmacie. En revanche, les seniors dont le métier est l’évaluation y sont rares. Il serait judicieux, à l’exemple de l’agence britannique, que tel ou tel professeur de pharmacologie vienne y faire part de son expérience, en fin de carrière, pour renforcer une évaluation de qualité.
Je constate également un manque de coordination et de communication entre les nombreux groupes de travail, au sein de l’Afssaps, mais également des agences sanitaires comme la Haute Autorité de santé (HAS). Il faudrait simplifier les activités, souvent redondantes.
M. François Autain, président. – Quelles propositions effectuez-vous pour éviter ces redondances ?
M. Jean-Louis Montastruc. – Je suis persuadé qu’il faudrait séparer, de manière définitive et exemplaire, l’évaluation pré-AMM et post-AMM. En effet, les experts qui évaluent tel médicament avant la délivrance d’une AMM ne devraient pas être consultés, quelques années plus tard, pour revenir sur leur avis. Depuis longtemps, la Food and Drug Administration (FDA) souhaite dissocier ces deux activités.
Le dossier d’AMM et le dossier réalisé par la Commission de la transparence sont analysés par deux commissions différentes, au sein de deux structures différentes. Or ils s’avèrent quasiment les mêmes : « rapprocher » ces dossiers permettrait de réaliser un gain de temps. Une fois le médicament mis sur le marché, l’Afssaps jouerait pleinement son rôle d’agence vouée à la sécurité sanitaire.
M. François Autain, président. – Cette séparation est-elle effective dans certains pays étrangers ?
M. Jean-Louis Montastruc. – Non, à l’étranger ce système n’existe pas. Néanmoins, je souligne le fait que la FDA a beaucoup insisté sur ce point lors de l’affaire du Vioxx. Une telle séparation faciliterait des prises de décisions plus rapides.
M. François Autain, président. – Iriez-vous jusqu’à préconiser que la Commission nationale de pharmacovigilance émette un avis de retrait sans consulter la Commission d’AMM ? Dans ce cas, il appartiendrait ensuite au directeur général de suivre cet avis.
M. Jean-Louis Montastruc. – Tout à fait. Le noeud de l’affaire Mediator se situe bien à ce niveau. Au sein de la Commission nationale de pharmacovigilance, j’ai fait partie des personnes qui, en 2007, ont demandé la réévaluation du rapport entre les bénéfices et les risques suscités par ce médicament. Malheureusement, il était déjà trop tard. La Commission nationale de pharmacovigilance a estimé qu’il existait un rapport défavorable. Or la Commission d’AMM a rendu un avis contraire. Ce dysfonctionnement montre bien que l’empilement d’une structure au-dessus de l’autre ne convient pas.
La Commission nationale de pharmacovigilance, dès lors qu’elle est bien constituée, est tout à fait capable d’évaluer le rapport entre les bénéfices et les risques liés à un médicament. Je le répète, on ne connaît pas l’action de la pioglitazone sur l’évolution du diabète mais il est avéré que celui-ci augmente les risques de cancer de la vessie.
M. François Autain, président. – En revanche, la rosiglitazone, qui correspondait au médicament Avandia, a été retirée du marché.
Vous soulignez qu’une divergence d’avis peut apparaître entre la Commission d’AMM et la Commission nationale de pharmacovigilance, même si le cas se présente rarement. Cette divergence est apparue au sujet du benfluorex, principe actif du Mediator : le directeur général s’est trouvé dans une très grande difficulté et n’a pas pris de décision. Habituellement, un consensus est systématiquement recherché entre la Commission d’AMM et la Commission nationale de pharmacovigilance, comme le souligne le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). Or cette recherche de consensus entraîne la prescription d’études qui peuvent se prolonger de manière délétère. Comment peut-on y remédier ?
M. Jean-Louis Montastruc. – Si la Commission d’AMM et la Commission nationale de pharmacovigilance relèvent d’instances différentes et si cette dernière possède de véritables responsabilités dans la phase post-AMM, il n’y aura plus besoin de demander son avis à la Commission d’AMM. Il faut que cette commission soit majeure et puisse prendre ses décisions.
Ma dernière préconisation porte sur l’Afssaps, que j’estime trop soumise à la réglementation européenne. De multiples exemples montrent que les décisions qui doivent être prises, en France, au sujet d’un médicament, restent suspendues à un avis européen. Cette attente, qui peut s’éterniser pendant des mois, constitue une véritable aubaine pour les firmes. Or une loi permet à chaque pays de suspendre temporairement un médicament, comme cela s’est produit en Finlande ou en Espagne. A ma connaissance, jamais ce type de décision n’a été pris en France.
M. François Autain, président. – Si, cela s’est produit pour le Kétoprofène.
M. Jean-Louis Montastruc. – Pour citer un exemple, en 2002, j’ai été responsable du suivi de pharmacovigilance de la sibutramine, principe actif correspondant au médicament Sibutral, un amphétaminique prescrit contre l’obésité. Après la réunion, il a été indiqué à Philippe Duneton, directeur de l’Afssaps, que le rapport entre les bénéfices et les risques était considéré comme défavorable. Celui-ci a déclaré que le médicament serait retiré du marché. Or la décision, au niveau européen, n’était pas encore prise. Il a fallu sept ans pour que ce retrait devienne effectif, en 2009. Je n’élève aucune critique envers Philippe Duneton mais j’attire votre attention sur ces problèmes de fonctionnement.
La France doit prendre ses entières responsabilités vis-à-vis des patients, et la notion de pharmacologie sociale doit être prise en compte. Selon les pays, il existe des spécificités relatives à la consommation des individus, à l’utilisation d’un médicament, aux réactions qu’il suscite et notamment à ses effets indésirables. La consommation de médicaments n’est pas la même à Séville et à Copenhague. Il n’est pas toujours acceptable de se conformer à un avis européen centralisé, surtout s’il est rendu avec retard.
Mme Marie-Thérèse Hermange. – Pensez-vous que l’étude publiée en 2006 concernant un seul cas, celui d’une patiente de quarante-huit ans souffrant d’une valvulopathie sous Mediator, aurait dû suffire pour décider le retrait du médicament ? Quels signalements relatifs aux effets indésirables de ce produit avez-vous reçus avant 2010 ? Quelle réaction ont-ils suscité ?
M. Jean-Louis Montastruc. – L’analyse anatomo-pathologique effectuée pour cette patiente âgée de quarante-huit ans montrait des lésions caractéristiques sous Mediator. Par ailleurs, nous disposions de l’étude espagnole publiée en 2004 et de la plausibilité pharmacodynamique relative à un médicament amphétaminique. Un tel contexte aurait dû conduire au retrait du Mediator car ce médicament s’avérait inefficace, tout en suscitant des effets indésirables graves. Le rapport entre ses bénéfices et ses risques n’était pas considéré comme favorable.
Dans le passé, l’Ananxyl, un médicament anxiolytique, a été retiré du marché sur la foi d’une seule observation bien faite.
M. François Autain, président. – A quelle date le retrait du Mediator pouvait-il être envisagé ?
M. Jean-Louis Montastruc. – Son retrait pouvait être envisagé en 2005-2006, c’est-à-dire dès que notre observation a été publiée.
Mme Marie-Thérèse Hermange. – Comment les spécialistes pouvaient-ils se mobiliser pour obtenir le retrait du Mediator ? Comment faire « bouger » le système ?
M. Jean-Louis Montastruc. – Pour ma part, je me suis mobilisé mais je n’ai pas été entendu. De même, concernant la pioglitazone, je me mobilise depuis plusieurs mois sans obtenir l’écoute nécessaire.
Mme Marie-Thérèse Hermange. – D’autres affaires, selon vous, pourraient-elles exploser un jour ?
M. Jean-Louis Montastruc. – Le bulletin que nous publions s’appelle le Bip31.fr Depuis plusieurs mois, il fait état d’une liste de médicaments à éviter : une dizaine de produits sont mentionnés, comme l’Arcoxia, un médicament anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) qui provoque de l’hypertension artérielle. Il est incompréhensible qu’un tel médicament ait pu être commercialisé. Il en va de même pour le Celebrex ou le Parlodel utilisé pour l’inhibition de la lactation. Cependant, je considère que la question la plus urgente porte sur la pioglitazone : un médicament qui suscite des risques accrus de cancer ne peut pas rester sur le marché.
Mme Marie-Thérèse Hermange. – Les activités des centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) sont-elles suffisamment prises en considération et relayées au plan national ?
M. Jean-Louis Montastruc. – Les CRPV travaillent beaucoup mais ils ont peu de moyens. L’enjeu fondamental consiste à réformer la prise en compte du risque, dans nos facultés de médecine. L’ouvrage publié par Aquilino Morelle, La Défaite de la santé publique, évoque l’affaire du sang contaminé mais la même inertie peut être constatée dans le domaine des médicaments : entre 1996 et 2011, rien n’a changé. Notre culture du risque est insuffisante.
Mme Marie-Thérèse Hermange. – Quelles conséquences institutionnelles la séparation de la procédure d’AMM et du suivi post-AMM pourrait-elle entraîner ? Comment mettre en place un système de contrôle permettant une véritable dissociation entre ces deux démarches ?
M. Jean-Louis Montastruc. – Actuellement, la Haute Autorité de santé (HAS) et l’Afssaps ne possèdent pas le même statut. La Direction générale de la santé (DGS) pourrait, à cette occasion, jouer pleinement son rôle de coordination entre les deux instances. Prenons l’exemple d’une aberration. Depuis quelque temps, la pharmacovigilance des essais cliniques se développe. Dans mon service, l’une de mes collaboratrices est chargée d’étudier les effets indésirables des médicaments, avant l’AMM tandis que la pharmacovigilance relève du suivi post-AMM.
Récemment, le Revlimid, un médicament qui génère des risques de cancer, a fait parler de lui. A cette occasion, j’ai pu me rendre compte que la communication entre les responsables de l’AMM et les responsables du suivi post-AMM était inexistante : l’un, à l’Afssaps, est rattaché aux essais cliniques ; l’autre exerce un contrôle de pharmacovigilance. Pourtant, leur démarche relève bel et bien d’une continuité.
Ce dysfonctionnement est frappant, y compris à l’intérieur d’une même agence. Il ne s’agit pas seulement d’un problème de structures mais aussi d’un problème relationnel. Les uns se réunissent à la Fédération hospitalière de France, les autres à l’Afssaps. Il serait bon que les responsables de la vigilance des essais cliniques rencontrent périodiquement ceux des centres régionaux de pharmacovigilance.
Mme Nathalie Goulet. – Monsieur le Professeur, je souhaite d’abord vous remercier pour la qualité de votre exposé. Les schémas, les responsabilités et les blocages ont été mis en lumière de manière très claire. Vous avez donc accompli votre mission d’avertissement. Par la suite, vous avez tenté de relancer cette vigilance et vous n’y êtes pas parvenu.
Je me souviens, pour ma part, de l’affaire du Dinintel. Cette amphétamine a été retirée du marché alors que le Mediator n’a pas été suspendu. Pourtant, ces médicaments présentent des similitudes. Si vous aviez été écouté, dès 2006, le Mediator aurait été retiré du marché. A quel étage du dispositif identifiez-vous le blocage ?
M. François Autain, président. – Dès 1999, nous disposions de signaux très forts. Le cas de valvulopathie rapporté à Marseille a été reconnu mais n’a pas fait l’objet d’une publication. Par ailleurs, un cas d’hypertension artérielle pulmonaire a été détecté à l’hôpital Antoine-Béclère, à Clamart. La même année, la Commission de la transparence a estimé que le Mediator ne méritait pas d’être pris en charge car son service médical rendu (SMR) était insuffisant. Cet ensemble de signaux aurait dû conduire, en toute logique, à la suspension du médicament.
M. Jean-Louis Montastruc. – Les responsables de la pharmacovigilance, à l’Afssaps, effectuent un travail intense et de grande qualité mais la communication avec le directeur de l’évaluation, le directeur de l’Afssaps et les autres commissions, reste insuffisante.
Au début des années 2000, je me suis beaucoup battu pour souligner les risques induits par les coccides. La Commission nationale de pharmacovigilance a effectué une étude mais nul ne sait ce que les représentants français ont indiqué aux responsables de niveau européen. Nul ne contrôle l’avis de ces fonctionnaires d’Etat, qui ne rendent de comptes à personne. Cela pose un problème majeur.
Mme Marie-Thérèse Hermange. – Néanmoins, la Commission nationale de pharmacovigilance émet une note dont on peut supposer qu’elle est transmise à un niveau supérieur.
M. Jean-Louis Montastruc. – Cette note est transmise au directeur de l’évaluation, qui peut en parler ou non au directeur de l’Afssaps. A la place que j’occupe, je n’en sais pas plus.
M. Dominique Leclerc. – Monsieur le Professeur, je souhaite revenir sur le manque de culture en pharmacologie, dans notre pays, et sur le nombre de chaires de pharmacologie en France, dans les facultés de médecine et de pharmacie.
M. Jean-Louis Montastruc. – Dans les facultés de médecine, la quasi-totalité des centres hospitaliers universitaires (CHU) en sont pourvus.
M. Dominique Leclerc. – En France, on recense une cinquantaine de chaires de pharmacologie. Vous dénoncez le manque de culture qui prévaut en matière de pharmacovigilance. Cependant, des conférences de doyens sont organisées. Il me semble que l’enseignement et la thérapie s’adaptent aux exigences d’aujourd’hui. Il existe cinq agences importantes et cinq agences plus modestes dont les responsables travaillent beaucoup, émettent maintes notes mais ne communiquent pas entre eux. C’est dire qu’en matière de pharmacovigilance, ce régime est technocratique. Il ne faut donc pas s’étonner que l’affaire Mediator ait pu éclater et que d’autres anomalies puissent se produire à l’avenir.
Par conséquent, je ne vois pas bien de quelle manière le législateur pourrait intervenir. Comment des lois supplémentaires pourraient-elles résoudre le problème ?
Par ailleurs, je m’étonne que vous puissiez déplorer le comportement de visiteurs médicaux à l’hôpital. Seules les personnes autorisées ont le droit de pénétrer dans les services et dans les chambres des malades. Dans chaque pôle, l’autorité est conférée à un « patron », c’est-à-dire le directeur du pôle.
M. Jean-Louis Montastruc. – Les visiteurs médicaux entrent à l’hôpital sans demander l’avis de quiconque, et pourquoi pas avec une bouteille de champagne. Le directeur du pôle n’est pas forcément présent. La situation évolue beaucoup, et de manière négative.
Dans les facultés, les étudiants doivent préciser les propriétés de base des médicaments. Il ne suffit pas de dire qu’un médicament est un hypertenseur. Est-ce un bétabloquant, un diurétique utilisé contre l’hypertension artérielle ? Le message relatif à la pharmacovigilance doit être fort.
M. Alain Fauconnier. – Vous jugez nécessaire d’intégrer des notions sur les médicaments au programme scolaire. Cette idée me paraît judicieuse mais sa concrétisation ne paraît guère simple. Sous quelle forme évoquer cette problématique au collège ?
M. Jean-Louis Montastruc. – Une expérience pédagogique a été menée au lycée Pierre-de-Fermat, à Toulouse. Plusieurs fois, j’ai eu l’occasion de rencontrer des élèves de seconde pour évoquer les médicaments, leurs caractéristiques, le rôle de l’AMM et la notion de risque médicamenteux. Il me semble important de sensibiliser les enfants à cette thématique : on ne prend pas n’importe médicament à la légère, à la moindre douleur. Il convient également d’enseigner aux jeunes les dangers des drogues. Les enseignants en sciences de la vie et de la terre (SVT) ont toutes les compétences nécessaires pour prodiguer ces notions.
Mme Nathalie Goulet. – Vous constatez des insuffisances dans le domaine de l’enseignement en pharmacologie. Quel est l’avis de vos collègues ? Avez-vous l’occasion de vous réunir et d’élaborer un programme intégrant le dispositif sur les bénéfices et les risques des médicaments ? Quelle vulgarisation pédagogique le ministère de l’éducation nationale pourrait-il élaborer ?
Le discours sur la bonne utilisation des antibiotiques est bien passé dans le langage courant : chacun le comprend. Peut-être pourriez-vous élaborer, communément avec vos collègues, une note destinée aux professeurs de SVT. Cette démarche pourrait jeter un pont utile entre vos propos et l’application pratique que nous pourrions tirer de cette audition.
M. Jean-Louis Montastruc. – Je n’ai pas le souvenir d’avoir évoqué la question de l’enseignement en pharmacologie avec mes collègues. Cependant, beaucoup partagent mon avis. En tout cas, je suis prêt à vous aider, pour ma part.
Mme Marie-Thérèse Hermange. – Le dispositif de pharmacovigilance doit-il être systématiquement étendu aux dispositifs médicaux ? Par ailleurs, la liste de médicaments à éviter, publiée par le bulletin Bip31.fr, a-t-elle été transmise au directeur de l’évaluation des médicaments et des produits biologiques, à l’Afssaps, voire au ministère de la Santé ?
M. Jean-Louis Montastruc. – S’agissant des dispositifs médicaux, je n’ai pas vraiment les compétences pour répondre à votre question. Cependant, je répondrais plutôt par l’affirmative.
Quant au bulletin Bip31.fr, je pense que Philippe Lechat le reçoit. Je n’ai pas transmis ce bulletin au ministère de la Santé. Cependant, lorsque l’affaire du Mediator a éclaté, j’ai écrit plusieurs fois au ministre pour solliciter un rendez-vous. Je n’ai jamais obtenu de réponse.
M. François Autain, président. – Au sein de la Commission nationale de pharmacovigilance, ne serait-il pas souhaitable de recourir plus fréquemment au vote, plutôt qu’à la recherche de consensus ?
Par ailleurs, j’ai été frappé, en lisant certains comptes rendus de réunions de la Commission nationale de pharmacovigilance, qu’aucune référence ne soit faite au service médical rendu par un médicament. Il convient, je suppose, d’être beaucoup plus vigilant pour un médicament dont le SMR s’avère insuffisant que pour un médicament contre le cancer, par exemple. La référence aux SMR, au sein de la commission, permettrait-elle d’obtenir une suspension plus rapide des médicaments ?
M. Jean-Louis Montastruc. – Le recours plus fréquent au vote, au sein de la Commission nationale de pharmacovigilance, me paraît souhaitable. Il m’a semblé, lors des dernières réunions, que cette évolution commence à se mettre en place. Les décisions nécessitent parfois d’être tranchantes.
Dans les comptes rendus de réunions, il n’est pas fait mention du rapport entre les bénéfices et les risques d’un médicament. Cependant, cette notion fait continuellement partie de nos arrière-pensées. Elisabeth Autret, vice-présidente de la Commission de la transparence et membre de la Commission nationale de pharmacovigilance, y fait systématiquement référence.
Audition de M. Philippe Lamoureux, directeur général du Leem (les Entreprises du médicament), ancien directeur auprès du directeur général de l’Agence du médicament
M. François Autain, président. – Vous êtes actuellement directeur général du Leem (Les Entreprises du médicament). En outre, vous avez été membre du cabinet de Martine Aubry, et directeur général de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes).
Je vous informe que cette audition est ouverte à la presse et donne lieu à un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur Public Sénat et sur le site Internet du Sénat. En application de l’article L. 4113-13 du Code de la santé publique, je vous demande de faire connaître, le cas échéant, vos liens d’intérêts avec des entreprises produisant ou exploitant les produits de santé ou des organismes de conseils intervenant sur ces produits.
Avez-vous des liens d’intérêts à déclarer ?
M. Philippe Lamoureux. – Je rappelle, tout d’abord, que le Leem est le syndicat représentatif de l’ensemble des entreprises du médicament. L’énoncé de mes fonctions suffit donc à répondre à votre question.
M. François Autain, président. – Lors de son audition au Sénat, votre ancien directeur, Didier Tabuteau, a indiqué qu’il avait pris connaissance des signaux relatifs au Mediator en 2009, lors la suspension de ce médicament. Lors d’une interview au Figaro, le professeur Lucien Abenhaïm dont l’audition n’a pas encore eu lieu, a effectué la même déclaration. Pour votre part, quand avez-vous entendu parler pour la première fois du Mediator ?
M. Philippe Lamoureux. – Jusqu’à ces derniers mois, je n’avais pas entendu parler du Mediator. Vous avez rappelé que j’ai été directeur auprès du directeur général, puis secrétaire général de l’Agence française du médicament. A cette époque, la fonction de directeur général-adjoint n’existait pas dans cette instance. Mes fonctions se situaient à mi-chemin de celles qu’exercent actuellement, à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), le secrétaire général et le directeur général adjoint.
Mon rôle, essentiellement administratif, portait sur la préparation des instances, le budget et le schéma directeur des systèmes d’information. Mes compétences originelles, en tant qu’inspecteur général des affaires sociales, pouvaient être utiles à cette institution en cours de création : j’intervenais donc également au niveau de l’inspection, de la représentation internationale hors de l’Europe et de la communication. En revanche, mes délégations de signature n’englobaient pas de compétences relatives à l’autorisation de mise sur le marché (AMM) des médicaments. Juridiquement, je n’étais pas compétent dans ce domaine, ni dans celui des suspensions d’AMM.
M. François Autain, président. – Vous dites que vous n’avez pas eu connaissance des risques suscités par le benfluorex avant 2009. Pourtant, le 11 juillet 1995, vous avez assisté à une réunion du comité technique de pharmacovigilance (CTPV), où vous représentiez l’Agence du médicament. Or c’est au cours de cette réunion qu’a été présentée l’enquête officielle sur les effets indésirables du Mediator, prescrite le 18 mai 1995. Elle indique que seize notifications spontanées concernant des cas d’hypertension artérielle pulmonaire primitive avaient été identifiées. Etiez-vous alors présent ?
M. Philippe Lamoureux. – Monsieur le président, je suis très heureux que vous me posiez cette question qui me permettra d’effectuer une mise au point. Effectivement, des observateurs particulièrement attentifs, à la lecture du rapport de l’Inspection générale, qui comporte 3 015 pages, ont relevé ma présence lors de cette réunion du comité technique de pharmacovigilance.
A l’époque, Didier Tabuteau, directeur général de l’Agence du médicament, avait fixé une règle de bon sens : les membres de la direction générale, n’étant pas des scientifiques, ne participaient pas aux travaux des grandes commissions de l’agence, qu’il s’agisse de la Commission d’AMM, de la Commission de pharmacovigilance, de la Commission de pharmacodépendance ou de la Commission de contrôle de la publicité. Je n’ai donc jamais assisté aux travaux de la Commission d’AMM.
Toutefois, au titre de mes fonctions administratives, il m’est arrivé d’intervenir ponctuellement, au sein d’une commission, pour préciser aux responsables des centres régionaux les modalités par lesquelles ceux-ci pouvaient accéder à des financements par l’Agence du médicament. En effet, en tant que secrétaire général, je pouvais avoir à effectuer un appel à dépôt de dossier auprès de l’agence pour bénéficier de ses subventions. Une fois cette présentation effectuée, je quittais la commission et n’assistais pas aux débats.
Si vous regardez attentivement les procès-verbaux, vous verrez qu’ils présentent une forme particulière. Dans les autres procès verbaux de la commission de pharmacovigilance, en règle générale, le procès-verbal de la session précédente est acté et l’ordre du jour est déroulé. Or, dans le procès-verbal de la commission que vous citez, l’introduction que j’ai effectuée est mise en exergue. A moins de faire une erreur de mémoire, je n’étais pas présent aux débats qui ont suivi. Je pense qu’il est facile de faire témoigner d’autres personnes sur ce point.
Mme Marie-Thérèse Hermange. – D’après vos propos, lors de cette réunion du CTPV, un point de vue scientifique a été précisé et acté, selon lequel le benfluorex, indiqué comme traitement adjuvant au régime adapté chez les personnes diabétiques présentant une surcharge pondérale, possédait une structure voisine de celle des anorexigènes. Au sortir de cette réunion, des éléments ont-ils été fournis aux responsables administratifs, à propos des positions qui venaient d’être exprimées sur le benfluorex ?
D’une part, nous entendons qu’il n’existe aucune coordination à l’agence entre la structure scientifique et la structure administrative. D’autre part, il nous est dit qu’une double direction, scientifique et administrative, serait nécessaire à l’agence, mais que faire si ces deux directeurs ne se parlent pas et se rejettent mutuellement les responsabilités ?
M. Philippe Lamoureux. – Le procès-verbal de cette commission montre que je n’ai pas assisté aux travaux. Je me suis contenté d’ouvrir la réunion, au sujet de questions purement administratives, puis j’ai quitté la salle.
La question que vous posez est importante. S’agissant de l’organisation de l’agence, le choix effectué était le suivant. D’une part, la direction scientifique comptait des personnalités reconnues, comme le professeur Jean-Michel Alexandre. D’autre part, le directeur général, et par voie d’extension, la direction générale, même si je n’exerçais pas de compétences au sujet de l’AMM, dépendaient des avis des commissions scientifiques.
Je n’ai, personnellement, aucun doute sur le fait que les données sur le Mediator ne soient pas parvenues au directeur général. J’ai travaillé auprès de Didier Tabuteau pendant plusieurs années. Si des indicateurs, quels qu’ils soient, avaient été portés à sa connaissance sur ce médicament, il aurait nécessairement agi.
M. François Autain, président. – Comprenez notre trouble. Vos précisions permettent d’expliquer que votre nom figure sur le compte rendu de cette réunion, étant entendu que vous n’y participiez qu’en partie.
M. Gilbert Barbier. – Pouvez-vous indiquer à quel moment le blocage s’est produit ? Comment, à partir de l’avis de la commission scientifique, l’information n’est-elle pas remontée jusqu’au directeur ?
M. Philippe Lamoureux. – En réalité, aucun blocage ne s’est produit. L’information n’est pas remontée jusqu’à la direction générale. Selon le rapport, la décision qui est remontée, à l’époque, portait sur les restrictions d’indication des anorexigènes. Cette décision, telle que proposée par les scientifiques de la direction de l’évaluation et par les spécialistes de la commission de pharmacovigilance, a été suivie par la direction générale.
Mme Marie-Thérèse Hermange. – Considérons une autre situation. Nous venons d’auditionner le professeur Jean-Louis Montastruc qui vient de publier une liste des médicaments à éviter. Celle-ci a peut-être été transmise au directeur de l’évaluation des médicaments et des produits biologiques, à l’Afssaps, ainsi qu’à la Direction générale de la santé. Concrètement, comment éviter une nouvelle affaire ? Que faire pour que la coordination fonctionne ?
M. Philippe Lamoureux. – La problématique n’est pas liée à l’existence d’un « tandem » entre responsables scientifique et administratif. Elle relève plutôt d’une question de process. Au début des années 1990, les responsables nommés à la tête des grandes agences présentaient plutôt un profil administratif. Ces nominations intervenaient en réaction à des affaires de santé publique où les systèmes avaient été pilotés par des scientifiques.
Au-delà des profils de compétences et de la qualité des individus, c’est plutôt au mode de fonctionnement des institutions que des améliorations peuvent être apportées. Le ministère a commencé à esquisser des pistes, puisque cette thématique est intégrée aux Assises du médicament et au second rapport de l’Inspection générale qui porte sur les voies et moyens de l’amélioration de la pharmacovigilance. Une fois encore, l’instance à laquelle j’appartiens aura des propositions à soumettre, dans ce domaine.
M. François Autain, président. – Certaines sont déjà faites, d’ailleurs.
Mme Nathalie Goulet. – A cette époque, vous vous occupiez du schéma directeur des circuits d’information. Vous assumiez des responsabilités dans le domaine de la communication. Or l’un des points d’achoppement essentiel, dans ce dossier, concerne précisément les circuits de communication. De quel schéma directeur de circuits d’information aviez-vous la charge ?
M. Philippe Lamoureux. – J’ai indiqué que la communication entrait dans mes champs d’activité. Je n’ai pas prétendu que mes fonctions étaient celles d’un directeur de la communication. Dans cet établissement public nouvellement créé, nous avions hérité d’un circuit relevant très largement du papier, et comprenant des kilomètres d’archives. Un énorme travail devait donc être effectué sur la conception de systèmes informatiques. Les enjeux portaient sur la dématérialisation, la mise à jour des AMM qu’il fallait souvent reconstituer.
Dès lors que le Mediator n’était pas mentionné et que l’information ne remontait pas vers le directeur général, il n’y a aucune raison particulière d’imaginer que le sujet ait été traité à ce niveau.
Mme Nathalie Goulet. – Cependant, d’après vos propos, votre mission englobait le schéma directeur du circuit d’informations. S’agit-il bien du circuit intérieur de l’établissement ?
M. Philippe Lamoureux. – Le schéma directeur des systèmes d’information se définissait simplement comme le plan informatique de l’agence, rien de plus.
Puisque vous avez rappelé mon parcours, je me permets d’en préciser les dates essentielles. De mars 1993 à septembre 1997, j’ai exercé les fonctions de directeur auprès du directeur général de l’Agence du médicament. De septembre 1997 à septembre 1998, j’y ai exercé les fonctions de secrétaire général. De surcroît, d’août 1996 jusqu’en septembre 1997, j’ai occupé les fonctions de directeur de l’inspection et des établissements : nous étions en phase de transition, l’un des directeurs ayant quitté l’agence en septembre 1998.
Par la suite, j’ai travaillé au cabinet de Martine Aubry jusqu’en 2001. J’avais plutôt en charge les sujets relatifs à l’administration générale du ministère, et suis donc sorti complètement du champ des médicaments. En 2001-2002, j’ai été nommé directeur adjoint du cabinet de Bernard Kouchner : le médicament n’entrait pas dans mes attributions. De 2002 à 2008, j’ai eu la responsabilité et l’honneur de devenir le premier directeur général de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) qui n’intervenait pas directement dans ce champ. Depuis novembre 2008, je suis directeur général du Leem.
J’ai repris l’ensemble des délégations de signature. La plus large qui m’ait été attribuée, comme secrétaire général de l’agence, mentionnait l’ensemble de ses activités, à l’exception de l’AMM.
M. Gilbert Barbier. – Durant les années 1993 à 1998, quels contacts l’Agence entretenait-elle avec l’industrie pharmaceutique ? Etant chargé de la communication, vous receviez sans doute des personnes issues des laboratoires. Des interventions, voire des pressions se sont-elles exercées ?
M. Philippe Lamoureux. – Je le répète, l’agence ne comportait pas de directeur de la communication. Les moyens de cette structure étant plus limités qu’aujourd’hui, en tant que secrétaire général, je pouvais me trouver « au four et au moulin » et avoir, par exemple, à rédiger un communiqué de presse. Quant aux relations avec les industriels du monde pharmaceutique, l’agence exprimait un souci de dialogue et d’écoute, mais sa priorité absolue consistait à ne jamais perdre de vue sa mission sanitaire. Le dialogue avec les industriels était borné par cette mission. Je n’ai pas eu, à la place que j’occupais, le sentiment que l’agence ait eu à reculer dans l’une ou l’autre de ses décisions, sous la pression de l’industrie.
M. François Autain, président. – Le rapport de l’Igas, concernant le Mediator, comporte un passage surprenant. Selon ce document, « l’Afssaps, qui est une agence de sécurité sanitaire, se trouve à l’heure actuelle structurellement et culturellement dans une situation de conflit d’intérêts » avec l’industrie pharmaceutique, « non pas en raison de son financement qui s’apparente à une taxe parafiscale, mais par une coopération avec l’industrie pharmaceutique qui aboutit à une forme de coproduction des expertises et des décisions qui en découlent ». Ce constat paraît très grave. Avez-vous ressenti ce conflit d’intérêts global, lorsque vous occupiez votre poste à l’Agence du médicament ?
M. Philippe Lamoureux. – Cette partie du rapport m’a quelque peu interloqué. Dans les décisions qui ont été prises par l’agence, je n’ai jamais eu ce sentiment. Le travail qui a été accompli, à cette époque, est considérable.
Mme Marie-Thérèse Hermange. – Le rapport de l’Igas précise que « la présence, encore aujourd’hui, d’un représentant du Leem dans les commissions et, parfois, dans les groupes de travail paraît inacceptable ». Or aucun représentant n’a siégé lors de la réunion de la Commission d’AMM à la fin du mois de janvier 2011. S’agit-il d’une initiative du Leem ou de la réponse à une demande effectuée par l’Afssaps, comme l’a affirmé Fabienne Bartoli, alors directrice générale par intérim de l’agence ? Le Leem continue-t-il à siéger dans les groupes d’experts et les autres commissions sanitaires, comme la Commission de pharmacovigilance où il possède un droit de vote ?
M. Philippe Lamoureux. – Il faudrait poser cette question au président du Leem. Sa présence relève de raisons juridiques assez différentes. Dans certaines commissions, le Leem possède la simple qualité d’invité. En revanche, un représentant du Leem peut siéger dans d’autres commissions. La situation est différente pour la Commission d’AMM et les autres commissions administratives.
M. Gilbert Barbier. – Des alertes à propos du benfluorex ont été adressées, depuis l’étranger, à l’Agence du médicament. L’agence fonctionnait-elle en circuit fermé ? Ses responsables n’y lisaient-ils pas la littérature étrangère ?
M. Philippe Lamoureux. – Je ne peux, pour ma part, qu’évoquer la période antérieure à 1998.
La direction de l’évaluation comprenait une unité de pharmacovigilance : c’est à ce niveau que les échanges techniques s’effectuaient. Je crois me souvenir, par exemple, que les échanges entre les autorités françaises et italiennes passaient directement de service d’évaluation en service d’évaluation. Dans leur domaine de compétences, les scientifiques exercent la plénitude de leurs attributions.
Selon ce rapport, aucun effet indésirable grave concernant le benfluorex n’a été rapporté. Il paraît donc normal que la direction générale n’a pas eu connaissance des alertes dès lors qu’elles n’étaient pas « remontées » par les services de pharmacovigilance.
Selon le rapport, en 1995, lorsque la DGS a pris des décisions relatives aux préparations magistrales, les services d’évaluation n’ont pas identifié que le benfluorex entrait dans cette catégorie : ce constat m’a interrogé et je ne peux pas fournir d’éléments de réponse. Seuls les scientifiques sont à même d’en apporter.
M. François Autain, président. – De fait, on ne peut pas incriminer des responsables administratifs qui n’ont pas la compétence requise. Le professeur Jean-Michel Alexandre, directeur de l’évaluation à cette époque, soulignait que le benfluorex n’était pas un anorexigène, mais un antidiabétique mal étudié. Il maintient encore cette position aujourd’hui. Ce constat suffit à expliquer les errements auxquels a été soumis le Mediator. Les dérives paraissaient donc inévitables.
L’évaluation demandée par Martine Aubry s’est terminée dans les années 2000 et le directeur de la sécurité sociale a demandé aux différents ministres qui se sont succédé de ne plus rembourser le benfluorex, parmi d’autres médicaments. Or sa note n’a pas obtenu de réponse. Vous avez été directeur adjoint du cabinet de Bernard Kouchner, ministre délégué à la Santé. Avez-vous eu connaissance de cette note ?
M. Philippe Lamoureux. – Très honnêtement, cette note ne me dit rien. Je voyais passer de nombreuses notes et ce n’était pas dans le champ de mes attributions.
M. François Autain, président. – En 1998, une lettre émanant de trois médecins a été adressée à Jean-René Brunetière, directeur de l’Agence du médicament. La réponse, semble-t-il, n’a pas été rédigée ou a été perdue. Nous avons demandé à Hubert Allemand s’il en avait conservé une trace. Il nous a dit qu’il n’en avait pas trouvé. A votre connaissance, quel traitement a été réservé à cette lettre ?
M. Philippe Lamoureux. – Si ma mémoire ne me trompe pas, cette lettre est datée du 21 septembre 1998. Comme l’indique le Journal officiel, j’ai pris mes fonctions au cabinet de Martine Aubry le 4 octobre. Jean-René Brunetière a adressé ce courrier aux deux directeurs compétents et je n’en étais pas destinataire en copie. Même si j’en avais été destinataire, dans les circonstances dans lesquelles je me trouvais, je n’aurais pas eu connaissance de la réponse.
Mme Marie-Christine Blandin. – A l’époque de l’Agence du médicament, quelle personne, dans l’organigramme, était chargée de vérifier la bonne tenue des liens d’intérêts, leur actualisation et les comportements induits, c’est-à-dire la sortie au moment des votes de toute personne ayant des conflits d’intérêts pour une décision ?
M. Philippe Lamoureux. – Au moment de sa création, en 1993-1994, l’une des tâches premières de l’agence a consisté à mettre en place une politique de déclarations, en matière de liens d’intérêts. Cette politique, embryonnaire ou artisanale, était encore insuffisante. Depuis, elle s’est beaucoup développée. De fait, l’agence a été la première à demander les liens d’intérêts et à les publier régulièrement, en annexe à son rapport d’activité. Un magistrat a été spécifiquement recruté pour déployer ce dispositif et installer des règles qui, depuis, ont fait florès.
Mme Marie-Christine Blandin. – Les salariés mandatés au sein du Leem pour suivre un médicament et en faire la promotion rendent-ils compte, dans leurs entreprises, de leurs rendez-vous avec les représentants de la puissance publique ?
M. Philippe Lamoureux. – Il faudrait poser la question dans chaque entreprise concernée. Le Leem entretient, bien sûr, des contacts avec les représentants de la puissance publique. Ses instances se réunissent de façon très régulière, notamment au sein d’un bureau et d’un conseil d’administration. Il va de soi que les rendez-vous publics permettent de diffuser et de fluidifier l’information, ce qui correspond au rôle du Leem.
Mme Marie-Christine Blandin. – Avez-vous des propositions concrètes à soumettre pour éviter de nouveaux dysfonctionnements, à l’avenir ? Préconisez-vous le développement d’une expertise indépendante des laboratoires, conduite par des experts publics, en dehors de tout lien d’intérêts ? Comment imaginer une meilleure coordination entre les structures existantes ?
M. Philippe Lamoureux. – Ce questionnement fait partie des sujets sur lesquels nous réfléchissons. De fait, nous avons des propositions à effectuer. Cependant, il appartient au Leem de s’en expliquer. Il convient, à mon sens, de ne pas mélanger les deux exercices.
M. François Autain, président. – Votre passé, notamment à l’Agence du médicament, a-t-il constitué une aide dans l’exercice de vos fonctions actuelles ? Le Leem bénéficie de votre expérience. Comment peut-on, le cas échéant, caractériser ce bénéfice ?
M. Philippe Lamoureux. – Durant mes vingt années d’exercice dans la fonction publique, je ne me suis jamais trouvé en situation de conflits d’intérêts. Lorsque j’ai quitté la fonction publique pour rejoindre le Leem, je me suis interrogé. Un décret de 2007 concernant les conflits d’intérêts fixe un certain nombre de règles. Il est convenu qu’une personne ne peut pas rejoindre une entreprise sur laquelle, durant les trois années précédentes, elle a pu exercer des fonctions de contrôle ou de tutelle. En ce qui me concerne, il s’est écoulé dix ans entre mes fonctions à l’Agence du médicament et mon arrivée au Leem. Mes connaissances devenaient donc un peu obsolètes d’autant plus qu’en 1998, le paysage a été complètement bouleversé.
Par ailleurs, je n’ai pas rejoint une entreprise mais un syndicat professionnel, ce qui ne correspond pas tout à fait au même statut juridique. Enfin, j’ai pris la précaution de solliciter mon corps d’origine, l’Inspection générale des affaires sociales, pour qu’elle recueille l’avis de la Commission de la déontologie. Saisie sur ma situation, celle-ci a rendu un avis favorable.
Les éventuels réseaux personnels n’apportent pas grand-chose aux industriels du médicament. Ceux-ci n’en ont pas besoin pour connaître le champ de la réglementation pharmaceutique. La démarche du Leem, lorsque j’y suis entré, consistait à recruter un professionnel faisant preuve d’une véritable compétence dans le domaine de la santé publique, et à envoyer un message d’ouverture à un milieu qui lui reproche souvent de rester en circuit fermé.
Travailler à l’apport d’innovations thérapeutiques, dans un secteur qui emploie plus de 100 000 salariés, me semblait un challenge important. Ce secteur ne me semblait pas tellement éloigné d’une activité au service de l’intérêt général. Notre pays possède des atouts qu’il est essentiel de développer dans un contexte de compétition qui ne concerne plus seulement les entreprises mais les Etats.
Audition de M. Philippe Lechat, directeur de l’évaluation des médicaments et des produits biologiques à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps)
M. François Autain, président. – Je vous informe que cette audition est ouverte à la presse et donne lieu à un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur Public Sénat et sur le site Internet du Sénat. En application de l’article L. 4113-13 du Code de la santé publique, je vous demande de faire connaître, le cas échéant, vos liens d’intérêts avec des entreprises produisant ou exploitant les produits de santé ou des organismes de conseils intervenant sur ces produits.
M. Philippe Lechat. – Je n’ai aucun lien d’intérêt avec l’industrie depuis que je suis à l’Afssaps.
M. François Autain, président. – Cependant, vous avez eu des liens d’intérêts avec l’industrie, dans le passé. J’ai consulté vos déclarations publiques d’intérêts à l’Afssaps, sur le site Internet de cet organisme, et j’ai constaté qu’elles étaient lacunaires, voire contradictoires ou parfois absentes. Cette audition est l’occasion de vous demander les raisons d’une telle situation.
Avant d’être directeur de l’évaluation, vous étiez membre de la Commission d’AMM. En 2004, vous n’avez effectué aucune déclaration. En 2005, vous avez publié une déclaration le 2 avril, dans laquelle vous faites état de l’existence de six liens d’intérêts, et l’autre le 8 septembre, où vous déclarez ne plus avoir aucun lien d’intérêts. En quelques mois, ces liens ont donc disparu comme par enchantement, ce qui mérite quelques explications : selon la pratique anglo-saxonne, il convient d’évoquer les liens d’intérêts qui existaient dans les cinq ans précédant une prise de fonctions. En 2006, la déclaration dément celle du 8 septembre 2005 puisqu’elle fait état de quatre liens avec le laboratoire Merck et d’un lien direct avec Astrazeneca, en 2005. Certaines données ne paraissent donc pas cohérentes.
M. Philippe Lechat. – Je suis membre de la Commission d’AMM depuis fin 2006. J’ai pris mes fonctions, en tant que directeur, en juillet 2007. Plusieurs années auparavant, j’avais été nommé membre du groupe de travail sur la thrombose.
M. François Autain, président. – C’est donc à ce titre que vous avez déclaré vos liens d’intérêts.
M. Philippe Lechat. – Oui. Il est possible que j’aie oublié de déclarer des liens d’intérêts. Ceux que j’ai déclarés, durant cette période, étaient en rapport avec des études de recherche clinique que j’ai essentiellement menées sur les bétabloquants, dans le domaine de l’insuffisance cardiaque, et plus généralement sur les anti-thrombotiques. L’issue d’une étude peut s’accompagner d’une ambiguïté sur le terme d’un conflit d’intérêts. Cependant, je suis prêt à vous fournir toutes les informations nécessaires.
M. François Autain, président. – De fait, je ne m’explique pas certaines lacunes. Au niveau européen, vous avez déclaré des liens d’intérêts avec un laboratoire pour des recherches dans le domaine de l’hypertension, mais vous n’avez pas déclaré vos liens d’intérêts avec Sanofi-Aventis. Ces déclarations d’intérêts remontent à 2008 et 2010.
M. Philippe Lechat. – J’ai mené cette étude avant mon arrivée à la direction de l’évaluation, à l’Afssaps. Elle portait sur un produit élaboré par Sanofi-Aventis, l’Enoxaparine, intitulé Lovenox sur le marché. Cette étude n’était pas promue par ce laboratoire mais par la Société française de cardiologie. J’ai donc déclaré ce lien d’intérêts à l’Afssaps mais je n’ai pas effectué de déclaration à l’Agence européenne car l’on y déclare uniquement les liens avec des promoteurs industriels.
M. François Autain, président. – Il me semble que vous jouez sur les mots. Qui finance la Société française de cardiologie ? Le laboratoire Sanofi-Aventis, et parfois les laboratoires Servier, contribuent à ce financement.
M. Philippe Lechat. – Cette étude portait sur l’adaptation de doses à des patients qui reçoivent de toute façon le produit. Elle visait donc à améliorer leur prise en charge.
M. François Autain, président. – Néanmoins, vous auriez dû déclarer ces liens d’intérêts. Dans la foulée, vous avez été chargé d’une mission en tant que corapporteur sur la crise des héparines. Auriez-vous obtenu cette nomination si vos liens d’intérêts avec Sanofi-Aventis, même par l’intermédiaire de la Société française de cardiologie, avaient été connus ? Ces liens n’ont-ils pas obéré les résultats de cette mission ?
M. Philippe Lechat. – Aucunement. Les deux problèmes sont complètement différents. Je me suis occupé de l’affaire des héparines parce que je connaissais bien le dossier, ayant travaillé sur ce sujet. Le laboratoire Sanofi-Aventis est le principal producteur des héparines, au niveau mondial.
Il n’existe aucun lien entre l’étude que j’avais effectuée sur l’Enoxaparine et la gestion de cette crise, liée à la falsification de la matière première des héparines chinoises : Jean Marimbert et moi-même avons oeuvré à gérer au mieux cette grave affaire.
M. François Autain, président. – Vous estimez donc que l’homme qui travaille pour Sanofi-Aventis n’est pas le même que l’homme appelé à travailler pour la puissance publique. Dans ce cas, je vous admire, Monsieur le Professeur.
M. Philippe Lechat. – Mon travail de chercheur hospitalo-universitaire est antérieur à mon arrivée à l’Afssaps. Dès lors, j’ai demandé à la Société française de cardiologie de me démettre de ma fonction d’investigateur principal pour cette étude.
M. François Autain, président. – Néanmoins, vous figurez toujours sur le fichier gouvernemental des Etats-Unis comme investigateur.
M. Philippe Lechat. – Oui, dans la mesure où nous avions déclaré cette étude, à l’origine.
M. François Autain, président. – Ce mélange des genres est à la fois peu clair et inconfortable, compte tenu du poste que vous occupez à l’Afssaps. Dans un tel contexte, j’estime injuste qu’Anne Castot ait été remerciée de ses fonctions.
Je vous propose, si vous le souhaitez, d’effectuer une intervention liminaire.
M. Philippe Lechat. – Je vous propose de résumer ma position concernant l’affaire du Mediator, dans la mesure où Aquilino Morelle m’a demandé de rédiger la note de pharmacologie concernant ce produit.
Pour bien comprendre ce qui s’est produit, il est nécessaire de remonter aux années 60. A cette époque, les laboratoires Servier, qui s’intéressent à la problématique des anorexigènes et des amphétaminiques, découvrent des molécules qui possèdent uniquement la propriété anorexigène des amphétamines, sans y associer leur propriété stimulante pour le système nerveux central.
Dès lors, quelque 250 molécules sont développées, à partir d’une même molécule de base, la norfenfluramine. Le Ponderal apparaît en 1965 et le Mediator en 1974. Selon une stratégie industrielle, ce produit est volontairement développé pour répondre à une indication thérapeutique différente du Ponderal, relative aux troubles du métabolisme : c’est dans ce contexte d’ambiguïté que débutent les problèmes.
Dès 1968, il est constaté que les anorexigènes peuvent engendrer des effets nocifs. En Autriche et en Suisse, l’Aminorex est retiré du marché, en lien avec une épidémie d’hypertension artérielle pulmonaire. Par la suite, en 1985, les laboratoires Servier réintroduisent l’Isoméride sur le marché : entre 1985 et 1995, ce produit est largement utilisé, accompagné par un marketing intense.
Cependant, des cas d’hypertension artérielle pulmonaire conduisent le professeur Lucien Abenhaïm à effectuer une étude et à démontrer l’association entre les fenfluramines et l’hypertension artérielle pulmonaire. En 1997, à peine deux ans après son introduction, le produit est retiré du marché américain, des problèmes valvulaires ayant été constatés sur des patients. En France, l’Isoméride est simultanément suspendue. A cette époque, les notifications de valvulopathie associées à ce médicament demeurent rares. Mais le Mediator reste présent sur le marché.
En 1999, à la suite d’un débat européen sur les anorexigènes, ceux-ci sont retirés du marché : on invoque la toxicité des fenfluramines et l’inefficacité des autres anorexigènes. Etrangement, le benfluorex échappe à cette épuration. Dans le doute relatif à la toxicité valvulaire du produit, une étude est demandée mais elle n’est pas réalisée : les laboratoires Servier traînent, et l’Afssaps ne se montre pas suffisamment réactive. Par ailleurs, les cas rapportés d’hypertension artérielle pulmonaire sont plus rares avec le Mediator qu’avec l’Isoméride. Or l’agence est davantage obnubilée par cette pathologie que par les valvulopathies. Dans les deux cas, les notifications liées au Mediator restent limitées. Ce produit reste sur le marché.
Progressivement, des notifications sont diffusées. En 2008-2009, Irène Frachon effectue un travail de recherche à la fois rétrospectif et prospectif, à partir des bases de données : elle retrouve de nombreux cas de valvulopathies opérées chez des patients ayant eu recours au Mediator.
En septembre 2009, à l’occasion de son étude cas-témoin, je reçois Irène Frachon. De toute évidence, il faut retirer le produit du marché : ce retrait est effectué en novembre. En août 2010, sur la base d’une étude rennaise, le député Gérard Bapt évoque l’hypothèse de 500 à 1 000 décès liés au Mediator. Je demande alors à la Caisse nationale d’assurance maladie une étude complémentaire sur les cas d’hospitalisations chez les diabétiques, et la mortalité dans ce contexte.
Mme Marie-Thérèse Hermange. – Vous avez déclaré que l’Afssaps n’avait pas retiré le médicament en 1999 parce qu’elle s’était « endormie » et que « les équipes qui se trouvaient en charge de l’évaluation à cette époque auraient dû réagir mais ne l’ont pas fait. » Quelles étaient, selon vous, les causes de cette « somnolence » ? En 2006, le Professeur Jean-Louis Montastruc, chef de pharmacologie clinique au CHU de Toulouse, avait publié une étude faisant état d’un lien entre l’utilisation du Mediator et la valvulopathie. Où faut-il identifier les dysfonctionnements ?
M. Philippe Lechat. – Les laboratoires Servier ont fait en sorte de présenter le médicament comme différent des autres anorexigènes. L’ensemble de la communauté scientifique n’a pas considéré suffisamment le fait que ce produit était susceptible d’engendrer les mêmes complications. Elle n’avait pas les mêmes craintes vis-à-vis du Mediator et de l’Isoméride. En Italie, la proximité du Mediator avec les anorexigènes a été soulignée. Cependant, ces voix n’ont pas été entendues.
M. François Autain, président. – Le professeur Garattini n’a pas été le premier à effectuer ce constat. Dès 1977, dans la revue Pratiques, des médecins généralistes avaient déjà identifié le produit. Ces modestes pharmacologues ont bien fait leur travail. Comment expliquer que, par la suite, de grands pharmacologues ne soient pas parvenus au même constat ?
M. Philippe Lechat. – Ces médecins généralistes ont peut-être été guidés par la terminologie de la substance active utilisée, c’est-à-dire le benfluorex.
Mme Marie-Thérèse Hermange. – En 2006, le professeur Montastruc publiait un article sur un cas de valvulopathie sous Mediator.
M. Philippe Lechat. – Cependant, il n’est pas allé plus loin, à l’instar d’Irène Frachon. Je lui ai d’ailleurs posé la question. Pourquoi personne n’a-t-il effectué en 2006 le travail qu’Irène Frachon a fourni en 2009 ? Je n’ai pas obtenu de réponse.
M. François Autain, président. – Nous sommes habitués à cette absence de réponse. Personne n’a rien vu, personne n’était là au bon moment.
M. Philippe Lechat. – L’Afssaps n’a pas positionné correctement le produit, et n’a pas effectué d’alerte.
M. François Autain, président. – Le directeur de l’Agence du médicament a déclaré qu’il n’était pas au courant. Il affirme qu’il ne savait pas que le benfluorex existait.
M. Philippe Lechat. – De fait, sa proximité avec le Mediator n’ayant pas été mentionnée, ce produit n’a pas été soupçonné d’engendrer les mêmes lésions. La pharmacovigilance ne pouvait pas remonter un signal que les médecins ne notifiaient pas, puisqu’ils n’étaient pas avertis : ils n’avaient aucune raison de relier une valvulopathie au Mediator.
M. François Autain, président. – Pire, pendant trente ans, l’hypertension artérielle pulmonaire et la valvulopathie n’ont jamais figuré, dans le résumé des caractéristiques du produit, parmi les effets indésirables du produit. Cela ne vous paraît-il pas extraordinaire ? C’est bien la Commission d’AMM qui réalise les fiches.
M. Philippe Lechat. – Nous sommes d’accord. Cependant, quand un médicament déjà ancien se trouve déjà positionné, avec sa définition et ses indications, on ne refait pas toute l’histoire. Ce produit, rappelons-le, était présent depuis 1975 sur le marché et aucun événement indésirable n’était notifié. Or la notification est basée sur les déclarations spontanées des médecins, qui effectuent des notifications s’ils sont avertis. Tel n’était pas le cas.
En 2006, dans les bases de données de la Cnam, parmi les 300 000 patients qui prenaient du Mediator, 300 personnes ont subi un remplacement valvulaire dans les années suivantes. Ce nombre peut être rapporté aux 5 millions de patients ayant utilisé ce produit, et aux trente-trois années pendant lesquelles il a été commercialisé. Si l’on multiplie le nombre de 300 patients opérés par 15, on obtient quelque 4 000 cas. Cela signifie qu’environ 4 000 patients, en France, ont probablement subi un remplacement valvulaire alors qu’ils avaient pris du Mediator. Or, un ou deux cas seulement ont été notifiés à l’agence.
M. François Autain, président. – Cette sous-notification est avérée. Cependant, dès 1999, le premier cas de valvulopathie a été découvert dans ce contexte, à Marseille, de même que le premier cas d’hypertension pulmonaire artérielle à l’hôpital Antoine-Béclère. Dans le Vidal, ces effets indésirables n’étaient pas mentionnés : ces médecins ne les ont pas trouvés.
Une telle absence d’indications pouvait se comprendre, à cette époque, mais elle reste incompréhensible pour les années postérieures. Il aurait été nécessaire d’intégrer ces effets indésirables dans la fiche concernant ce produit mais cette démarche n’a jamais été effectuée, ce qui est inexplicable et même inadmissible. Si cette mention avait été faite, des médecins plus nombreux auraient probablement fait le lien entre des cas de valvulopathie et la prise du médicament.
Cette carence constitue une faute grave, de la part des responsables qui établissent les fiches du Vidal même si, lors de leur conception, l’avis du laboratoire est demandé. Quand un laboratoire s’oppose à la proposition de la Commission d’AMM, la fiche est corrigée.
S’agissant du Mediator, il suffit de consulter les annexes du rapport. Celles-ci comportent des injonctions inadmissibles du laboratoire vis-à-vis des rédacteurs des fiches. Ces injonctions sont suivies d’effets puisque les rédacteurs ont tendance à les respecter. A plusieurs reprises, ceux-ci ont demandé à inscrire le Mediator comme un anorexigène, ce que le laboratoire a toujours refusé. Les rédacteurs ont toujours obéi, ce qui est inadmissible.
M. Philippe Lechat. – Je suis d’accord avec vous. Cependant, la question consiste à déterminer pourquoi les complications valvulaires et l’hypertension pulmonaire n’ont pas été inscrites par l’agence dans le résumé des caractéristiques du produit, c’est-à-dire dans l’AMM.
M. François Autain, président. – Les laboratoires Servier s’y opposaient, c’est clair. Or combien de morts fallait-il pour réagir ? Un mort aurait pu suffire, d’autant plus que ce médicament ne servait à rien.
Mme Marie-Thérèse Hermange. – L’Afssaps est-elle indépendante des études menées par les laboratoires ? Si ce n’est pas le cas, comment remédier à cette situation ?
M. Philippe Lechat. – Les laboratoires nous fournissent les études qu’ils effectuent dans le cadre du développement d’un produit. Il nous appartient ensuite d’analyser ces études, grâce à des évaluateurs internes et des experts externes. Les laboratoires chercheront toujours à valoriser leurs produits. De notre côté, nous devons résister. L’Afssaps doit être indépendante de l’industrie pharmaceutique, dans ses interprétations.
M. François Autain, président. – Malheureusement, ils ne rencontrent guère de résistance. Les laboratoires n’ont pas de mérite, dans ce contexte, à remporter la partie.
Mme Marie-Thérèse Hermange. – Plusieurs pays européens ont retiré le Mediator du marché. Comment expliquez-vous que la coordination européenne n’ait pas incité la France à la suspension du produit ?
M. Philippe Lechat. – A mon sens, l’année 1999 constitue la période-clé. A la suite du débat européen, le produit aurait dû être suspendu.
M. François Autain, président. – Malheureusement, plutôt qu’un débat, il s’agissait d’un enlisement.
M. Philippe Lechat. – En 2003, le produit a été retiré du marché en Espagne, simultanément à un cas de valvulopathie opérée. En Italie, ce retrait a été effectué en 2005.
M. François Autain, président. – De fait, en Espagne, un seul cas a suffi.
M. Philippe Lechat. – Oui, cette critique est recevable.
Mme Marie-Thérèse Hermange. – Pourquoi ce produit n’a-t-il pas été retiré en 1999 ?
M. Philippe Lechat. – Nous avions tous les éléments pour prendre une telle décision. En Italie, la démonstration avait été effectuée : elle montrait que la structure chimique du produit était très proche de celle des anorexigènes, ce qui pouvait engendrer le même type de complications. Jean-Michel Alexandre, président de la Commission de vigilance à l’Agence européenne du médicament, était mon prédécesseur à l’Afssaps. Pourquoi n’a-t-il pas pris cette décision ? Cela reste difficile à comprendre.
M. François Autain, président. – Postérieurement, Eric Abadie a succédé à Jean-Michel Alexandre, puis Jean-Hugues Trouvin.
M. Philippe Lechat. – Non, le professeur Abadie n’était pas directeur de l’évaluation des médicaments. Il occupait le poste de directeur de l’évaluation thérapeutique. En outre, il représentait la France au Committee for Medicinal Products for Human Use (CHMP).
Mme Marie-Thérèse Hermange. – Pour l’avenir, vous appelez à une « révolution » du contrôle du médicament par un développement des études sur une base de données, ainsi qu’à une réforme de la direction de la pharmacovigilance. Pourriez-vous exposer vos idées concrètes sur ces points ? Imaginons que je sois pharmacologue et que je publie, dans un bulletin indépendant, une liste de produits à éviter. Comment cette liste pourrait-elle parvenir à l’Afssaps ? Dès lors qu’une suspicion est exprimée, quel dispositif mettre en place pour évaluer la nécessité à retirer ou non tel produit du marché ? Autrement dit, faudra-il d’autres affaires pour qu’enfin, le système fonctionne ?
M. Philippe Lechat. – A l’origine d’un tel problème, personne ne se trouve isolé. La plupart des problèmes possèdent une dimension internationale. Nos informations sont multiples, notamment la base de pharmacovigilance, qu’elle soit française ou européenne, mais aussi la base des essais cliniques et l’ensemble des publications effectuées dans le monde. Des discussions et des interrogations s’expriment entre les agences. Ainsi, l’Afssaps a signé un accord de confidentialité avec la Food and Drug Administration (FDA). Nous consultons cette instance, en cas de questionnement.
L’interrogation des bases de données fournit, à mon sens, un apport extrêmement important. En France, l’interrogation de la base de la Cnam a puissamment conforté le signal exprimé, en termes de pharmacovigilance. Cette possibilité, très récente, date de 2008. Auparavant, il n’était pas possible de créer un chaînage entre le système national d’informations inter-régions d’assurance maladie (Sniram) pour les prescriptions, les programmes de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) pour les causes d’hospitalisation et les données de l’Insee concernant la mortalité, exploitables depuis 2010.
Si, pour n’importe quel signal, l’interrogation des bases de données peut compléter cette alerte, la réaction prendra de la puissance. Concrètement, lorsqu’un médecin constate des faits troublants, son premier réflexe doit consister à joindre le centre régional de pharmacovigilance. Celui-ci analyse les informations, les fait remonter et l’Afssaps interroge la base européenne et les bases d’essais cliniques. Cet ensemble de moyens permet de répondre rapidement au questionnement. Ainsi, le retrait récent de la rosiglitazone résulte d’une cinquantaine d’études, centrées durant dix ans sur la recherche d’une éventuelle surmorbidité cardio-vasculaire : l’accumulation de ces informations a démontré que la balance bénéfices/risques, pour ce médicament, n’était plus favorable.
Etant donné les outils dont nous disposons, la question porte donc, pour l’essentiel, sur notre capacité d’organisation et d’interrogation informatique. L’Afssaps et la Cnam élaborent un projet de convention, pour permettre une interrogation plus efficace de ces bases. Celles-ci, cependant, fournissent uniquement des informations sur des événements graves, c’est-à-dire les hospitalisations. Il conviendrait, à titre complémentaire, d’utiliser le dossier médical (DM) en concertation avec les médecins et les pharmaciens et de prendre en compte les données cliniques sur les pathologies, sous couvert de confidentialité.
M. Gilbert Barbier. – Durant plusieurs années, des alertes sur les cas d’hypertension artérielle pulmonaire ont été effectuées. Dans plusieurs pays voisins, l’Italie, la Suisse et l’Espagne, le Mediator a été interdit. Comment expliquer que la France n’ait pris en compte que des données purement hexagonales ?
Par ailleurs, l’hypertension artérielle pulmonaire constitue une affection extrêmement grave, étudiée périodiquement dans le cadre de la Société française de cardiologie. Depuis 1995, ce problème semble avoir été occulté dans une instance qui réunit l’ensemble des cardiologues.
Enfin, la publication par l’Afssaps d’une liste de soixante-dix sept médicaments sous surveillance a-t-elle un rapport avec l’affaire du Mediator ?
M. Philippe Lechat. – S’agissant de l’Isoméride, dont la commercialisation s’est étendue de 1985 à 1997, plus de 150 cas d’hypertension artérielle pulmonaire ont été notifiés en France. Le premier cas relié au Mediator a été notifié en 1999. Jusqu’en 2006, cinq cas ont été ainsi relevés, dont l’interprétation s’est sans doute révélée difficile dans la mesure où de nombreux patients avaient pris les deux médicaments : le Mediator étant mal positionné, on incriminait plutôt l’Isoméride.
M. François Autain, président. – Dès 1998, onze cas étaient identifiés, pour lesquels une association entre l’Isoméride et le Mediator était relevée.
M. Philippe Lechat. – Cependant, la seule publication évoquant un lien entre l’hypertension pulmonaire artérielle et la prise de Mediator date de 2009 : cinq cas ont été publiés par l’équipe de l’hôpital Antoine-Béclère. Parallèlement, des centaines de notifications relatives à l’association entre cette pathologie et la prise d’Isoméride étaient effectuées. Cette différence quantitative a induit en erreur.
M. François Autain, président. – Certains pays n’attendent pas la multiplication des cas pour interdire un produit. Un seul cas peut suffire pour prendre une décision qui relève du principe de précaution, surtout lorsque l’on sait que le SMR d’un médicament est insuffisant.
M. Philippe Lechat. – Encore faut-il avoir bien identifié ce médicament comme potentiellement susceptible de générer le même type de complications qu’un produit proche.
M. François Autain, président. – Lors de l’introduction d’un médicament sur le marché, le rapport bénéfices/risques est présumé, même s’il ne constitue pas une certitude. Pour cette raison, des plans de gestion des risques sont prescrits. Dans ce cas, lorsqu’il s’agit de retirer un produit du marché, pourquoi ne se contente-t-on plus de présomptions mais de certitudes ? Pourquoi, cette fois, faut-il attendre que des risques avérés soient notifiés ? Cette asymétrie reste incompréhensible, sauf à conclure que l’intérêt du laboratoire prévaut sur celui du malade.
Mme Marie-Thérèse Hermange. – La jurisprudence du Conseil d’Etat exige-t-elle des certitudes scientifiques pour fonder le retrait d’un médicament ?
M. Philippe Lechat. – Dans le cas du Mediator, un ou deux cas étaient notifiés. Cependant, les instances n’ont pas considéré que ce produit, dont la molécule présentait une proximité avec les anorexigènes, pouvait être incriminé : ce médicament était considéré, à tort, comme un produit différent. Le raisonnement, dans le domaine de la pharmacovigilance, relève de la pharmaco-épidémiologie : il consiste à comparer les effets attendus aux effets observés. On retire un produit si la fréquence des événements paraît nettement supérieure à ce qui est attendu.
Par ailleurs, une fois l’AMM édictée, il est considéré qu’un médicament produit un minimum d’effet thérapeutique. La suspension d’un médicament est essentiellement liée à ses risques induits, plutôt qu’à son manque d’efficacité. Et pour qu’un produit soit retiré, la jurisprudence exige de nouvelles données relatives à ses risques.
Si ce paradigme peut changer, la situation évoluera favorablement. L’Afssaps bénéficiera d’une latitude supplémentaire afin de retirer du marché des produits pour lesquels les bénéfices ne sont plus à la hauteur des progrès de la médecine, et le niveau de risques n’est pas admissible.
M. François Autain, président. – Néanmoins, je n’ai pas l’impression que la crainte du Conseil d’Etat a été à l’origine de l’inertie constatée pour le Mediator.
Mme Marie-Thérèse Hermange. – Parmi la liste des soixante-dix sept médicaments sous surveillance, comme le Celebrex, quelle procédure concrète sera-t-elle mise en oeuvre pour évaluer tel médicament et, le cas échéant, le retirer du marché ?
M. Philippe Lechat. – Une fois qu’un médicament est introduit sur le marché, il est régulièrement surveillé. Le laboratoire doit fournir des rapports de sécurité. Au bout de cinq ans, le renouvellement définitif du produit est examiné. Si le rapport bénéfices/risques reste considéré comme favorable, ce renouvellement est agréé. Etant donné le volume des informations dont les experts disposent, ce système me paraît relativement satisfaisant.
M. François Autain, président. – Les informations disponibles pour le Mediator étaient-elles suffisantes ?
M. Philippe Lechat. – Le problème posé par le Mediator est beaucoup plus ancien. Aujourd’hui, lorsque le laboratoire dépose son produit, le niveau d’exigence présidant à sa validation est bien supérieur. Des études complémentaires sont demandées aux laboratoires. Cette évaluation est effectuée à un échelon international. Un médicament comme le Celebrex, dont la validation a été renouvelée après cinq ans de commercialisation, ne peut être retiré qu’à certaines conditions. D’une part, les notifications peuvent montrer des effets indésirables plus importants que ses effets attendus dans cette classe de médicaments. D’autre part, des études cliniques réalisées par le laboratoire, afin d’étendre l’utilisation du médicament pour traiter d’autres pathologies, peuvent révéler des effets indésirables non détectés jusqu’ici : c’est dans ce contexte que le Vioxx a été retiré du marché.
M. Gilbert Barbier. – Pouvez-vous revenir sur les travaux de la Société française de cardiologie ?
M. Philippe Lechat. – S’agissant de l’hypertension artérielle pulmonaire, le réseau des centres de référence, très structuré, se montre extrêmement attentif. Plusieurs études ont été coordonnées par l’hôpital Antoine-Béclère, notamment en 2005. Or elles ne faisaient pas ressortir un problème particulier relatif au Mediator. En 2009, cinq ou six cas ont fait l’objet d’une publication.
En ce qui concerne la chirurgie cardiaque, la lésion, au niveau de la valve, est relativement spécifique : il s’agit d’une fibrose. Les valves, moins souples, se ferment plus difficilement et fuient.
A l’occasion de remplacements valvulaires, des chirurgiens peuvent observer l’aspect des valves. Ainsi, certaines anomalies ont pu être caractérisées comme typiques du Mediator. Néanmoins, dans de nombreux cas, cette observation était moins évidente : la fibrose pouvait également résulter d’une dégénérescence des tissus. De ce fait, des praticiens n’ont pas réagi. Les cardiologues qui constatent une fuite valvulaire, s’ils ne sont pas sensibilisés aux effets indésirables dudit médicament, n’effectuent probablement pas de notification. Il en va de même pour les chirurgiens cardiaques.
Mme Nathalie Goulet. – Au cours des différentes auditions, nous avons progressivement admis de ne pas obtenir de réponse à nos questions. Ainsi, selon vos propos, les laboratoires Servier ont fait en sorte que la présentation du Mediator conduise les instances à ne pas effectuer de contrôle. Ce défaut d’évaluation pourrait-il se reproduire aujourd’hui ? Pourrait-il mener à de tels manquements ? Certes, l’Afssaps a effectué une « erreur d’aiguillage » dans le positionnement du produit. Cependant, selon le professeur Montastruc, l’évaluation des médicaments manque d’informations transversales et la culture du risque reste insuffisamment développée. Concrètement, comment les risques sont-ils évalués ?
M. Philippe Lechat. – En 1974, quand les laboratoires Servier ont déposé son dossier d’AMM, son dossier était conforme aux attentes. Les études déposées sur ce médicament démontraient un effet. Le tort des laboratoires Servier est d’avoir omis de présenter d’autres études qui prouvaient ses effets anorexigènes, ni de données comparatives. Aujourd’hui, la législation a évolué. Un laboratoire doit présenter l’ensemble des données relatives à un produit, même celles qui ne correspondent pas à l’indication qu’il soumet.
M. François Autain, président. – Néanmoins, si les laboratoires ne présentent pas l’ensemble des données, aucune sanction n’est retenue contre eux. De même, aucune sanction n’est retenue contre les experts qui ne déclarent pas leurs liens d’intérêts.
M. Philippe Lechat. – Il est vrai que l’enseignement médical favorise surtout le diagnostic. La thérapeutique reste un peu moins abordée, et la gestion du risque médicamenteux est sans doute insuffisamment traitée. Lorsque j’étais cardiologue à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière, mon équipe et moi-même n’étions pas, au premier chef, préoccupés par cette notion. Il semble utile de valoriser la notion de rapport bénéfices/risques.
Etant donné le temps imparti à ces auditions, je vous propose que vous répondiez par écrit à la question posée sur les procédés d’évaluation à l’Afssaps.
Mme Marie-Christine Blandin. – Lorsqu’une commission rend un avis d’évaluation, fait-on sortir de la salle les personnes qui ont déclaré des liens d’intérêts ?
Par ailleurs, l’environnement que vous évoquez semble favorable à des prises de décisions pertinentes. Or celles-ci n’ont pas été prises. Le 16 avril 1997, l’agence souhaite modifier l’AMM. Pourtant, le 5 juin, elle annule cette modification. Le 24 avril 2000, malgré la demande des laboratoires Servier, l’agence refuse que le Mediator soit désormais considéré un antidiabétique de premier rang. Le recours de l’industriel est rejeté le 11 décembre. Finalement, en juin 2001, l’AMM considère le Mediator comme un adjuvant du régime du diabète.
Dans les collectivités territoriales, lorsqu’un appel d’offres est effectué pour la construction de bâtiments publics, il est interdit à nos directeurs de rencontrer les postulants. Je serais donc curieuse de connaître les agendas des experts qui ont changé d’avis sur le Mediator. Les rendez-vous entre un représentant d’un laboratoire et un expert se déroulent-ils en tête à tête ? Ont-ils lieu en présence de plusieurs personnes ?
M. Philippe Lechat. – Je peux difficilement évoquer, de manière détaillée, les rendez-vous qui ont été pris à cette époque. Actuellement, lorsque des industriels sont reçus à l’Afssaps, la réunion comporte plusieurs personnes. Toutes les réunions donnent lieu à un compte-rendu. Cependant, les agendas des experts ne sont pas contrôlés.
S’agissant du Mediator, la Commission d’AMM avait voté en défaveur du maintien d’une indication relative au diabète. Celle-ci a ressurgi par le biais d’une lettre d’Arielle North relative à la notice et à l’étiquetage du produit. Cet épisode est particulièrement complexe. Il résulte probablement d’une influence des laboratoires Servier.
M. Bernard Cazeau. – Comment la première estimation de l’Afssaps, concernant le nombre de décès liés au Mediator, a-t-elle été effectuée ? En novembre 2010, cette estimation portait sur 500 décès. Puis on a évoqué quelque 2 000 décès. Les méthodologies utilisées étaient-elles différentes ?
M. Philippe Lechat. – J’ai interrogé la Cnam et j’ai effectué moi-même cette estimation. La Cnam recensait en 2006 une cohorte de quelque 300 000 patients ayant pris du Mediator, et qui ont été suivis jusqu’en 2010. Parmi cette cohorte, soixante-quatre décès ont été recensés : quarante-cinq décès étaient imputables, directement ou indirectement, à une pathologie valvulaire.
Deux études, l’une menée précédemment par la Cnam et l’autre par Irène Frachon, avaient démontré qu’en cas de prise du Mediator, le risque de valvulopathie était multiplié par trois. Par conséquent, si quarante-cinq décès sont imputables à une valvulopathie sous Mediator, cela signifie que trente cas peuvent être attribués à ce médicament. Ces faits-là sont indiscutables.
Sur cette base, comment calcule-t-on l’extrapolation à l’ensemble de la période d’exposition au Mediator ? On estime qu’environ 5 millions de personnes ont reçu du Mediator. Si l’on effectue une règle de trois, le résultat obtenu porte sur quelque cinq cents décès.
L’Afssaps a fait appel à des épidémiologistes confirmés, afin d’estimer ces résultats : il s’agissait de rapporter l’extrapolation à une surmortalité à plus long terme, au-delà de cinq ans. En effet, un patient atteint d’une valvulopathie encourt alors un risque de décès plus élevé. Ce calcul, particulièrement complexe, a donné lieu à d’intenses débats. On peut évaluer cette surmortalité à quelque 2 000 décès. Cependant, s’agissant de personnes qui ne sont pas encore décédées, aucune certitude ne peut être avancée. L’enjeu consiste à suivre et traiter les patients atteints d’une valvulopathie.
M. François Autain, président. – Vous avez pris l’initiative de demander à la Cnam d’effectuer cette étude. Celle-ci a permis de mettre à jour l’ampleur de cette affaire. La méthodologie utilisée, qui s’est révélée efficace, ne peut-elle pas s’appliquer à d’autres médicaments ? La rosiglitazone, utilisée comme antidiabétique, aurait généré aux Etats-Unis quelque 85 000 infarctus du myocarde, selon les dernières études américaines. De même, le professeur Jean-Louis Montastruc a exprimé son inquiétude au sujet de la pioglitazone qui augmente le risque de cancer de la vessie. De telles études pourraient être menées de manière systématique.
M. Philippe Lechat. – En 2010, Anne Castot et moi-même avons demandé à la Cnam l’interrogation de sa base de données pour l’Avandia. Au niveau européen, le vote du CHMP venait déjà d’aboutir au retrait du médicament. L’analyse de la Cnam portait sur les hospitalisations liées à un infarctus du myocarde et comprenait une comparaison entre la pioglitazone et la rosiglitazone. Dans le contexte des conditions d’utilisation, aucune différence n’a été constatée mais ces résultats préliminaires mériteraient d’être peaufinés.
En ce qui concerne la pioglitazone, la Cnam devrait fournir des résultats d’ici la fin du mois.
Si l’accès à ses bases de données peut être systématique, nous y aurons recours. Pour cela, il faut du temps et des moyens financiers.
Audition de MM. Jean-Luc Harousseau, président, François Romaneix, directeur général, et Gilles Bouvenot, président de la Commission de la transparence, de la Haute Autorité de santé (HAS)
M. François Autain, président. – Je vous informe que cette audition est ouverte à la presse et donne lieu à un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur Public Sénat et sur le site Internet du Sénat. En application de l’article L. 4113-13 du code de la santé publique, je vous demande de faire connaître, le cas échéant, vos liens d’intérêts avec des entreprises produisant ou exploitant les produits de santé ou des organismes de conseils intervenant sur ces produits.
M. Jean-Luc Harousseau. Comme je m’y étais engagé lors de ma visite devant la commission des affaires sociales du Sénat, lors de ma prise de fonctions, j’ai effectué une déclaration publique d’intérêts en deux temps. Depuis le 1er février 2011, je déclare ne plus avoir aucun conflit d’intérêts. Dans le passé, de par mes fonctions de médecin oncologiste, j’ai entretenu de nombreux rapports avec plusieurs compagnies pharmaceutiques, dans une visée d’amélioration thérapeutique pour les patients cancéreux. Ces firmes étaient spécialisées dans le développement de molécules anticancéreuses.
Mon autre déclaration d’intérêts, rendue publique sur le site de la Haute Autorité de santé, fait état des rapports personnels que j’ai entretenus avec ces compagnies pharmaceutiques, et des relations indirectes que j’ai nouées en tant que chef du service d’hématologie du CHU de Nantes, directeur du centre anticancéreux de Nantes et président d’un groupement coopérateur de recherche clinique sur le myélome. Ces relations, de par leur diversité et leur nature, m’ont permis de conserver une objectivité dans l’analyse des différents traitements proposés aux patients dont j’avais la responsabilité.
M. François Autain, président. – Il est normal que des médecins travaillent avec des laboratoires. En revanche, un problème se pose lorsque les mêmes médecins ont la charge d’évaluer des médicaments issus de ces laboratoires. Cette dichotomie constitue un exercice particulièrement difficile. Dans les pays anglo-saxons, même si un expert n’a plus de liens d’intérêts durant l’année en cours, il ne doit pas omettre de citer ceux qu’il avait auparavant. En France, nous sommes beaucoup moins exigeants.
Il n’est pas sûr que les pratiques ayant prévalu pour le Mediator n’existent pas encore. Elles sont sans doute plus sophistiquées.
M. Gilles Bouvenot. – Pour ma part, depuis notre précédente rencontre au sujet du virus de la grippe A(H1N1), ma déclaration n’a pas évolué et reste toujours vierge. Cela étant, il est interdit aux membres du collège de la Haute Autorité de santé d’avoir des liens d’intérêts.
M. François Autain, président. – Hélas, tel n’est pas encore le cas pour les membres des commissions.
M. Gilles Bouvenot. – Pour les membres des commissions, l’exercice est beaucoup plus difficile. D’importants efforts ont été effectués. Un bon expert, au sein de la commission de la transparence, est recruté en fonction de sa haute compétence dans sa spécialité et dans tel domaine d’évaluation. En outre, il doit déclarer le moins possible de liens d’intérêts. A l’heure actuelle, la commission de la transparence entretient beaucoup moins de liens d’intérêts que par le passé.
Un médicament est obligatoirement réévalué tous les cinq ans, et parfois plus fréquemment, en fonction du contexte médical. Voici un mois, un médicament anti-ostéoporotique issu des laboratoires Servier, le Protelos, a été évalué. A cette occasion, j’ai été particulièrement attentif aux liens d’intérêts des membres de la commission avec Servier. Seuls deux experts avaient de tels liens, et ils étaient mineurs. L’ensemble des institutions a effectué d’énormes progrès depuis cinq ans. Nous devons beaucoup, pour notre part, à la mise en place d’un collège de déontologie.
M. François Romaneix. En ce qui me concerne, je n’ai pas de conflit d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique. Ma déclaration est publiée sur le site de la Haute Autorité de santé, comme celle de l’ensemble des agents qui concourent à l’évaluation du médicament.
A la suite de notre audition au Sénat, dans le cadre de la grippe A(H1N1), votre rapport avait reconnu l’action menée par la Haute Autorité de santé. En 2006, un premier guide a été élaboré. En 2010, un second guide, plus rigoureux, a également contribué à améliorer la situation. En outre, la mise en place d’un comité de déontologie nous fournit un regard externe sur les évolutions qu’il convient d’apporter, en matière de gestion des conflits d’intérêts. La procédure est fondée sur la responsabilisation des différents acteurs des travaux de la Haute Autorité de santé. Ainsi, le bureau de la commission de la transparence décide, au cas par cas, de retenir ou non un expert, en fonction de la difficulté des sujets. S’agissant des maladies rares, par exemple, il est plus difficile de recruter un expert n’ayant aucun conflit d’intérêts.
M. François Autain, président. – Si vous le souhaitez, vous pouvez effectuer une intervention liminaire.
M. Gilles Bouvenot. – Je vais tenter d’évoquer l’affaire du Mediator telle qu’elle a été vécue au sein de la Haute Autorité de santé. A l’heure actuelle, il paraît facile d’avoir une vision longitudinale des faits, mais nous ne l’avions pas à cette époque où prévalait le morcellement des instances et des périodes. Celui qui s’occupait d’un produit, telle année, n’était pas nécessairement au fait de la situation antérieure.
La commission de la transparence a rendu un premier avis sur le Mediator en 1999.
M. François Autain, président. – Faisiez-vous partie de cette commission ?
M. Gilles Bouvenot. – Non. De 1997 à 2000, j’étais président de l’Observatoire national des prescriptions et consommations des médicaments, mis en place à la suite du rapport Zarifian. Nous avons effectué quatre rapports. L’un d’eux, consacré à l’abus de la prescription et de la consommation d’antibiotiques, a contribué à améliorer la situation.
En 1999, Martine Aubry demande à la commission de la transparence, de manière très pertinente, de procéder à la réévaluation des 4 450 produits figurant sur la liste des médicaments remboursables. Au cours de cette évaluation, qui prend alors deux ans, le Mediator est l’un des premiers médicaments à être étudié. La commission, qui n’a pas connaissance de ses effets indésirables dramatiques, indique que ce médicament est très peu efficace et que sa place dans la stratégie thérapeutique est mal définie.
M. François Autain, président. – Savez-vous alors qu’il s’agit d’un anorexigène ?
M. Gilles Bouvenot. – Je ne peux pas m’exprimer au nom des membres qui participaient à la commission de 1999.
Sur les 4 450 médicaments de la liste, 835 produits se voient attribuer un SMR insuffisant, c’est-à-dire un avis favorable au déremboursement : le Mediator en fait partie. Par la suite, il ne se produit rien d’exceptionnel, hormis une baisse des prix.
En 2003, Jean-François Mattei, ministre de la Santé, demande à revoir la copie. En effet, le Conseil d’Etat a invalidé une décision prise par le ministère, à propos d’un avis de la commission de la transparence considéré comme insuffisamment motivé. Il propose à la commission de la transparence de réévaluer ces 835 médicaments, en trois étapes, depuis les produits les plus simples jusqu’aux produits les plus compliqués à dérembourser. Deux commissions successives s’attachent à ce travail. La première, présidée par le professeur Bernard Dupuis, a déjà procédé à l’évaluation des médicaments entre 1999 et 2001. Quant à la seconde, j’en suis nommé président à la fin de l’année 2003.
L’Autorité française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) constitue le « premier regard » sur les médicaments. La Haute Autorité de santé fournit un « second regard ». Quand des AMM paraissent fragiles parce qu’elles sont très anciennes, la commission de la transparence peut intervenir, à la demande du ministère.
La première étape de l’évaluation concerne une soixantaine de médicaments sur lesquels on a des doutes, en termes d’efficacité. En juin 2003, leur déremboursement est annoncé par le ministère.
En 2005, la deuxième vague concerne 225 médicaments de prescription médicale facultative, susceptibles, après leur déremboursement, d’être utilisés dans le cadre d’une automédication. C’est notamment le cas des veinotoniques.
Le Mediator fait partie d’une troisième vague, en 2006, comportant 85 médicaments. Ce produit de prescription médicale obligatoire (PMO) est l’un des derniers à être évalué. Un phénomène singulier nous amène alors, sur le plan réglementaire, à le considérer comme différent des autres produits.
Normalement, la procédure est simple. Quand un ministre souhaite le déremboursement de certains produits, il autorise les firmes à venir en pré-audition devant la commission, avant que celle-ci ne porte un jugement définitif, afin de nous expliquer que cela a été très mal de notre part de proposer un SMRI en 1999, et que ce serait bien entendu très mal de proposer un SMRI en 2006. Les firmes tentent alors de « sauver » la tête de leurs produits, ce qui ne change rien, bien sûr, à leur valeur intrinsèque.
A notre grande surprise, concernant le Mediator, il s’est passé quelque chose de tout à fait imprévu. Au lieu de dire « encore un instant monsieur le bourreau », les laboratoires Servier nous ont apporté une nouvelle étude sur le Mediator, que tout le monde a appelé depuis l’étude Moulin, et dont les résultats tendaient à faire croire que ce Mediator était un vrai traitement du diabète, comme la metformine, dans le diabète de type II : les résultats montrent que le taux d’hémoglobine glyquée dans le sang, sous Mediator, baisse d’environ 1 %, ce qui correspond à une vraie performance d’antidiabétique. C’est faire jeu égal à la metformine.
L’astuce de la firme consiste, sur la foi de cette étude, à demander une modification du libellé d’AMM. Nous n’avions donc pas d’autre issue à la HAS que de dire que nous ne pouvions pas statuer. Il est donc indispensable que l’Afssaps nous dise si elle valide l’étude Moulin. La Haute Autorité de santé considère qu’elle ne peut pas statuer mais elle confirme que le Mediator démontre un SMR insuffisant dans la lutte contre l’hypertriglycéridémie. En revanche, il faut reconnaître qu’elle ne se montre pas suffisamment explicite concernant l’utilisation du Mediator comme traitement adjuvant du régime du diabète. Dans l’attente de l’avis de l’Afssaps, le produit conserve son SMRI car nous n’avons pas le droit de le modifier. Nous y étions tenus réglementairement. Par conséquent, nous attendons les résultats de la réévaluation menée par l’Afssaps : en 2007, la commission d’AMM confirme le maintien de l’AMM du Mediator, sans modifier son libellé.
Cependant, l’étude Moulin présentait un caractère troublant. Nous avons une furieuse envie d’être sûrs que ses résultats soient indiscutables. Nous pensions alors, même si nous ne pouvons pas l’écrire, qu’il serait souhaitable de procéder à une inspection de cette étude : seule l’Afssaps, qui exerce la « police » du médicament, possède ce droit.
Une telle inspection prend beaucoup de temps. Elle consiste, notamment, à contrôler les sérums des patients qui ont été conservés. Durant l’été 2009, sans nouvelles des résultats de cette inspection, je dois admettre que nous ne sommes pas suffisamment pro-actifs auprès de l’Afssaps, hormis par téléphone.
C’est par le rapport de l’Igas que j’apprends, personnellement, que les résultats de cette étude, non définitifs, présentent des anomalies méthodologiques rendant ses conclusions extrêmement discutables.
Selon le rapport de l’Igas, c’est en avril-mai 2009 que les résultats sont portés à la connaissance des évaluateurs.
Mme Marie-Thérèse Hermange. – Pourquoi n’avez-vous pas demandé à l’Afssaps les résultats de l’inspection ?
M. Gilles Bouvenot. – Nous les avons demandés mais ils ne nous ont pas été communiqués. En effet, ces résultats étaient intermédiaires, comme le souligne le rapport de l’Igas.
Il se trouve que j’ai des liens professionnels et des liens d’amitié avec le professeur Dominique Mottier, à Brest, dont le service de pneumologie travaille en relation avec Irène Frachon.
Fin septembre 2009, celui-ci me téléphone et m’indique qu’Irène Frachon, pour laquelle il a beaucoup d’estime professionnelle, a toutes les difficultés à se faire entendre, concernant les effets indésirables du Mediator. Ne disposant d’aucune information, cette nouvelle me sidère. Dominique Mottier me demande d’agir.
Il semble que le manque de communication prévaut à l’intérieur de l’Afssaps et dans les rapports qu’elle entretient avec d’autres instances. Cette entité comprend une commission d’AMM et une commission de pharmacovigilance, mais il n’existe pas de « bloc » homogène traitant du rapport bénéfices/risques des médicaments. Pourtant, il serait souhaitable, à mon sens, que cette question soit traitée par une instance unique.
Le 6 octobre 2009, Irène Frachon m’adresse un long mail dans lequel elle m’interroge sur l’action à mener. Je téléphone alors à Philippe Lechat : il m’indique que l’Afssaps est au courant de cette problématique. Cependant, les processus d’AMM et de contrôle en matière de pharmacovigilance prennent du temps. Durant mon audition à l’Assemblée nationale, j’ai employé le terme de « palabres ». Même si ce terme peut paraître excessif, la prudence est de mise concernant les alertes.
Dans les minutes qui suivent, je transmets le mail d’Irène Frachon au service d’évaluation des médicaments, placé au sein de la Haute Autorité de santé sous la direction de François Romaneix. De manière conservatoire, nous pouvons rappeler ce médicament : dans ce cas, une demande de dossier est effectuée auprès de la firme pharmaceutique qui, généralement, ne se précipite pas pour y répondre. A la fin du mois d’octobre 2009, l’Afssaps prend la décision de retirer le Mediator du marché.
En conclusion, je voudrais dire combien le drame occasionné par ce médicament conforte la Haute Autorité de santé dans son point de vue.
L’Afssaps statue sur les bénéfices et ses risques des médicaments. Pour notre part, nous recourons à d’autres critères, différents et complexes : ils relèvent du service médical rendu, de la place d’un médicament dans la stratégie thérapeutique et du progrès qu’il permet d’effectuer. Nous tentons surtout de situer le médicament dans le contexte national, en tenant compte des priorités de santé publique et du principe de solidarité nationale. Nous travaillons également de manière transversale : en effet, les médicaments de demain, qui prendront la forme de thérapies cellulaires ou géniques, ne se concevront qu’associés à des dispositifs médicaux et des actes. L’évaluation du médicament concerne la chimie, et non la biologie.
Je constate que l’Afssaps s’inscrit désormais dans un assujettissement à l’European Medicines Agency (EMA) même si ce constat ne prend pas aucune valeur péjorative. De son côté, la Haute Autorité de santé ne constitue pas seulement un « second regard » : depuis deux ans et demi, elle devient un « second rempart ». Tout en respectant la légitimité de l’Afssaps et de l’EMA, nous sommes beaucoup plus indépendants, beaucoup plus critiques.
Prenons l’exemple du médicament Acomplia, un antidiabétique qui avait reçu une AMM européenne. La Haute Autorité de santé, lors de l’étude sur ce produit, s’est montrée opposée à qu’il soit remboursé à d’autres patients que des diabétiques atteints d’un surpoids important. Elle a donc souhaité restreindre le périmètre de remboursement de ce médicament, et a décidé de ne pas le rembourser pour les patients ayant des antécédents de dépression. Cette décision a suscité quelques conflits avec l’Afssaps. Finalement, le médicament a été retiré du marché.
En décembre 2010, nous avons également émis un avis défavorable au remboursement du Nexen, un anti-inflammatoire non-stéroïdien qui n’est pas encore suspendu.
Au total, nous tentons de rester à l’affût des alertes. Le drame du Mediator renforcera probablement cette tendance. Selon le code de la sécurité sociale, pour qu’un médicament soit inscrit sur la liste des médicaments remboursables, il faut qu’il constitue un progrès ou qu’il induise des économies pour l’assurance maladie. Désormais, nous pourrions aller au-delà. Dans le cas où des alertes de pharmacovigilance sont émises, nous pourrions proposer au ministère la mise en cause du remboursement du produit.
Au niveau européen, les AMM se décident à la majorité des vingt-sept votants. La France n’est pas forcément favorable à certaines AMM européennes mais elle ne peut s’exprimer seule. En revanche, la Haute Autorité de santé peut renforcer son rôle de rempart national. Si nous déclarons qu’un produit ne doit pas être pris en remboursement et si le ministère nous suit, l’AMM française n’aura pas failli à la directive mais nous aurons probablement oeuvré pour une meilleure sécurité des patients.
D’ores et déjà, la Haute Autorité de santé tire quelques leçons du drame du Mediator. Pour l’essentiel, elles portent sur la structuration et la formalisation de ses rapports. Le ministère a suggéré que, lorsqu’un avis de service médical rendu insuffisant (SMRI) est rendu, celui-ci puisse aboutir au non-remboursement du produit concerné, sans qu’il puisse lui-même s’y opposer : cette suggestion me paraît appréciable. De même, Dominique Marininchi propose, quand un avis de SMRI est rendu, qu’un retour immédiat puisse être effectué. En effet, le rapport bénéfices/risques du produit est peut-être fragile. Il mérite d’être réévalué.
M. François Autain, président. – Puisque vous avez parlé de SMRI, il serait utile de rappeler la définition de service médical rendu (SMR) et d’amélioration du service médical rendu (ASMR). Il conviendrait de fournir des précisions sur le lien établi entre les avis de SMR et d’ASMR avec le taux de remboursement des médicaments. Ces notions suscitent certaines confusions dans les esprits car notre système est cloisonné, très complexe.
Pour procéder valablement à l’examen médico-économique des médicaments, la Haute Autorité de santé devrait connaître leur prix. Or tel n’est pas forcément le cas.
En outre, le rapport de l’Igas établit une corrélation troublante entre le SMR des médicaments et le taux de remboursement fixé par l’assurance maladie. La Haute Autorité de santé évalue un médicament, elle demande ou non son inscription mais elle ne détermine pas son taux de remboursement. Cette disposition a été introduite en 2004 mais la situation mériterait d’être plus claire.
Un médicament possédant un SMR satisfaisant peut prétendre au remboursement. Quant à l’ASMR, on peut le considérer comme un SMR relatif. Un médicament auquel s’applique un ASMR 5, par exemple, n’est pas remboursable. Le remboursement est conditionné à l’économie qu’un produit permet de réaliser à la sécurité sociale. Or, quelle instance peut véritablement évaluer le niveau de l’économie réalisée ? Ce rôle revient-il à la Haute Autorité de santé ou au comité économique des produits de santé ? En réalité, cette disposition n’est absolument pas respectée, ce qui devra changer.
Certes, le ministère suggère d’instaurer une sorte d’automaticité entre l’avis émis par la Haute Autorité de santé et le remboursement ou non d’un médicament. Néanmoins, la manière dont le comité économique des produits de santé (Ceps) interprète ses avis laisse subsister des inquiétudes. De nombreux médicaments faisant l’objet d’un SMR 5 sont mis sur le marché à des prix supérieurs à ceux pratiqués pour des médicaments de la même catégorie. Il est donc difficile de comprendre comment la sécurité sociale peut réaliser des économies.
La complexité et les incohérences d’un tel système méritent des réponses.
M. Gilles Bouvenot. – J’espère être clair dans celles que je pourrai apporter. La Haute Autorité de santé souhaite d’ailleurs obtenir que ses débats, notamment ceux de la Commission de la transparence, soient publics.
M. François Autain, président. – Sous réserve que Mme le rapporteur l’approuve, il s’agira de l’une des propositions de la commission.
Mme Marie-Thérèse Hermange. – Nous avions déjà présenté cette proposition dans notre rapport de 2006.
M. Gilles Bouvenot. – Il existe, à l’heure actuelle, un lien quasi mécanique entre le niveau de SMR et le taux de remboursement. De même, il existe un lien, non mécanique cette fois, entre l’ASMR et le prix du produit.
Notre commission est chargée d’évaluer le service médical rendu. Il se définit selon des critères comme la gravité de la maladie, la performance du médicament, l’absence d’alternatives thérapeutiques et la place dans la stratégie thérapeutique, ainsi que l’intérêt pour la santé publique. Ce SMR peut être important, modéré ou faible : nous estimons alors que la solidarité nationale doit prendre en charge ces produits. Quand le SMR d’un médicament est insuffisant, nous déconseillons vivement leur prise en charge.
Il est vrai, même si cette disposition ne figure pas dans un décret, que c’est le directeur général de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (Uncam) qui fixe le taux de remboursement. Celui-ci est déterminé de façon quasi mécanique, à partir des niveaux de SMR que nous fixons. Jusqu’à l’arrêté de Roselyne Bachelot, effectif depuis janvier 2010, les médicaments correspondant à un SMR important ou modéré étaient respectivement remboursés à 65 % et 35 %. Depuis cet arrêté, les produits ayant obtenu un SMR faible, jusqu’ici remboursés à 35 %, sont remboursés à 15 %.
Lorsque ces produits sont prescrits dans le contexte d’affections de longue durée, les produits sont remboursés à 100 %, hormis dans le cas d’un SMR insuffisant.
M. François Autain, président. – Quel est le pourcentage de médicaments pour lesquels un SMR insuffisant est rendu ?
M. Gilles Bouvenot. – Jusqu’à présent, 5 % à 10 % des médicaments recevaient un SMR insuffisant. La situation évolue pour deux raisons. D’une part, dans le cas où un médicament est suspecté d’une moindre tolérance que les produits existants, il conviendra désormais de s’interroger sur son inscription. D’autre part, voici quinze ou trente ans, maintes pathologies ne correspondaient à aucun traitement. Des produits pouvaient être proposés au remboursement sans qu’ils fournissent un apport thérapeutique vraiment supérieur aux médicaments existants, dont l’efficacité n’était pas forcément fameuse.
Aujourd’hui, de nombreux médicaments sont proposés contre l’hypertension artérielle ou le diabète, entre autres. Cette abondance nous rend de plus en plus exigeants, et il y a matière pour que nous le soyons.
S’agissant de l’amélioration du service médical rendu, qui recouvre la notion de progrès thérapeutique, il nous est demandé de définir si un médicament constitue un progrès par rapport aux produits existants. Dans ce domaine, nous pouvons attribuer un ASMR de type I correspondant à un progrès majeur, un ASMR de type 2 pour un progrès important, ou un ASMR de type 3 pour un progrès modeste. Selon la réglementation, la firme est autorisée à un dépôt de prix européen. D’une certaine manière, la fixation du prix semble échapper aux autorités françaises.
Lorsque nous donnons une ASMR de type 4, c’est-à-dire pour un progrès minime, il semble qu’une véritable négociation nationale ait lieu, dans laquelle le Ceps a toute latitude pour bien argumenter. Enfin, lorsqu’une ASMR de type 5 est attribuée, le code de sécurité sociale stipule que le médicament doit induire des économies.
Pour ma part, je ne sais pas comment ces économies sont réalisées.
M. François Autain, président. – Pourtant, vous exercez des fonctions médico-économiques.
M. Gilles Bouvenot. – Effectivement, depuis la loi de financement de la sécurité sociale, en 2008, la Haute Autorité de santé est dotée de fonctions médico-économiques. Cependant, elle rencontre une limitation de taille : ce rôle ne lui est pas attribué pour les premières inscriptions, mais pour la suite.
Lorsque nous évaluons un médicament, nous ne connaissons pas encore son prix. En effet, nous ne savons pas encore quelle ASMR ce produit obtiendra. Néanmoins, la Haute Autorité de santé sait conjuguer un certain nombre de jugements de valeurs et d’évaluations. Le collège, composé de huit membres, en effectue la synthèse alors que les commissions de la Haute Autorité de santé, eux, ont des missions bien particulières.
Je souhaite, à l’instar de tous les membres du collège, que ce rôle médico-économique gagne en importance. Je ne suis pas choqué que, au sein de la Haute Autorité de santé, une instance comme la commission de la transparence, dans son évaluation, ne tient pas compte de considérations comptables : ce rôle revient, au sein de la Haute Autorité de santé, à la commission d’évaluation économique et de santé publique. A l’avenir, le législateur pourrait se montrer favorable au resserrement des liens entre ces deux commissions, voire en suscitant une activité commune.
A l’heure actuelle, il est demandé à la commission de la transparence de noter les médicaments à l’aune de ce qu’ils valent réellement, en termes de performances médicales et de santé publique. En effet, la suspicion prévaut toujours, à l’extérieur : si les membres de la commission de la transparence savent combien coûtera un produit, selon la note qu’ils lui attribuent, ne seront-ils pas tentés d’assortir cette note d’une arrière-pensée comptable, ou plus noblement, d’une arrière-pensée médico-économique ? Il est probablement nécessaire que, au sein de la Haute Autorité de santé, l’évaluation médico-technique menée par la commission de la transparence soit utilisée par une autre structure, dotée d’une expertise médico-économique.
Actuellement, la commission de la transparence réévalue l’opportunité de continuer à rembourser l’hormone de croissance chez les enfants non déficitaires. Elle s’intéresse donc aux performances médico-techniques de ces hormones de croissance. Quant à la commission d’évaluation économique et santé publique, elle élargit son questionnement à la sociologie, à la psychologie et à l’équité.
A l’avenir, il conviendrait à la fois de préserver le « second rempart » constitué par la commission de la transparence, et de maintenir une évaluation scientifique dénuée d’arrière-pensées.
Mme Marie-Thérèse Hermange. – En tant qu’organe chargé d’améliorer la qualité de l’information médicale, disposez-vous de données rétrospectives sur les informations délivrées par la presse médicale relatives au Mediator, depuis la création de la Haute Autorité de santé ?
Par ailleurs, l’affaire du Mediator montre que des « lanceurs d’alerte » sont nécessaires. Les médecins généralistes sont-ils suffisamment écoutés et pris au sérieux ? Les logiciels d’aide à la décision médicale permettent-ils d’améliorer la prescription médicamenteuse ? Peuvent-ils être utilisés pour améliorer les systèmes d’alerte en pharmacovigilance ?
M. Gilles Bouvenot. – Concernant les logiciels d’aide à la prescription médicale, j’invite François Romaneix à vous répondre.
Jusqu’ici, la Haute Autorité de santé a scrupuleusement respecté la légitimité du système national de pharmacovigilance. Jusqu’à l’affaire du Mediator, elle n’estimait pas légitime de souligner, dans ses avis, l’effet indésirable d’un médicament si celui-ci n’avait pas été validé par l’Afssaps, et particulièrement par sa commission spécialisée en pharmacovigilance : cet effet n’était pas mentionné dans le résumé des caractéristiques des produits. La situation a changé. De tous côtés, on entend dire qu’il faudra être plus attentif aux lanceurs d’alerte, quels qu’ils soient.
Voici quelques mois, la Haute Autorité de santé a rappelé, pour réévaluation, un médicament anti-arythmique récemment mis sur le marché. Ce rappel n’est pas lié à une alerte effectuée par l’Afssaps ou l’EMA. Il résulte de quelques observations publiées, particulièrement préoccupantes. Or le rappel d’un produit n’est pas une mince affaire. Nous devons être attentifs à ne pas intenter de procès d’intention. A l’avenir, même si les alertes ne sont pas jugées très préoccupantes par les grands professionnels, nous y seront particulièrement attentifs. Dans la plupart des cas, ces médicaments ne sont pas vraiment supérieurs aux produits existants. Leur efficacité est souvent de niveau équivalent. Dès lors, une alerte, même si elle ne constitue pas un signal très fort, doit être prise en compte.
Les professions de santé sont à l’origine de la plupart des notifications spontanées. Nous savons combien leur formation initiale et permanente est insuffisante en matière pharmacologique. Il est difficile, pour un médecin ou un pharmacien surchargé, de rédiger toutes les notifications qu’il souhaiterait écrire.
Quand un nouveau médicament s’avère très supérieur aux produits existants, il convient de bien réfléchir avant de lui conférer une mauvaise note, basée sur un signal minime : il est préférable d’attendre qu’il soit validé. A l’inverse, lorsqu’un nouveau médicament ne s’avère pas meilleur que les produits existants, il convient de prendre en compte l’ensemble des informations à son sujet.
Les avis de la commission de la transparence, longs de quinze ou vingt pages, sont rarement lus. Depuis deux ans, nous publions régulièrement des synthèses d’avis. Ces synthèses sont publiées sur le site de la Haute Autorité de santé avant que les produits ne soient commercialisés et que leur prix ne soit fixé. Avant même d’être abordé par un visiteur médical, le prescripteur sait donc ce que vaut le médicament.
M. François Autain, président. – Maintes critiques sont émises à l’égard de la charte médicale, dont l’efficacité est contestée et le contrôle impossible. Or il est difficile d’interdire aux médecins de recevoir des visiteurs médicaux. Comment rendre leurs relations plus « vertueuses » ? Comment faire évoluer cette charte ? Des propositions circulent, comme rattacher à la HAS une cohorte de visiteurs médicaux qui pourraient provenir des délégués de l’assurance maladie.
M. Jean-Luc Harousseau. – L’intervention des firmes pharmaceutiques auprès des médecins ne se limite pas à ces visites. Elles disposent de nombreux moyens d’intervention, comme l’organisation de congrès. Une réflexion de fond doit être menée sur cette problématique, ainsi que sur la formation initiale et continue des jeunes médecins.
M. François Romaneix. – La Haute Autorité de santé n’est pas chargée du contrôle de la publicité, mission qui relève de l’Afssaps. Elle n’exerce pas non plus de mission de veille. Aucune institution publique ne contrôle la qualité de l’information promotionnelle, en dehors de la publicité, bien que cette proposition ait été émise en 2007 par l’Igas.
Selon la mission confiée par le législateur en 2004, le rôle de la Haute Autorité de santé se limite à certifier, au travers d’un référentiel, la mise en oeuvre de la charte de la visite médicale, signée entre les entreprises du médicament (Leem) et le Ceps. En outre, la Haute Autorité de santé évalue la pertinence de l’action ainsi conduite. En 2009, nous avons rendu un bilan de cette certification : il n’a pas conclu à une amélioration de la qualité de la visite médicale. Nous en tirons des interrogations.
Quant aux logiciels de prescription médicale, leur rôle sera croissant à l’avenir. De plus en plus, l’information sur les médicaments passera directement dans ces logiciels, voire même dans les systèmes d’aide à la décision médicale. Nous avons d’ailleurs commandé un rapport sur ce sujet.
Le référentiel intègre des éléments sur l’efficience des produits et sur la sécurisation de la prescription. Nous entretenons d’ailleurs des contacts de travail avec l’Afssaps dans le domaine de la pharmacovigilance. Reste à estimer l’effectivité de ce référentiel dont la mise en oeuvre devient, pour nous, un point crucial. A l’heure actuelle, cette procédure n’est pas obligatoire. En 2011, la loi de financement de la sécurité sociale prévoit d’inciter les médecins à utiliser des logiciels certifiés.
Mme Marie-Thérèse Hermange. – Combien de sites Internet la Haute Autorité de santé a-t-elle certifiés ? Quels sont l’intérêt et les inconvénients de ces sites consacrés à la santé ?
M. François Romaneix. – Nous travaillons à ce bilan et à l’amélioration de la procédure de certification, mise en oeuvre avec la fondation suisse Heath on the Net (HON). Je ne dispose pas, en cet instant, de données sur le nombre de sites certifiés mais nous vous transmettrons ces informations. Les critères fixés portent sur l’indépendance de la ligne éditoriale et la qualité du processus, mais ils ne portent pas sur le contenu des sites.
Mme Marie-Thérèse Hermange. – Y a-t-il une alternative au fait que la formation continue des médecins soit financée par les laboratoires ?
M. François Romaneix. – L’industrie pharmaceutique recourt à de nombreux moyens, du financement de symposia jusqu’à la diffusion de rapports de congrès sur Internet. La Haute Autorité de santé se situe au début de sa réflexion dans ce domaine. Des décisions plutôt simples peuvent être prises. Les intervenants d’un congrès peuvent s’y engager à exprimer des opinions objectives. Il n’est pas obligatoire qu’une manifestation soit sponsorisée par une seule firme pharmaceutique. La question récurrente concerne le financement de ces congrès.
M. François Autain, président. – Les laboratoires tirent leurs moyens de la vente des médicaments, remboursés par l’Assurance maladie. On peut donc en inférer que la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) finance indirectement les congrès, et donc le développement professionnel continu des médecins. J’estime donc, à titre personnel, qu’il conviendrait de « raccourcir » le mode de financement de ce circuit, qui entretient actuellement les soupçons.
De fait, certaines actions promotionnelles ne semblent pas prioritairement destinées à améliorer les connaissances des médecins sur tel médicament, ou sur telle stratégie thérapeutique. Contrairement à l’information proprement dite, la publicité émane de l’industrie. Certes, les firmes défendent leurs propres intérêts. Néanmoins, le combat n’est pas toujours égal avec les responsables chargés de défendre les intérêts de la santé publique et de la sécurité sociale.
Mme Marie-Thérèse Hermange. – Je pose à nouveau ma question relative à la presse médicale. Depuis dix ans, quelles données rétrospectives sur le Mediator, publiées dans cette presse, la Haute Autorité de santé détient-elle ?
M. Gilles Bouvenot. – Nous avons fidèlement retranscrit les informations fournies par la revue Prescrire dans un document préparatoire de la commission. A cette époque, nous pensions que seul le système de pharmacovigilance devait traiter ce type d’informations.
M. François Autain, président. – Vous avez pointé des difficultés de communication entre la commission de la transparence et la commission d’AMM, mais aussi avec la commission nationale de pharmacovigilance ou avec le Ceps. Je cite vos propos dans le journal La Tribune : « Nous modifions notre avis dans 25 % des cas ». Etes-vous soumis à des pressions ?
M. Gilles Bouvenot. – Ces malentendus et ces suspicions devraient disparaître dès lors que nos débats, mais aussi les avis intermédiaires et les avis définitifs de la commission, seront rendus publics. A l’heure actuelle, ceux-ci sont occultés dès lors que la firme retire son dossier. Je vous propose de fournir des exemples concrets.
Début janvier, lors d’une séance de la commission de la transparence, nous avons examiné quatre produits qui ont donné lieu à trois avis insuffisants. Au niveau européen, les avis d’AMM nous paraissaient fragiles : ils sont émis par vingt-sept votants, et je ne suis pas sûr que de grands professionnels soient sollicités.
M. François Autain, président. – A en juger par la représentation que nous envoyons à Londres, il s’agit pourtant de professeurs notoirement reconnus.
M. Gilles Bouvenot. – Personnellement, certaines AMM européennes me laissent un peu perplexes. Voter une AMM à la majorité ne constitue pas le meilleur système.
Pour en revenir à ces trois produits, nous les avons jugés insuffisants mais personne ne le saura jamais : les firmes ayant appris notre projet d’avis défavorable, elles ont retiré leur dossier. C’est pourquoi je souhaite que nous obtenions le droit de publier nos avis.
Qu’est-ce qu’un avis intermédiaire ? Lorsque nous rendons un avis, nous rendons d’abord un projet d’avis. Les industriels ne disposent pas d’instance d’appel pour faire valoir leurs produits. La réglementation prévoit donc que la commission de la transparence organise une procédure contradictoire : lorsqu’une firme n’est pas satisfaite d’un avis, ses propres experts peuvent être reçus en audition. Ils tentent alors de démontrer que le dossier initial de la firme était mal présenté, que la commission a pu se tromper, ou mal interpréter le résultat des essais. Cette période contradictoire permet à la firme de se faire entendre, et ceci, non pas en exerçant des pressions mais sous la forme d’arguments. Certaines firmes retirent de l’audition une note moins bonne qu’à l’origine.
Une modification d’avis, dans ces conditions, n’est pas choquante. En termes statistiques, lorsqu’une audition est effectuée, nos avis évoluent dans 25 % des cas. Cependant, les auditions ne sont pas très nombreuses et l’évolution d’un avis est étayée de façon sérieuse, scientifique.
Cependant, il serait essentiel que nous puissions publier l’ensemble des éléments qui fondent l’évolution éventuelle de nos avis. Actuellement, la réglementation nous impose un huis clos, sans la participation des associations de malades. Les journalistes, ne connaissant pas cette phase contradictoire, peuvent tout imaginer. Nous pouvons être suspectés et ne pouvons pas nous défendre. C’est pourquoi je souhaiterais que le législateur nous accorde une transparence plus importante, même si nos détracteurs nous opposent le respect de la confidentialité des données appartenant aux firmes.
M. François Autain, président. – Pouvez-vous revenir sur le contexte relatif au médicament Multaq ? Le comité économique des produits de santé a fourni sa version des faits. Nous souhaiterions connaître la vôtre. Quel était votre premier avis ? Ce médicament a-t-il conservé un SMR 5 ? Les conséquences ont-elles été tirées, en termes de prix ?
M. Gilles Bouvenot. – Selon une étude demandée par la Food and Drug Administration (FDA) sur les contre-indications à ce produit, le Multaq s’avère délétère pour les patients atteints d’insuffisance cardiaque. C’est dans ce contexte que notre premier avis sur ce médicament a été rendu.
A l’origine, nous avions considéré cette étude comme une démonstration de performances. Rappelons que notre commission est constituée de professionnels de santé qui, dans leur quotidien, effectuent des consultations auprès de malades, notamment des patients atteints de complications thyroïdiennes. Le Multaq est un médicament analogue au Cordarone, mais qui ne comporte pas d’iode. De ce point de vue, un tel produit pouvait paraître satisfaisant. Par ailleurs, il convenait tout particulièrement d’écouter l’avis des experts dans un domaine, celui des troubles du rythme, qui requiert une spécialisation très pointue.
Cependant, au vu des résultats préoccupants de l’étude américaine, nous avons conféré au Multaq, dans notre projet d’avis, un SMR modéré. Des « fuites » ont eu lieu dans la presse.
Deux mois plus tard, la firme a été reçue en audition : il est alors apparu que le dossier avait été mal présenté. Nous avons finalement abouti à la conclusion que le Multaq est comparable aux autres médicaments arythmiques, et qu’il n’est pas plus efficace. Dans la mesure où ces produits possèdent un SMR important, notre avis a évolué : d’un SMR modéré, nous sommes passés à un SMR important. La presse s’est emparée de l’affaire et nous avons été soupçonnés d’être perméables au lobbying de la firme. En réalité, nous nous étions contentés d’aligner ce produit sur les autres. Nous n’avions pas connaissance, à cette phase, de la notification relative à deux cas d’hépatite grave, chez des patients auxquels du Multaq avaient été prescrits. Ce produit sera donc réévalué.
En ce qui concerne les relations entre la commission de la transparence et le Ceps, celui-ci est le destinataire de nos avis. Le prix d’un médicament est fixé dans le cadre d’un comité interministériel où siège la Cnam. Le Ceps comprend des représentants du ministère de l’industrie, ainsi que des représentants du ministère de l’économie et des finances. Pour déterminer ces prix, ce comité utilise d’autres critères que le niveau d’ASMR.
N’ayant pas connaissance de ces éléments, je ne suis pas à même d’estimer si le prix d’un médicament est justifié ou non. Je tiens d’ailleurs à rendre hommage à Noël Renaudin qui, durant de longues années, a évité toute conversation directe au sujet des médicaments. Parfois, il m’a demandé de préciser, par écrit, l’avis de la commission de la transparence. A titre personnel, je n’ai pas un véritable intérêt pour les prix fixés pour les médicaments. En tant qu’évaluateur, j’aurais du mal à déterminer le prix d’un nouveau médicament qui ne serait pas inutile sans pour autant apporter de progrès, et dont la concurrence serait déjà établie sous la forme générique, à tarif modique. Je ne participe pas à ces négociations et je tiens à ne pas exprimer d’interrogations à ce sujet. Je tente de défendre l’indépendance de l’évaluation médico-technique vis-à-vis des conséquences que ses avis génèrent en aval. Si je franchissais la frontière, cette transgression rendrait la justesse des évaluations plus incertaine.
M. François Autain, président. – Pouvez-vous évoquer la place de la commission de la transparence au sein de la chaîne du médicament. L’éclatement des instances a souvent été reproché à cette chaîne. La commission de la transparence, qui n’a jamais été véritablement intégrée à l’agence, garde une position un peu marginale. Dans une perspective de réforme, la fusion des instances relatives aux médicaments n’est-elle pas souhaitable ? Chaque commission, au sein d’une seule instance, pourrait conserver son autonomie. L’Observatoire national des prescriptions et des consommations des médicaments, que vous avez présidé, ne devrait-il pas renaître ?
M. Jean-Luc Harousseau. – Je prends ma présidence dans un contexte particulier, alors l’affaire du Mediator bouleverse la donne. Au sein de la Haute Autorité de santé, le collège a mené une réflexion sur le rôle de cette instance dans le système des médicaments. Pour l’instant, il nous apparaît que les structures sont bien définies.
Le « métier » de l’Afssaps porte sur la sécurité : il est essentiel que la commission d’AMM et la commission de la pharmacovigilance soient soudées. Quant au « métier » de la Haute Autorité de santé, il porte sur l’évaluation de la qualité des soins. Dans ce cadre, le travail effectué par la commission de la transparence vise à évaluer l’intérêt thérapeutique des médicaments, le SMR et l’ASMR. Or les décisions concernant l’AMM tendent à être prises au niveau européen. Il est donc important que les décisions relatives à l’intérêt thérapeutique des produits soient prises par une institution dont c’est le « métier » spécifique.
Nous militons donc pour que la commission de la transparence demeure au sein de la Haute Autorité de santé. En effet, nos évaluations concernent à la fois les médicaments mais aussi les dispositifs médicaux et les actes, une injection dans un organe par exemple : de plus en plus, ces trois paramètres seront mêlés dans la prise en charge thérapeutique des patients.
Enfin, la Haute Autorité de santé intégrera l’évaluation médico-économique, qui constitue un critère essentiel, aux recommandations qui seront effectuées à destination des décideurs publics.
M. Gilbert Barbier. – La commission mixte paritaire intervient prochainement sur la transposition des directives européennes relatives aux produits de santé. Selon la directive qui devrait être adoptée la semaine prochaine, des produits de santé d’occasion, dont la validation aura été effectuée par des organismes de la communauté européenne, pourront être commercialisés en France, sans aucun contrôle au niveau du territoire national. Quelle est la position de la Haute Autorité de santé sur cette question ?
M. Gilles Bouvenot. – Je rappelle que la Haute Autorité de santé constitue précisément un rempart national. C’est tout l’intérêt de cette instance.
M. François Autain, président. – Cette question devrait être posée au gouvernement.
Mme Marie-Thérèse Hermange. – Il est intéressant de noter que la Haute Autorité de santé n’a pas pris connaissance de cette directive, alors que la santé relève de la compétence nationale. A chaque fois que l’Europe souhaite faire adopter une directive dans le domaine de la santé, elle recourt systématiquement au biais du médicament.
J’ai siégé pendant dix ans au Parlement européen. J’ai vu comment les Anglo-Saxons y travaillent. Dès qu’une réunion de commission s’achève, ils prennent contact avec leurs homologues. Voici trois ans, une directive sur le médicament a fait l’objet d’une transposition. Certains aspects de son contenu m’ont paru inadmissibles et je ne l’ai pas votée. Au Sénat, au sein de la commission des affaires sociales, un certain nombre de sénateurs se sont montrés interpellés par les dispositions de cette directive. Malheureusement, lors du vote en séance publique, sont apparues des positions inverses à celles qui s’étaient exprimées au sein de la commission. La Haute Autorité de santé devrait s’intéresser à la façon dont sont élaborées les directives relatives aux médicaments.
Certaines directives, toutefois, permettent de réaliser des progrès, notamment dans le domaine du médicament pédiatrique.
M. Gilles Bouvenot. – Au cours des six dernières années, notre précédent président a développé une collaboration extrêmement fructueuse avec nos homologues britanniques et allemands. Nous allons probablement les contacter rapidement, pour connaître leur point de vue.
Quant à la création de l’Observatoire national des prescriptions et des consommations, elle partait certainement d’une très bonne idée. J’ai eu le plaisir de m’en occuper pendant trois ans, avant que Patrick Choutet ne me succède. Nous avons produit quatre rapports, avec les moyens du bord, qui n’étaient pas ceux de l’industrie pharmaceutique.
L’Observatoire des prescriptions et consommations a servi de révélateur mais sa pérennisation ne me paraît pas souhaitable. Cet observatoire devient suranné dès lors que l’assurance maladie, qui effectue notamment des enquêtes régionales, met à disposition l’ensemble de ses données : il semble qu’elle prenne cette orientation. Désormais, le problème essentiel réside plutôt dans leur exploitation.
M. François Autain, président. – Le ministre de la santé a proposé de réduire le nombre de membres siégeant au sein des commissions. S’agit-il, selon vous, d’une bonne proposition ?
M. Gilles Bouvenot. – J’attache énormément d’intérêt à cette question. La Commission de la transparence a d’abord été une commission administrative comportant une douzaine de membres. Certes, la question de l’indépendance réelle des experts, qui siégeaient en nombre minoritaire, peut se poser. Cependant, à l’époque, cette question ne se posait pas. L’assiduité des membres de l’administration était constante, et cette commission apparaissait, à certains moments, plus administrative que médicale.
En 2003, Jean-François Mattei a voulu créer une nouvelle commission de la transparence, aux dimensions élargies, comportant vingt-six membres, dont vingt titulaires et six suppléants.
Il a souhaité que les administrations représentées, telles la direction générale de la santé, la direction de la sécurité sociale, la direction générale de l’Afssaps et les trois caisses, ne puissent pas prendre part au vote. Ces administrations, qui possèdent un rôle consultatif, participent aux débats, émettent des avis et fournissent parfois des données. Nous souhaiterions d’ailleurs en collecter davantage. Seuls les membres professionnels de santé prennent part au vote, ce qui présente deux avantages. D’une part, ces professionnels de santé peuvent éprouver, concrètement, le bénéfice des médicaments dont ils parlent sur les patients : ils n’effectuent pas d’évaluation dans l’absolu. D’autre part, le nombre de membres permet la pluralité d’avis et renforce la protection de la commission de la transparence contre les influences. Les avis divergents, ou minoritaires, peuvent s’exprimer. Ils se manifestent dans les comptes rendus. Une commission très réduite n’offrirait pas autant ces garanties.
Cependant, l’avenir reste impossible à prédire. Maints experts se demandent s’il y a encore un intérêt à siéger dans les commissions. Leur présence relève quasiment du bénévolat, même si leur rétribution reste honorable. En outre, la réduction du nombre des membres, au sein des commissions, rendra peut-être celles-ci moins attrayantes.
M. François Autain, président. – Même si l’on augmentait leur rémunération ?
M. Gilles Bouvenot. – Nos rapporteurs extérieurs sont, en général, des professeurs d’université-praticiens hospitaliers (PU-PH). Quand nous leur demandons de rédiger un rapport, ils travaillent sept jours sur sept. Leur contribution n’a pas de prix. Ces experts de qualité, qui ne mélangent pas les genres, travaillent dans une visée d’intérêt général. Une meilleure contribution n’est pas déterminante pour les attirer au sein des commissions. Néanmoins, je serais ravi qu’un effort financier puisse être effectué en leur faveur.
M. François Autain, président. – Je vous remercie d’avoir répondu à l’ensemble de nos questions.
Jeudi 3 mars 2011
– Présidence de M. François Autain, président –
Audition de M. Jacques de Tournemire, ancien conseiller pour les industries de santé auprès du ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées (2002-2004)
M. François Autain, président. – Merci de venir devant notre mission. Je vous rappelle que nos échanges sont enregistrés et filmés et qu’ils seront consultables sur Internet et sur Public Sénat.
Question rituelle : avez-vous des liens, au sens de l’article 4113-13 du code de la santé publique, avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits ?
M. Jacques de Tournemire, ancien conseiller pour les industries de santé auprès du ministre M. Jean-François Mattei. – De 2002 à 2004, lorsque j’étais conseiller technique de M. Mattei, et auparavant, je n’ai eu aucun lien avec des entreprises de santé. Après avoir travaillé pour Pfizer entre 2007 et 2010, je suis devenu consultant. En tant que tel, j’interviens dans le domaine de la santé. Si vous le voulez, je peux vous transmettre une liste des laboratoires avec lesquels je travaille aujourd’hui ; les laboratoires Servier n’en font pas partie.
M. François Autain, président. – Cela ne semble pas utile. Cette vocation vous est-elle venue à la suite de votre expérience dans le cabinet de M. Mattei ?
M. Jacques de Tournemire. – Tout à fait, je ne connaissais pas ce secteur avant d’entrer au cabinet du ministre de la santé.
M. François Autain, président. – Nous vous auditionnons pour parler, non de vos fonctions actuelles, mais de la période où vous étiez auprès de M. Mattei. En tant que conseiller pour les industries de santé, vous étiez en relation constante avec les laboratoires. Voulez-vous faire une déclaration liminaire ?
M. Jacques de Tournemire. – Compte tenu de la modestie de mes fonctions à l’époque, une intervention liminaire me semble quelque peu déplacée. Mieux vaut que je réponde à vos questions.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. – L’année 1995 constitue une « occasion manquée », écrit l’inspection générale des affaires sociales (Igas) dans son rapport. De fait, si la direction générale de la santé interdit le benfluorex dans les préparations magistrales, l’utilisation de ce principe actif du Mediator reste, de manière inexplicable, possible dans les spécialités pharmaceutiques. Comment expliquez-vous cette incohérence ?
M. Jacques de Tournemire. – Cette période est antérieure à mon arrivée au cabinet de M. Mattei. Les suppositions que je pourrais faire sont dénuées d’intérêt, d’autant que je ne suis ni médecin, ni pharmacien…
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. – Comment expliquer que le Mediator, jusqu’à son retrait du marché en novembre 2009, ait bénéficié d’un taux de remboursement de 65 % alors que la sécurité sociale vous avait demandé à trois reprises une réduction de ce taux ? « J’ai dû considérer qu’une baisse du taux de remboursement ne nous rapporterait pas grand-chose financièrement, alors qu’elle risquerait de nous coûter cher politiquement. », indiquez-vous dans un entretien récent. Faut-il en conclure que les considérations économiques, voire politiques, ont prévalu sur les impératifs de santé publique ou faut-il mettre sur le compte de « l’inertie administrative » le fait que ces demandes soient restées sans suite ?
M. Jacques de Tournemire. – Merci de me donner l’occasion de donner une réponse plus complète.
La sécurité du produit, angle sous lequel on envisage aujourd’hui le Mediator, relève de la compétence de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), non de celle du ministre ou de son conseiller technique. La question posée par la direction de la sécurité sociale était économique : ne faudrait-il pas réduire le taux de remboursement du Mediator de 65 % à 35 % ? Il est d’ailleurs frappant de constater le faible degré d’information sur ce produit ; on s’inquiétait davantage des effets secondaires du Vastarel et de son utilisation hors autorisation de mise sur le marché (AMM). Une baisse de taux s’inscrit dans une logique purement financière : il s’agit de transférer une partie de la charge de l’assurance maladie vers les complémentaires. Durant de nombreuses années, cette politique a été considérée comme l’un des moyens les plus sûrs de réduire les dépenses de la sécurité sociale sans porter préjudice aux patients puisque la plupart des Français sont assurés par une complémentaire.
Pourquoi n’ai-je pas donné suite aux trois notes que m’a adressées la direction de la sécurité sociale (DSS) ? Les faits remontant à neuf ans, j’ai dû me replonger dans les documents. Notre objectif était de réduire le taux de croissance du médicament de 3 % dans le PLFSS, le déficit de la sécurité sociale atteignant alors des sommets. Au regard d’une masse globale de 15 milliards d’euros, la réduction du taux de remboursement du Mediator représentait un enjeu financier mineur : 10 millions par an pour un chiffre d’affaires de 30 millions par an. Nous étions très loin du compte ! D’autres mesures étaient financièrement plus intéressantes. Dès septembre 2002, le ministre annonçait que le Mediator, comme l’ensemble des médicaments à service médical rendu (SMR) insuffisant, avait vocation à être déremboursé dans les trois ans. Ce fut chose faite en 2005. Autre point à souligner, la complexité administrative de la procédure de déremboursement, sujet que l’Igas, par manque de temps, n’a pas développé dans son rapport. Le 18 décembre 2002, le Conseil d’Etat, saisi par certains laboratoires, déclara que les avis de la commission de la transparence, parce qu’ils étaient insuffisamment motivés, ne pouvaient pas servir de base à une décision administrative de déremboursement, décision qu’il confirma officiellement le 20 juin 2003. Entre ces deux dates, l’ensemble des décisions de déremboursement prises sur ces bases étaient donc fragilisées. D’où la décision du ministre de demander à la commission de la transparence de réécrire les avis sur les six cents médicaments à SMR modéré ou faible ; dont le taux de remboursement fut réduit en avril 2003 pour une économie de 400 millions.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. – La commission de la transparence s’est-elle pliée facilement à cette demande ?
M. Jacques de Tournemire. – Elle était alors placée auprès du ministre, et non de la Haute Autorité de santé (HAS). Au vu de ses faibles moyens, que la Cour des comptes avait soulignés, nous avons dû hiérarchiser les priorités. Or le Mediator ne figurait pas dans la liste des médicaments dont le ministre avait annoncé le déremboursement dans des délais rapides.
M. François Autain, président. – Le 23 février 2003, me semble-t-il, trois médicaments seulement avaient échappé au déremboursement. De quoi alimenter les fantasmes sur d’éventuelles complicités ! Pourtant, venez-vous de montrer, les considérations étaient financières, et non de santé publique.
M. Jacques de Tournemire. – S’il y avait eu le moindre doute, le Mediator aurait été naturellement prioritaire ! Mais aucune indication n’allait en ce sens. Les services compétents n’ont même pas jugé bon d’inscrire le Mediator sur la liste des médicaments concernés par la première vague de déremboursement. Pourtant, nous les avions incités à y faire figurer le plus grand nombre de produits, car cette liste était la plus facile à faire accepter. Elle concernait les produits qui n’avaient plus leur place dans la stratégie thérapeutique, un concept qui n’était pas très clair pour moi. Je souhaitais protéger le ministre ; je savais que ces déremboursements ne seraient pas acceptés facilement par les patients et les médecins. Pour faciliter cette tâche, j’avais proposé à l’Afssaps de retirer l’AMM de ces produits. Pour ce faire, m’avait répondu l’Agence, il faudrait prouver le risque que présentaient ces produits pour la sécurité. Bref, ces produits, sans être réellement dangereux, n’étaient pas souhaitables pour les patients, soit parce qu’ils en existaient de meilleurs, soit parce qu’ils ressortaient « d’associations illogiques », pour reprendre l’expression du professeur Bouvenot, telles que celle d’un expectorant et d’un antitussif. Aucune indication de santé ou d’utilisation hors AMM du Mediator n’a été portée à ma connaissance entre 2002 et 2004.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. – Pourtant, il y a eu des publications dès 1999, puis l’importante étude du professeur Montastruc. L’Afssaps avait été alertée sur la dangerosité du benfluorex en 1999, qui avait abouti à son interdiction dans les préparations magistrales. Un cas avait été signalé à Marseille. Cela semble incompréhensible…
M. Jacques de Tournemire. – Tout à fait ! Mais le cabinet d’un ministre ne peut réagir que s’il est informé, ce qui n’a pas été le cas.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. – Le ministre actuel assume les conséquences de l’affaire Mediator aux yeux de l’opinion. Dans la loi relative à la bioéthique que nous allons bientôt examiner, la compétence éthique est entièrement dévolue à l’Agence de la biomédecine alors que, pour le citoyen, seul le ministre est responsable. Dans ces conditions, ne faudrait-il pas réévaluer la charge des compétences ?
En outre, si vous découvrez dans la revue Prescrire, que vous lisez sans doute, qu’un lanceur d’alerte considère dangereux des médicaments et qu’il préconise leur retrait du marché, quelle démarche allez-vous entreprendre auprès des laboratoires et des autorités compétentes, en tant que consultant ?
M. Jacques de Tournemire. – Confier l’évaluation du risque à l’Afssaps a été une bonne évolution. L’idée de placer à la tête de cette agence un binôme constitué d’un administratif et d’un médecin, plus à même de juger de la sécurité sanitaire, apporterait une amélioration, pour peu que le binôme fonctionne harmonieusement. De surcroît, peut-être faut-il imaginer une soupape de sécurité pour les lanceurs d’alerte qui estiment ne pas avoir été entendus par l’Afssaps…
La pharmacovigilance est un sujet complexe. Pour un non-médecin comme moi, elle passe par la collection d’événements statistiques qui ne semblent pas toujours liés à la prise du médicament. Pour le Mediator, il y a eu pas moins de dix-sept alertes ; cela interpelle ! La direction générale de la santé (DGS), qui exerce une tutelle sur l’Afssaps, pourrait remplir ce rôle de soupape de sécurité. A partir des rapports que la commission de la pharmacovigilance lui remettrait directement, elle pourrait demander l’examen d’un produit.
En tant que non-médecin et ancien conseiller technique, je note d’ailleurs la conjonction entre un SMR insuffisant et les doutes sur la sécurité d’un produit. Dans l’affaire Mediator, c’étaient hélas plus que des doutes : on a compté dix-sept alertes !
M. François Autain, président. – Vous voulez dire que les commissions techniques de pharmacovigilance se sont réunies dix-sept fois à ce sujet…
M. Jacques de Tournemire. – C’est cela. Il serait tout à fait légitime que la commission de pharmacovigilance adresse chaque année un rapport sur les produits à SMR insuffisant ou faible à la commission de la transparence. En quelque sorte – et c’est toute la vertu du système français -, l’absence de remboursement constitue un « second rempart », après l’AMM. Grâce à ce système, des médicaments, qui ont posé problème dans de nombreux pays, ont été commercialisés de manière restreinte en France, tandis que nous avons le cas inverse avec le Mediator.
M. François Autain, président. – Le Mediator n’est pas le seul exemple. On peut penser à l’Arcoxia, un anti-inflammatoire de la famille du Vioxx, qui a été interdit aux Etats-Unis.
M. Jacques de Tournemire. – Certes ! Mais, grâce à notre système, l’Arcoxia a mis longtemps à arriver en France alors que la réglementation européenne impose le libre accès des produits, une fois l’AMM obtenue. Les autorités françaises n’ont pas eu une forte appétence pour rembourser l’Arcoxia, à en croire le prix dissuasif pour le laboratoire fixé au terme d’âpres négociations.
M. François Autain, président. – Soit ! Mais l’Arcoxia a été interdit aux Etats-Unis. Nous, nous l’avons mis sur le marché. Ce médicament est commercialisé par Pfizer, n’est-ce pas ?
M. Jacques de Tournemire. – Non, par les laboratoires Merck Sharp et Dohme-Chibret (MSD).
Pour répondre à la deuxième question de Mme le rapporteur, en tant que consultant, je travaille sur des problématiques générales telles que l’accès au remboursement, et non sur la sécurité des produits, que je connais mal.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. – Quelles autres réformes institutionnelles préconisez-vous pour renforcer la pharmacovigilance ? La surveillance doit-elle relever davantage de l’Union européenne, à la suite de la directive du 15 décembre 2010 ? Quels risques cette évolution nous ferait-elle courir ?
M. Jacques de Tournemire. – La pharmacovigilance n’est pas mon domaine. En revanche, permettez-moi une suggestion. L’évaluation étant au coeur du système français, ne faut-il pas construire une véritable filière de l’expertise ? Je m’explique : on peine à recruter des experts pour participer aux travaux de la commission de l’AMM et de la commission de la transparence. La tâche est extrêmement lourde : elle exige d’assimiler d’innombrables connaissances ; elle expose à de très fortes tensions, les laboratoires estimant toujours que votre évaluation est inférieure à la leur. Les contreparties sont extrêmement faibles. L’indemnisation de la participation aux commissions, décidée par le ministre Jean-François Mattei – c’était un premier pas -, reste très inférieure aux rémunérations auxquelles ces experts peuvent prétendre. Résultat, seuls les PUPH (professeurs des université-praticiens hospitaliers) estiment qu’ils peuvent, au terme de leur carrière, donner un peu de temps à la collectivité. Si nous voulons de l’expertise efficace, il faut y mettre les moyens. Tout le monde y perd dans le système actuel : l’hôpital, et les médecins qui ne peuvent pas publier, faute de travailler sur les produits. L’évaluation ne doit pas être déconnectée de la pratique. Pourquoi certains restent-ils si longtemps à l’Afssaps ? Parce qu’on ne leur propose pas d’autre débouché ! Il faut construire une véritable filière de l’expertise.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. – Faut-il créer une Haute Autorité de l’expertise et de l’alerte ?
M. Jacques de Tournemire. – De quelles fonctions serait-elle dotée ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. – De la déontologie de l’expertise, du recensement des lanceurs d’alerte… Elle servirait d’intermédiaire.
M. Jacques de Tournemire. – La France compte déjà de nombreuses institutions…
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. – Cette suggestion a été faite en 2007 par la Fondation sciences citoyennes lors du Grenelle sur l’environnement.
M. Jacques de Tournemire. – Il existe déjà une commission de la déontologie. L’alerte est souvent l’un des points faibles, car l’information ne remonte pas jusqu’au ministre de la santé par les canaux officiels. Peut-être faut-il imaginer des canaux parallèles ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. – C’est-à-dire ?
M. Jacques de Tournemire. – La DGS, qui compte de nombreux médecins et professionnels de la santé, peut faire office de recours pour les lanceurs d’alerte.
Ironie de l’histoire, lorsque M. Mattei était ministre, le directeur général de la santé était M. Lucien Abenhaïm. Très sensible aux questions de sécurité sanitaire, il a joué un rôle central dans l’interdiction de l’Isoméride. Il aurait réagi, s’il avait eu l’information !
M. François Autain, président. – A en croire les auditions, personne ne savait rien…
Revenons-en à votre proposition. La DGS, normalement, est représentée à la commission de l’AMM et à la commission de la transparence. Le directeur général de la santé devrait donc être informé de tout ce qui s’y passe. L’expérience prouve, hélas !, que ce n’est pas toujours le cas. Vous proposez que la commission de la transparence retire éventuellement du marché ces médicaments à SMR insuffisant.
M. Jacques de Tournemire. – Ces produits ne sont pas totalement inutiles, sans être majeurs pour le traitement du patient.
M. François Autain, président. – Imaginons un médicament à SMR 5, selon la terminologie de la commission de la transparence. Une fois mis sur le marché, il est fort difficile d’obtenir son retrait.
M. Jacques de Tournemire. – Une des vertus des déremboursements massifs depuis 1999…
M. François Autain, président. – A proprement parler, ce n’étaient pas des déremboursements.
M. Jacques de Tournemire. – Il y a eu trois vagues : 1999, 2001 et 2003. En 2003, après la réduction du taux de remboursement, M. Mattei a annoncé le déremboursement total de certains médicaments.
M. François Autain, président. – Sauf le Mediator ! Ce qui est fort regrettable, car s’il fallait en dérembourser un seul, cela aurait dû être celui-là.
M. Jacques de Tournemire. – Je ne peux parler que de la période de 2002 à 2004…
M. François Autain, président. – Il est difficile d’obtenir le retrait d’un médicament, une fois qu’il a obtenu son AMM. Mieux vaut donc prévenir que guérir ! Or on continue de mettre sur le marché des médicaments qui feront bientôt l’objet de déremboursement pour SMR insuffisant.
M. Jacques de Tournemire. – Vous m’interrogez à la fois sur le flux et le stock. Concernant le stock, un rapport annuel de la commission de la pharmacovigilance me semble la bonne solution. Quant au flux, la réglementation sur le médicament a beaucoup évolué ces trente dernières années. Le corpus de preuves et d’informations demandées s’est incontestablement renforcé. La commission de la transparence classe très régulièrement des produits nouveaux dans la catégorie des produits à SMR insuffisant. Compte tenu de l’affaire Mediator et du climat actuel, elle sera, j’en suis persuadé, de plus en plus exigeante sur la qualité des produits.
M. François Autain, président. – On ne saurait s’en plaindre !
M. Jacques de Tournemire. – La question est délicate. Certains patients ne répondent pas à des médicaments dont on considère, sur des bases statistiques, qu’ils fonctionnent. D’où tout l’intérêt de la médecine prédictive. Celle-ci permettra de tester l’efficacité du traitement sur le patient avant de le lui administrer. Ce sera une source d’économies considérable pour la sécurité sociale !
M. François Autain, président. – Rien n’est moins sûr, compte tenu du coût des examens… (Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, acquiesce.)
J’accepterais volontiers votre raisonnement si notre pharmacopée était restreinte. Hélas, on ne compte pas moins de 150 spécialités pour des maladies aussi courantes que l’hypertension ! Dans ces conditions, faut-il vraiment mettre sur le marché des médicaments qui ne représentent pas un réel progrès thérapeutique au motif que certains malades ne répondent pas aux médicaments existants ? Je ne le pense pas, d’autant que, plus notre pharmacopée sera fournie, plus il sera difficile de repérer les effets indésirables de tel ou tel produit.
M. Philippe Darniche. – Notre système est l’un des plus rassurants au monde. L’affaire Mediator montre pourtant qu’il comporte des failles. Un rapport annuel sur les médicaments à SMR faible me semble une excellente idée. Travaillons sur cette proposition dans notre rapport. Permettez-moi une autre réflexion : ce qui me frappe dans l’affaire Mediator, c’est l’utilisation détournée de ce produit. Nous devons faire un état des lieux pour débusquer les « Mediator cachés », tel le Glifanan dont on a découvert tout à coup, après plus d’une dizaine d’années d’utilisation qu’il pouvait provoquer en 24 heures de forts effets secondaires sur le foie.
M. Jacques de Tournemire. – L’utilisation hors AMM est une question délicate. Rien n’incite les laboratoires à demander une seconde autorisation. Il faudrait établir une liste de ces produits, d’autant qu’il existe une utilisation moderniste des produits, notamment chez les oncologues. Dans ce cas-là, la puissance publique devrait s’engager résolument dans le financement de l’AMM.
M. Jacky Le Menn. – Dans mes fonctions à l’hôpital – mais la remarque vaut aussi pour la médecine de ville – j’ai toujours vu des médicaments prescrits en dehors de leur destination première, hors AMM, sans que l’on en mesurât les effets négatifs. Il y a sans doute, aujourd’hui encore, des « Mediator cachés ». Un dépistage systématique est indispensable.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. – Le laboratoire Pfizer, où vous avez travaillé, se demandait-il si certains de ses médicaments n’étaient pas de ces « Mediator cachés » ?
M. Jacques de Tournemire. – J’ai quitté Pfizer il y a un an, mais je me souviens qu’un médicament a été retiré du marché récemment pour une raison de ce genre.
Aux Etats-Unis, où les règles d’indemnisation des patients sont beaucoup plus contraignantes, les laboratoires sont forcés d’être très prudents. Un article de Libération sur le scandale du Fen-Phen, il y a quelques jours, montrait bien que les conséquences étaient beaucoup plus lourdes pour la firme commercialisant le médicament aux Etats-Unis que pour la firme française. Tout dépend aussi de la dynamique économique des laboratoires.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. – Les laboratoires français devraient faire preuve de la même prudence, sous peine d’entretenir la défiance des citoyens envers les médicaments.
M. Jacques de Tournemire. – Il est essentiel que nos concitoyens aient confiance dans les médicaments et l’affaire du Mediator n’y contribue pas. Mais j’observe un effarant déficit d’information, alors que la France est championne du monde de la consommation de médicaments. Beaucoup de personnes âgées, par exemple, ne sont pas averties des interactions entre les produits qui leur sont prescrits. Il serait d’utilité publique de lancer une campagne nationale pour informer chacun que, dès lors qu’un médicament est efficace, il peut avoir des effets secondaires, et qu’il convient d’être prudent.
M. François Autain, président. – Vous avez tout à fait raison.
Un fonctionnaire ayant exercé des responsabilités dans un domaine industriel ne peut rejoindre l’industrie privée avant deux ans. La même règle ne devrait-elle pas s’appliquer aux membres des cabinets ? Vous-même, n’avez-vous pas rejoint l’industrie pharmaceutique après votre passage au cabinet de M. Mattei ?
M. Jacques de Tournemire. – J’ai observé un délai de carence de trois ans. A mon sens, la même règle doit s’appliquer aux fonctionnaires et aux membres des cabinets – qui sont d’ailleurs pour la plupart des fonctionnaires. Mais si l’on veut éviter trop de consanguinité au sein des cabinets, il convient de réfléchir au sort des conseillers lorsque le ministre quitte ses fonctions : alors que les fonctionnaires peuvent réintégrer leur corps d’origine, les autres n’ont pas la même sécurité.
M. François Autain, président. – Merci de vos réponses et de vos propositions.
Audition de M. William Dab, ancien directeur général de la santé (2003-2005)
M. François Autain, président. – Monsieur le directeur général, je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et que son enregistrement audiovisuel sera diffusé sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat. Je dois d’abord vous demander si vous avez des liens d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique.
M. William Dab, ancien directeur général de la santé. – Je travaille actuellement sur la sécurité sanitaire de l’environnement et du travail, et je n’ai pas de lien avec l’industrie pharmaceutique, si ce n’est que j’ai aidé le laboratoire Novartis en 2008 à élaborer son plan de continuité d’activité face à la pandémie grippale.
Au-delà des responsabilités et des insuffisances pointées par le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), il faut insister sur le fait qu’il n’y a pas de politique du médicament en France, autrement dit que l’on considère le médicament comme un outil de soin des malades, non comme un outil de santé publique, d’amélioration de l’état de santé général de la population. Les instances publiques chargées d’intervenir dans ce domaine sont cloisonnées et manquent d’un pilotage : si l’on met à part la recherche, l’Autorité française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) intervient au moment de l’autorisation de mise sur le marché (AMM), la commission de la transparence doit s’assurer de l’amélioration du service médical rendu, le comité économique des produits de santé (Ceps) fixe le prix et le niveau de remboursement, les instances de pharmacovigilance sont là pour surveiller les effets secondaires. A cela s’ajoutent la Haute Autorité de santé (HAS), la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) et les directions du ministère – direction de la sécurité sociale (DSS), direction générale de l’offre de soins (DGOS), direction générale de la santé (DGS) – et les mutuelles. Cette nébuleuse n’est pas pilotée ; il n’y a pas d’articulation. Dès mon entrée en fonctions, en septembre 2003 j’ai dit devant l’association des cadres de l’industrie pharmaceutique mon inquiétude devant l’absence d’une vision d’ensemble des usages et mésusages des médicaments en termes de santé publique. Dans un tel contexte, il n’est pas étonnant qu’un drame comme celui du Mediator se soit produit.
D’importants progrès ont été réalisés depuis une vingtaine d’années pour ce qui est de la sécurité sanitaire de l’environnement, du travail, des aliments, mais le maillon faible est la sécurité sanitaire du système de soins. C’est paradoxal, car la notion de sécurité sanitaire a émergé lors des affaires du sang contaminé et de l’hormone de croissance. Nous n’avons pas d’agence d’expertise de sécurité sanitaire du système de soins. Il y avait autrefois l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé que je saisissais avec mon collègue Edouard Couty, directeur de l’hospitalisation puis directeur de l’hospitalisation et de l’organisation des soins, mais elle a été remplacée par la Haute Autorité de santé, indépendante, qui par définition ne peut pas être saisie par les directions des ministères. Outre le médicament, le risque iatrogénique et les infections nosocomiales sont en cause : bien que ces derniers aient été réduits, comme les indicateurs en témoignent, nous manquons d’une force d’expertise d’aide aux politiques de prévention.
M. François Autain, président. – Nous pouvons souscrire à vos critiques, mais il est plus difficile de faire des propositions. Vous dites qu’il n’y a pas de pilote dans l’avion. Comment restaurer une unité de commandement, ce qui est vital pour la sécurité des patients ?
M. William Dab. – A mon sens, le pilotage du médicament ne peut pas être entièrement délégué à un établissement public : c’est une responsabilité politique, qui doit être assumée par le ministre et son administration. Aujourd’hui se juxtaposent la DGOS chargée des soins, la DGS chargée de la santé publique, et la DSS chargée du financement. Faut-il créer une quatrième direction du médicament et des produits de santé ? En pratique, un conseiller technique du ministre est le seul à assurer in fine la coordination, ce qui n’est pas satisfaisant.
M. François Autain, président. – Autrement dit, vous proposez de revenir en arrière et de remettre en cause la séparation entre l’évaluation et la gestion des risques ? Ou faut-il la maintenir tout en recentralisant les responsabilités ?
M. William Dab. – Il faut une tour de contrôle. Dans ma conception républicaine, c’est au ministre de porter la responsabilité. Sur la séparation de l’évaluation et de la gestion, j’ai évolué. Je ne crois pas que ce soit la bonne distinction. Par exemple, dans l’évaluation des risques des polluants de l’environnement, nous utilisons des modèles mathématiques et statistiques pour mettre en relation les doses reçues et les risques. S’agissant des rayonnements ionisants, nous nous servons d’un modèle linéaire sans seuil : c’est un choix de gestion, pas un choix scientifique ! C’est pourquoi il faut plutôt distinguer entre l’expertise, chargée de donner l’état des connaissances sur tel ou tel sujet, et la décision politique, l’arbitrage en fonction des incertitudes résiduelles et des moyens disponibles.
M. François Autain, président. – Remettez-vous en cause le fait que le directeur général de l’Afssaps puisse prendre une décision sur un médicament au nom de l’Etat, sans que le ministère ait les moyens de revenir dessus ?
M. William Dab. – La plupart des décisions sont prises au niveau européen.
M. François Autain, président. – Et au niveau européen, les décisions ne sont pas politiques ?
M. William Dab. – Certes. J’estime que c’est au politique de dire de quels médicaments doivent bénéficier les Français, à quel coût, avec quelles indications et contre-indications, en fonction de quel rapport bénéfices-risques. Car, dans ce domaine, il y a des incertitudes que le politique doit assumer. En revanche, il peut y avoir une agence chargée d’instruire scientifiquement les dossiers. Et n’oublions pas que lorsque l’expertise défaille, ce sont les politiques qui sont interpellés.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. – Je partage votre analyse, qui ne vaut pas seulement pour le médicament ou l’environnement : en biologie cellulaire, le contrôle est défaillant, malgré l’Agence de biomédecine. Pensez-vous qu’il faille créer une direction d’expertise et d’alerte sur tous les produits de santé, à l’intérieur ou à l’extérieur du ministère, ou simplement une direction du médicament et des produits de santé ?
M. William Dab. – Avant tout, il faut une politique du médicament explicite : aujourd’hui, aucun texte ne l’exprime. Sur l’alerte, nous souffrons en France d’un problème culturel. L’expertise se concentre sur le service rendu aux personnes individuelles, et ne prend pas suffisamment en compte l’impact des produits de santé sur l’ensemble de la population. Or il est bien difficile d’établir un lien de causalité entre un médicament et une maladie à partir d’un cas individuel. Tout notre système de pharmacovigilance repose pourtant sur ce principe. Ce qui a manqué dans l’affaire du Mediator, c’est l’évaluation de la dimension « populationnelle » du risque.
M. François Autain, président. – Elle est venue un an après.
M. William Dab. – En effet. J’ai le souci de ne pas multiplier les agences, déjà trop nombreuses, comme j’ai pu le constater lorsque j’étais au ministère. Mais il existe déjà un organisme de surveillance de l’état de santé de la population : c’est l’Institut de veille sanitaire (InVS). Il faudrait créer en son sein un département chargé de la surveillance des soins, y compris les médicaments. L’Institut n’évalue-t-il pas déjà le rapport bénéfices-risques des vaccins, comme celui contre l’hépatite B qui a suscité des inquiétudes ? Trois épidémiologistes de plus à l’Afssaps ne suffiront pas. L’InVS, quant à lui, compte une masse critique de trois cents spécialistes.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. – Comment assurer le contrôle politique ?
M. William Dab. – L’InVS est sous tutelle du ministère.
M. François Autain, président. – J’exprimerai cependant une réserve : à l’approche de la pandémie grippale, l’InVS a émis des signaux contradictoires. Car un institut, quel qu’il soit, a ses limites. Mais peut-être, en l’espèce, faut-il plutôt incriminer le politique, car les décisions à prendre étaient plus de nature politique que relevant d’une agence indépendante.
M. William Dab. – L’Institut est tout à fait conscient de n’avoir pas prévu le scénario de la pandémie. Je suis invité en mars à un séminaire de retour d’expérience : car ces scientifiques savent reconnaître leurs erreurs, et veulent en comprendre les raisons pour ne pas les reproduire à l’avenir.
M. François Autain, président. – En somme, vous souscrivez aux recommandations du rapport Girard ?
M. William Dab. – En effet.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. – Le politique doit prendre ses responsabilités. Mais lors de l’affaire du Vioxx, le Sénat avait formulé des propositions que les autorités et instituts n’ont pas prises en compte… N’y a-t-il pas une contradiction entre le modèle pasteurien qui préside à la mise sur le marché, et l’usage qui est fait des médicaments ? N’est-ce pas plutôt en fonction de modèles de gestion, et dans l’intérêt économique de l’entreprise, que certains médicaments sont diffusés ?
M. William Dab. – J’observe que l’Agence européenne du médicament relève au niveau européen de la direction générale des entreprises et de l’industrie…
M. François Autain, président. – Cela vient de changer : elle relève désormais de la direction générale de la santé et la protection des consommateurs.
M. William Dab. – Je m’en félicite. Le médicament est certes un outil de politique industrielle, mais aussi un outil de santé publique pour lequel il faut un pilotage.
Sinon, mes cadres de référence sont évidemment populationnels. On peut définir au sein de la population un groupe pour lequel les bénéfices d’un médicament l’emportent sur les risques, et un autre groupe qui suit le traitement. Tout notre effort doit être de faire coïncider ces deux groupes, et d’éviter que des malades ne soient pas traités – comme la moitié des déprimés en France – ou des gens sains traités – car alors ils subissent les risques sans les bénéfices. Le rapport de l’Igas est excellent, mais il ne met pas assez l’accent sur la responsabilité de l’assurance maladie pour conduire cette politique. Aucun assureur automobile n’accepte de payer une réparation sans avoir détaché un expert pour s’assurer que le dommage est réel et l’intervention du mécanicien appropriée ! De même, l’assurance maladie devrait vérifier le bien-fondé des traitements qu’elle rembourse. Est-il normal que les médecins puissent prescrire sans tenir compte de l’AMM, et sans que l’assureur ait son mot à dire ? Nous manquons d’un système de contrôle qualité.
M. François Autain, président. – Et de contrôle des prix !
M. William Dab. – D’autant que l’assurance maladie dispose des données, grâce au Système national d’informations interrégimes (Sniiram) : elle connaît les assurés, les prescriptions, les remboursements et les diagnostics. Lorsque j’étais directeur général de la santé, j’ai voulu faire en sorte que ces données servent à piloter la politique de soins par l’évaluation et le contrôle de gestion, mais je me suis heurté aux réticences de la Cnam. L’accord signé avec le directeur général, M. Daniel Lenoir, pour créer un groupement d’intérêt public, est resté lettre morte. Pourquoi l’assurance maladie rembourserait-elle des médicaments prescrits hors AMM, comme c’était souvent le cas pour le Mediator ?
M. François Autain, président. – Dans la moitié des cas !
M. William Dab. – Certes, on peut incriminer le marketing effréné des laboratoires Servier. Mais force est de constater que le chaînon manquant des politiques publiques, c’est le contrôle qualité. Dans de telles conditions, n’importe quel assureur ferait faillite !
M. François Autain, président. – L’assurance maladie est d’ailleurs en faillite…
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. – En tant que directeur général de la santé, quand et comment avez-vous été informé de la nocivité du Mediator ? De quels dispositifs d’alerte disposiez-vous pour connaître et réagir aux décisions de retrait dans d’autres pays ?
M. William Dab. – Le seul dispositif d’alerte de la direction générale de la santé est sa présence à la commission de pharmacovigilance. J’ai quitté mes fonctions en avril 2005, et ce n’est qu’en novembre que la commission a évoqué les risques du Mediator, mais j’ai des observations à faire.
Il faudrait fournir au ministre une vision d’ensemble de l’usage des médicaments en tant qu’outils de santé publique, qui prenne en compte les risques, les bénéfices et les avantages comparatifs par rapport à d’autres traitements. Je ne suis pas favorable à ce que toutes les alertes sanitaires soient centralisées à la direction générale de la santé, ou alors il faudrait renforcer considérablement ses moyens – elle compte aujourd’hui trois cents agents. Mais ce n’est pas dans l’air du temps, avec la révision générale des politiques publiques…
M. François Autain, président. – Certes !
M. Jacky Le Menn. – Je crois aussi qu’il faut séparer l’expertise de la décision. Pourquoi donc l’Afssaps agrège-t-elle évaluation, gestion et décision ?
Qu’il n’y ait pas de politique du médicament, chacun peut s’en rendre compte. Mais n’est-ce pas en raison des pressions de l’industrie pharmaceutique, qui y a tout intérêt ? J’ai été étonné qu’un ancien ministre nous dise avoir découvert le danger du Mediator lorsqu’il a été de notoriété publique ! C’est le ministre que nos concitoyens interpellent en cas de problème, mais on le tient à l’écart, lui et son administration.
M. William Dab. – Le système du médicament a d’abord été vu sous l’angle de la politique industrielle. Pour le Ceps, beaucoup de décisions sont prises à Bercy et ne tiennent compte que du développement industriel, des emplois et de la dépense. Mais il ne faut pas croire que l’affaire du Mediator soit l’oeuvre d’un deus ex machina ou le fruit d’un complot. C’est le déficit culturel de santé publique dans notre pays qui explique en partie les problèmes rencontrés dans cette affaire.
J’ai travaillé avec Jean Marimbert : j’ai beaucoup d’estime pour lui et c’est un grand serviteur de l’Etat qui a tiré les conséquences de cet échec.
M. François Autain, président. – Ce n’est donc pas lui qu’il fallait remercier.
M. William Dab. – Il en a tiré les conséquences. Au sein de l’Afssaps, il y a eu déficit de compétence en matière populationnelle.
M. François Autain, président. – N’y aurait-il pas eu assez de pharmaco-épidémiologistes ?
M. William Dab. – Oui, mais pas seulement. Je ne veux pas être corporatiste. Le raisonnement populationnel est propre à l’épidémiologie, mais il est aussi économique. Cette vision a fait défaut et a permis à un laboratoire astucieux d’utiliser les failles du système. Même si l’on modifie la manière dont le budget de l’Afssaps est alimenté, rien ne changera en matière de compétence et de culture. Ce n’est pas parce que l’Afssaps est financée par une taxe qu’elle est à la solde de l’industrie pharmaceutique.
M. François Autain, président. – Il faut quand même que l’Etat finance les missions régaliennes qui sont de sa responsabilité.
M. William Dab. – Dans tous les domaines, le producteur du risque doit internaliser les coûts du contrôle. C’est un peu trop facile de compter sur l’impôt pour financer la gestion de ses propres risques. Que l’industrie pharmaceutique paye la gestion du risque du médicament ne me choque pas, mais il faut que les ressources dégagées soient utilisées de manière honnête et indépendante. Appliquons dans ce domaine le principe « pollueur – payeur ».
M. François Autain, président. – L’Igas a dit que l’Afssaps était structurellement et culturellement en situation de conflits d’intérêts : son rapport va même jusqu’à dire que les décisions des experts sont une coproduction de l’Afssaps et de l’industrie pharmaceutique.
M. William Dab. – Pour moi, il s’agit d’une crise de compétence sur la dimension populationnelle.
Quand j’ai lu le rapport de l’Igas, les bras m’en sont tombés : dans le compte rendu de la commission de pharmacovigilance de juillet 2009, face à la multiplication des alertes sur le Mediator, elle estime qu’il faut faire une étude animale ! Il y a là un vrai problème de compétence en matière d’évaluation des risques ! Il y a un temps pour l’évaluation animale et un temps pour l’évaluation sur les patients.
La crise est également liée à l’absence de contrepouvoirs : il est normal que l’on entende la voix des industriels au sein des commissions de l’Afssaps, mais il est beaucoup moins acceptable que les associations de patients ne soient pas représentées.
M. François Autain, président. – Elles le sont à la commission nationale de pharmacovigilance.
M. William Dab. – Certes, mais pas à la commission d’AMM ni à la commission de la transparence. L’équilibre des points de vue n’est pas assuré.
M. François Autain, président. – Vous avez fait partie du conseil scientifique lors de l’étude International Primary Pulmonary Hypertension Study (IPPHS) de 1995. Quand avez-vous entendu parler pour la première fois du Mediator ?
M. William Dab. – En 2009.
M. François Autain, président. – C’est bien ce que je pensais. Mais à l’occasion de cette étude, ni vous ni vos collègues n’ont entendu parler du Mediator. 1995 est le moment où le destin de l’Isoméride et du Mediator se sont croisés et tous ceux qui, à l’époque, étaient en responsabilité ne l’ont pas vu. Au moment même où vous exposiez les résultats de l’IPPHS à la commission nationale de pharmacovigilance, celle-ci décidait une enquête officielle sur le Mediator en raison de sa parenté avec les fenfluramines. On a là l’illustration des conséquences du cloisonnement.
M. William Dab. – Je veux rendre hommage à la DGS. Dans son domaine de compétence, qui était les préparations magistrales, à la suite de la publication de l’IPPHS, elle a pris les bonnes décisions et le Mediator a été exclu des préparations magistrales.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. – Mais pas dans les préparations pharmaceutiques.
M. William Dab. – La DGS a agi dans son domaine de compétences.
M. François Autain, président. – Les décrets ont été pris à la demande instante de l’Agence du médicament.
M. William Dab. – Le benfluorex a été inscrit dans la liste des médicaments interdits par la DGS.
M. François Autain, président. – Bien sûr, au même titre que les anorexigènes de la liste du décret Talon de 1982.
M. William Dab. – Concernant ma contribution à l’étude IPPHS, j’avais déjà mené un certain nombre d’études sur des cas témoins comme épidémiologiste et je suis intervenu au début et à la fin du processus, à la demande du professeur Abenhaïm. Au début, nous avons eu une longue discussion sur la stratégie du choix des témoins, mais je ne suis pas un épidémiologiste du médicament. A la fin du processus, je suis intervenu quand, face aux résultats, il nous a fallu prendre position sur une éventuelle causalité de l’association observée. Après beaucoup de discussions, j’ai fait plutôt partie de ceux qui, au sein du conseil scientifique, estimaient que ces résultats révélaient un lien de nature causale. Mais mon rôle a été assez marginal et je ne suis pas signataire de l’article paru dans le New England Journal of Medicine. Je suis simplement mentionné comme membre du conseil scientifique.
Ceux qui ont été en charge d’évaluer les cas d’exposition et les cas témoins se sont interrogés sur les anorexigènes, mais à l’époque le Mediator était considéré comme un antidiabétique et donc il est passé au travers des mailles du filet, comme le dit très justement l’Igas.
M. François Autain, président. – Nous vous remercions pour votre témoignage.
Audition de M. Martin Hirsch, ancien directeur du cabinet du secrétaire d’Etat à la santé et ancien conseiller chargé de la santé au cabinet du ministre de l’emploi et de la solidarité (1997-1999)
M. François Autain, président. – Nous poursuivons nos auditions avec M. Hirsch que je n’ai pas besoin de présenter. Nous l’auditionnons non seulement en raison des fonctions qu’il a occupées mais aussi pour ses compétences et les propositions qu’il a faites à la suite de l’affaire du Mediator. Je pense bien sûr à son livre mais aussi aux interviews qu’il a données et qui sont susceptibles de nourrir notre réflexion.
Vous avez été directeur du cabinet du secrétaire d’Etat à la santé, Bernard Kouchner, et conseiller chargé de la santé au cabinet du ministre chargé de l’emploi et de la solidarité, Mme Aubry, de 1997 à 1999.
Cette audition est ouverte à la presse et fait l’objet d’un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur Public Sénat et le site Internet du Sénat.
Pour la forme, je vous demanderai quels sont vos liens d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique.
M. Martin Hirsch, ancien directeur du cabinet du secrétaire d’Etat à la santé et ancien conseiller chargé de la santé au cabinet du ministre de l’emploi et de la solidarité. – Je n’en ai aucun et je n’en ai jamais eu. Quelques mots sur mes responsabilités. En 1992-1993, j’ai été conseiller juridique du ministère de la santé au moment de l’examen de la loi de sécurité sanitaire du 4 janvier 1993 qui a créé l’Agence du médicament. J’étais au Sénat lorsqu’avec le sénateur Huriet nous avons rédigé l’amendement prévoyant la création de cette agence alors que le projet de loi ne concernait à l’origine que la transfusion sanguine.
Ensuite, pendant deux ans, j’ai été directeur de la pharmacie centrale des hôpitaux de l’assistance publique de Paris ce qui m’a permis de prendre conscience des pressions qu’il peut y avoir dans le domaine du médicament. Puis, j’ai été directeur de cabinet de Bernard Kouchner au moment de la deuxième loi de sécurité sanitaire qui a transformé l’Agence du médicament en Afssaps. Je fus ensuite directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) entre 1999 et 2005. Je fais partie de ceux qui n’ont pas entendu parler du Mediator jusqu’à récemment. Pendant la période 1997-1999, où pourtant nous réunissions très régulièrement autour du secrétaire d’État et l’ensemble des responsables des autorités sanitaires pour faire des points réguliers sur d’éventuelles alertes, je n’ai jamais entendu parler du Mediator. Même chose lorsque nous nous sommes réunis très fréquemment au moment du vaccin sur l’hépatite B.
Ne nous focalisons pas sur les procédures administratives car le système d’abord est sous emprise économique et sous influence. Le responsable du médicament ne doit pas être le ministre et il doit avoir la responsabilité de la mise sur le marché et du retrait. Nous avons également besoin d’un organisme d’Etat spécialisé dans les questions de sécurité sanitaire avec des responsabilités bien identifiées. On peut revoir l’architecture des différentes commissions mais le problème se situe en amont.
La France est grande consommatrice de médicaments, et l’influence de l’industrie pharmaceutique s’exerce d’un bout à l’autre de la chaîne : sur les patients, avec certaines associations de patients financées par les laboratoires, sur la recherche publique, qui a été encouragée ces dernières années à multiplier les collaborations avec l’industrie pharmaceutique, sur les médecins eux-mêmes, avec la visite médicale, les congrès médicaux, les voyages. Les cercles d’expertise et les règles de sécurité sanitaire subissent également cette influence. Il est vraiment anormal que lorsqu’un problème est détecté, ce ne soit pas l’autorité sanitaire qui commandite, qui finance, qui pilote les études et que l’on soit contraint de se tourner vers les laboratoires pour financer ces études et le travail de ces chercheurs. Il doit être mis fin à ce système, sinon nous aurons encore beaucoup d’autres Mediator.
Si je reprenais mon livre sur les conflits d’intérêts, je récrirais divers chapitres : certes, nous avons fait des progrès depuis les années soixante-dix et quatre-vingt, mais nous sommes restés au milieu du gué : tout ce qui touche à la transparence sur les intérêts doit être revu. De nombreux experts externes gardent des liens forts avec l’industrie pharmaceutique et ce qui avait été conçu en matière d’expertise interne s’est révélé insuffisant pour jouer un rôle de garde-fou.
Quand nous avons créé l’Agence du médicament avec le sénateur Huriet, nous pensions qu’il fallait mobiliser sur l’expertise les meilleurs chercheurs ; il est illusoire de croire qu’il est possible de faire en sorte que ceux-ci n’aient pas de liens avec l’industrie pharmaceutique mais nous espérions rendre les liens transparents et écarter certains d’entre eux, et nous voulions contrebalancer ces études par des expertises internes financées par l’argent public. L’addition de ces deux expertises nous semblait garantir la qualité et l’impartialité des études. Mais l’expertise interne n’a pas pu contrebalancer l’influence des laboratoires.
En outre, les liens entre les mondes économique et politique font que l’on ne sait plus qui fait quoi, qui est responsable de quoi.
Je propose donc des solutions radicales : la formation initiale et la formation continue des médecins, ainsi que les congrès, ne doivent plus dépendre de l’industrie pharmaceutique. Lorsqu’on lit l’excellent livre d’Irène Frachon, on se rend compte qu’elle continue à aller dans des congrès financés par des laboratoires concurrents de Servier.
M. François Autain, président. – Si l’industrie pharmaceutique n’était pas là, il n’y aurait pas de congrès ! Je me demande d’ailleurs comment les autres professions libérales s’y prennent pour financer les leurs.
M. Martin Hirsch. – Il peut y avoir le même genre de liens.
Il est néanmoins possible de mettre fin à ces financements. J’ai connu l’époque, où dans les maternités des hôpitaux de l’assistance publique, il y avait le « tour de lait » : les producteurs de lait fournissaient le lait gratuitement et ils s’entendaient avec les équipes médicales pour faire croire aux mamans qu’il ne fallait pas qu’elles changent de lait. Chaque marque avait sa semaine et, en contrepartie, on alimentait la caisse pour financer les voyages. Voilà un bel exemple de système sous influence. Nous y avons mis fin. Nous avons des témoignages de ce type dans les secteurs libéraux et publics très régulièrement.
Bien évidemment, les sociétés savantes ne doivent pas être financées par les laboratoires : il faudrait au moins qu’elles signalent quels sont leurs financeurs.
L’Igas a rendu en 2007 un excellent rapport sur la visite médicale, malheureusement trop peu connu. Les patrons des visiteurs médicaux qualifient certains médecins de « blaireaux », ce sont des médecins qui ne prescrivent pas assez et qui refusent d’ouvrir leur porte aux visiteurs médicaux. Ne vous trompez pas sur la baisse des effectifs de la visite médicale : elle est due au fait que les bons prescripteurs sont mieux identifiés. Il serait d’ailleurs intéressant de savoir comment les laboratoires font pour connaître parfaitement les profils des prescripteurs. Quand j’étais à la pharmacie centrale des hôpitaux, une des entreprises est venue me présenter son logiciel sur lequel on pouvait, d’un médecin, connaître ses prescriptions, ses patients et les pharmacies avec lesquelles il travaillait. Le degré de sophistication de ce logiciel était bien supérieur à celui dont disposait l’assurance maladie.
Au-delà de la question de savoir si les taxes doivent financer l’Afssaps, faisons en sorte de reconquérir de l’argent public pour financer l’ensemble des actions à mener. Lorsque nous disions cela il y a quinze ans, on nous traitait d’idéalistes. Quand le Sénat l’a écrit il y a quelque temps, on l’a pris au sérieux.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. – Nous l’avons écrit, mais aucune des agences n’a relayé notre rapport de 2006.
M. Martin Hirsch. – Le Sénat ne s’est pas trompé de diagnostic.
M. François Autain, président. – J’ai été surpris par ce que vous avez dit dans le Journal du dimanche du 16 janvier : « Un laboratoire – il s’agit de Servier – adoptant de pareilles méthodes ne peut être considéré comme un acteur de santé publique responsable ». Est-ce à dire que les laboratoires, hormis Servier, sont des acteurs de santé publique responsables ? Le rôle des laboratoires n’est-il pas de fabriquer et de vendre des médicaments ? On ne peut leur demander autre chose. Mais vous semblez attendre de ces firmes un comportement responsable.
M. Martin Hirsch. – J’ai donné cette interview après avoir lu le rapport de l’Igas où il apparaît que la stratégie d’« enfumage » – pardonnez le terme – de Servier a été particulièrement marquée, sophistiquée, perverse et, malheureusement, efficace.
Nous avons besoin de nouveaux médicaments, sans doute pas trop, mais nous avons fait jouer aux laboratoires un rôle qui n’était pas le leur. Par exemple, l’industrie pharmaceutique n’a pas à donner d’information sur le médicament.
L’intégration de cette industrie dans la chaîne de pharmacovigilance, qui est une action de santé publique, n’a pas non plus lieu d’être. Nous avons également été trop loin en lui demandant de financer des recherches et des études sur la santé publique.
Dans l’ensemble du secteur de la santé, l’industrie pharmaceutique doit être respectée, mais il ne faut pas la mettre en situation de conflit d’intérêts.
M. François Autain, président. – Vous préconisez la suppression de la visite médicale, mais est-ce possible ? Peut-on interdire aux laboratoires de la pratiquer, dès lors qu’il ne s’agit pas d’information mais de publicité ?
M. Martin Hirsch. – Aux dires des laboratoires, la visite médicale n’est pas faite pour influencer les médecins. En outre, son impartialité serait garantie par la charte de la visite médicale.
J’ai reçu une lettre d’admonestation du directeur général des entreprises du médicament (Leem) m’expliquant que j’avais tort de dénigrer les visites médicales puisqu’il existe un code de déontologie.
M. François Autain, président. – La Haute Autorité de santé elle-même a conclu que la charte n’avait rien changé et qu’elle n’était pas respectée.
M. Martin Hirsch. – On nous dit aussi que ces visites sont indispensables aux médecins, mais 30 % à 40 % des médecins libéraux ne reçoivent pas les visiteurs, et leurs patients ne se portent pas plus mal. Il serait d’ailleurs intéressant de regarder quel est le profil de prescription des médecins qui reçoivent des visiteurs médicaux et celui des médecins qui n’en reçoivent pas.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. – Une telle étude existe.
M. Martin Hirsch. – Je ne la connais pas.
La visite médicale est financée par les cotisations d’assurance maladie que nous payons et par la cotisation sociale généralisée (CSG). L’Igas a chiffré le coût de ces visites à un montant évalué entre 3 et 10 milliards: on peut les rendre financièrement insupportables.
M. François Autain, président. – Il existe déjà une taxe, mais elle est totalement inefficace.
M. Martin Hirsch. – Le législateur peut parfaitement interdire à l’industrie pharmaceutique d’avoir des visiteurs médicaux, comme il a réglementé le démarchage ou le colportage. Il n’y a aucun obstacle juridique national ou européen à dire que les laboratoires n’ont plus le droit d’aller faire la promotion directe dans les cabinets médicaux.
M. Jacky Le Menn. – Le professeur Dab nous a dit que la France n’avait pas de politique du médicament. Partagez-vous son avis ? Si oui, quelles devraient être les priorités d’une telle politique ?
Dans un article, Jacques Testart, directeur honoraire de recherche à l’Institut national scientifique d’études et de recherches médicales (Inserm), demande qui va expertiser les scientifiques ? « Sommé d’arbitrer les débats de plus en plus techniques, le monde politique se tourne vers des experts afin d’éclairer sa décision, mais ceux-ci, pour être compétents dans leur domaine, sont trop souvent liés aux intérêts du secteur. Une expertise publique pourrait aider à lever le soupçon ». Dans quelles conditions ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. – Faut-il recentraliser, avoir une direction générale du médicament au ministère qui inclurait l’ensemble des produits de santé, les dispositifs médicaux et tout ce qui est issu de l’Agence de biomédecine ? En ce qui concerne la biomédecine, ne risquons-nous pas d’être confrontés à des problèmes un jour ou l’autre ?
M. Martin Hirsch. – Il y a plus une politique des médicaments qu’une politique du médicament. Le fonctionnement de l’AMM part du principe que, si le rapport bénéfice-risque est favorable, le médicament peut être autorisé. Mais nous n’avons pas le raisonnement inverse : il faudrait s’interroger sur le fait de savoir si ces médicaments, dont le rapport est favorable, sont utiles à la stratégie thérapeutique de notre pays.
Les médicaments comme le Mediator étaient traités par le mépris par les experts et les professeurs de médecine. On tolérait le fait que l’assurance maladie les rembourse un peu pour donner confiance aux patients
Il ne suffit pas de faire de l’évaluation au cas par cas, produit par produit, pour donner le feu vert à la mise sur le marché en se rattrapant ensuite sur les taux de remboursement. N’est-ce pas plus en amont qu’il faut définir une stratégie définissant l’arsenal thérapeutique dont doivent disposer les médecins ?
Quand on raisonne à la fois en matière sanitaire et économique, il y a un certain nombre de médicaments qui n’ont pas leur place dans une stratégie thérapeutique, mais qu’on ne peut plus retirer du marché.
M. François Autain, président. – Quand un médicament a un rapport bénéfice-risque présumé favorable, et quand il a été démontré qu’il apportait un progrès thérapeutique par rapport à ceux de la même famille déjà sur le marché, il n’y a aucune raison de ne pas le commercialiser. La distinction que vous apportez ne me semble pas claire. Il y a peut-être dix à vingt médicaments d’utiles sur les trois cents nouveaux qu’autorise la commission de la transparence.
M. Martin Hirsch. – Comme c’est l’industrie pharmaceutique qui a l’initiative, nous nous retrouvons dans une situation paradoxale : certains médicaments manquent, notamment les formules pédiatriques.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. – Et gériatriques !
M. Martin Hirsch. – C’est vrai ! A l’inverse, il y a des innovations qui ne sont pas forcément d’une grande pertinence.
Faut-il recentraliser la politique du médicament ? Non. Ne nous leurrons pas : si nous décidions de retransférer les pouvoirs du directeur général de l’Afssaps au ministre, ce dernier les déléguerait automatiquement : vous le voyez signer toutes les AMM ? Et dans ce cas, il n’y aurait plus de responsable. Il vaut mieux avoir un directeur général responsable qu’un ministre responsable en apparence seulement. Il s’agit donc d’une fausse bonne idée, à mon sens, dangereuse.
Le système, même s’il a failli sur ce point, reste valable : les ministères et les administrations au niveau national et européen doivent être chargés des règlementations générales et des orientations et les opérateurs publics appliquent ce cadre général, prennent les décisions et réalisent des expertises.
Je ne pense pas que la séparation de la gestion et de l’évaluation soit une distinction pertinente. Autant, il faut séparer la gestion économique de la gestion sanitaire, autant il faut prendre garde à ne pas mettre en place deux entités : expertise d’un côté et décision de l’autre. Ce système génère de l’irresponsabilité. J’ai vu cela dans le domaine de la sécurité alimentaire : mon agence n’avait pas les pouvoirs de police. Nous devions garantir la responsabilité sanitaire, mais, quand nous avions un avis d’expert discutable et que nous pressentions que, dans les abattoirs, dans les arrière-cuisines, les règles n’étaient pas respectées, et donc que les bonnes recommandations scientifiques ne se traduisaient pas dans la réalité, nous ne pouvions intervenir car on m’expliquait que cela ne me regardait pas puisqu’il s’agissait de la gestion du risque.
Certes, le système n’a pas marché pour le Mediator, mais sans doute parce qu’il était sous influence. Il ne faut pas rompre cette chaîne de l’évaluation et de la gestion du risque, sinon chacun se renverra la balle. Je crois qu’il serait préférable de conserver les préceptes définis au moment où nous avons réorganisé la transfusion sanguine et qui séparent les responsabilités économiques des responsabilités sanitaires. Du côté des responsabilités sanitaires, ceux qui accordent l’autorisation de mise sur le marché des produits et qui, éventuellement, la retirent doivent être identifiés. Que ces règles soient rénovées, confortées, soit, mais ne les jetons pas à la poubelle.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. – Le drame, c’est qu’en 1997, on a retiré le Pondéral et l’Isoméride, et pas le Mediator.
M. Martin Hirsch. – Absolument ! Le moment où le Mediator a été placé dans un tiroir étanche reste mystérieux, même après la lecture du rapport de l’Igas.
M. François Autain, président. – Vous voulez revisiter le principe de la séparation de l’évaluation du risque et de sa gestion. Comment cela se traduirait-il pour les institutions ? Faut-il maintenir les agences en place, faut-il donner plus de compétences au directeur général de l’Afssaps ? Actuellement, il prend des décisions concernant les médicaments au nom du ministre et ce dernier n’a pas de droit d’appel.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. – Au lieu de se situer entre évaluation et gestion du risque, la ligne de démarcation doit-elle se trouver entre expertise et décision ?
M. Martin Hirsch. – Je ne pense pas qu’il faille bousculer le système institutionnel actuel. Il est assez logique que le ministre ne puisse pas revenir sur une décision, sinon cela déresponsabiliserait le directeur général. A la limite, il pourrait avoir un pouvoir conservatoire pour suspendre temporairement telle ou telle décision, mais plutôt d’autorisation sur le marché.
Quand on a évoqué en 1994 un pouvoir d’appel, ce n’était pas pour renforcer la sécurité sanitaire mais à la demande de l’industrie pharmaceutique qui craignait que le gendarme ne soit trop sévère. En revanche, il faut revoir juridiquement les conditions de retrait : il est extravagant de voir que les autorités sanitaires doivent apporter de multiples preuves pour sécuriser leurs décisions de suspension ou de retrait.
M. François Autain, président. – Il s’agit d’une décision administrative. On ne peut empêcher que celui qui se sente lésé puisse engager une action contre cette décision.
M. Martin Hirsch. – Si nous voulons faire de la prévention, le principe de précaution doit s’appliquer. L’autorité sanitaire ne doit pas payer le fait qu’elle veuille protéger les patients.
M. François Autain, président. – Je suis d’accord avec vous, mais le Conseil d’Etat, dont vous êtes d’ailleurs membre, a une autre jurisprudence. L’épisode du Kétoprofène est là pour nous le rappeler. Il est vrai que cette décision de l’Afssaps contredisait celle de l’Europe.
M. Martin Hirsch. – Je suis bien placé pour savoir qu’au-dessus de la jurisprudence du Conseil d’Etat, il y a la loi et les textes européens, et ils devraient simplifier les procédures de suspension des mises sur le marché.
M. François Autain, président. – Modifier les textes européens ne serait pas une mince affaire !
M. Martin Hirsch. – Tous les pays européens peuvent être confrontés aux mêmes problèmes que nous.
Mme Marie-Christine Blandin. – Nous entendons des avis très contrastés sur la séparation ou non de l’expertise et de la décision. Je m’intéresse plus à la déontologie et à la fiabilité de l’expertise elle-même.
Il a été évoqué une Haute Autorité de l’expertise et de l’alerte chargée de se pencher sur les conflits d’intérêts, le respect des protocoles, la confrontation avec les études étrangères et l’écoute des lanceurs d’alerte. Or, dans la loi Grenelle de juillet 2009, à mon initiative, nous avons voté, à l’unanimité des deux chambres, la création d’une telle autorité. Pensez-vous que les firmes soient suffisamment puissantes pour dissuader les ministres de mettre en oeuvre de dispositions votées par le Parlement ?
M. Martin Hirsch. – La réponse est oui. Les meilleurs codes de déontologie ne résisteront pas si les médecins, les chercheurs, les experts ne peuvent travailler sans avoir recours aux financements de l’industrie pharmaceutique. Comment voulez-vous que de telles personnes, qui sont le plus souvent intègres, puissent se prononcer contre un médicament produit par la firme qui les rémunère ? Le vice est là ! L’agence que j’ai dirigée il y a quelques années a récemment publié un rapport sur les régimes amaigrissants : il n’y a pas eu un mot sur les pilules amaigrissantes ! Or, le président de ce comité d’expertS est payé par les quatre plus gros laboratoires pharmaceutiques : même s’il est honnête, comment voulez-vous qu’il dénigre ses employeurs ? Il ne peut y avoir de bonne déontologie si les conflits d’intérêts ne sont pas dénoués, qu’il s’agisse de conflits individuels ou institutionnels.
Sur la protection des lanceurs d’alerte, rappelez-vous de ce qui est arrivé à Pierre Meneton : les services secrets ont essayé de le déstabiliser en prétendant qu’il était payé par la CIA pour s’attaquer à l’industrie pharmaceutique française !
Mme Marie-Christine Blandin. – Et l’Inserm ne l’a pas défendu : il s’est retrouvé seul devant les tribunaux.
M. Martin Hirsch. – Je revendique de l’avoir défendu : nous avons organisé un colloque financé uniquement sur fonds publics.
M. François Autain, président. – Vous préconisez le retrait de l’industrie pharmaceutique de tous les secteurs de la santé. Comment financer les activités jusque là prises en charge par l’industrie pharmaceutique ?
M. Martin Hirsch. – Le surcoût de la consommation de médicaments en France par rapport à d’autres pays se monte à plusieurs milliards. Le coût direct des dépenses de promotion représente aussi quelques milliards.
En se privant d’un certain nombre de dépenses, on pourrait récupérer quelques centaines de millions pour financer des laboratoires de recherche qui travailleraient sur les risques, sur l’évaluation, qui pourraient reproduire de l’expertise publique indépendante des intérêts économiques. Il serait aussi possible de financer ainsi la formation continue des médecins.
Dans un deuxième temps, une politique du médicament plus restrictive permettrait de réaliser quelques économies : plutôt que d’augmenter les déremboursements, il serait préférable de diminuer la masse des médicaments remboursés.
M. François Autain, président. – Vous n’envisagez pas une baisse du prix des médicaments pour faire réaliser des économies à l’assurance maladie qui pourrait, en contrepartie, financer directement certaines activités ?
M. Martin Hirsch. – Aujourd’hui, la sécurité sociale paye les dépenses des laboratoires en congrès, en promotions de toute sorte et en papier glacé. Pourquoi ne pas les taxer de la somme équivalente ?
Une telle politique allégerait la pression économique supportée par le prescripteur et par le patient : par contrecoup, elle aurait une influence sur la consommation de médicaments dans notre pays. Le déficit de l’assurance maladie se réduirait donc encore.
M. François Autain, président. – Ce schéma serait vertueux, mais on peut avoir quelques doutes sur la mise en oeuvre de mesures aussi radicales. Il n’empêche que nous pouvons les proposer, même si un Gouvernement ne reprend que très rarement les propositions d’un rapport sénatorial.
M. Martin Hirsch. – Détrompez-vous ! L’Agence du médicament a été créée à l’initiative du Sénat. L’Afssaps vient d’une proposition de loi sénatoriale, tout comme l’Agence du service civique que je préside. Enfin, la paternité du revenu de solidarité active (RSA) est en partie due au rapport de Mme Létard. Je ne fais mon miel que du Sénat !
M. François Autain, président. – Reconnaissez que, dans le domaine du médicament, nous avons plus de difficultés. Merci pour votre contribution, nous essaierons d’en faire notre miel !