Les femmes victimes du nucléaire se lèvent pour leurs droits

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Les femmes
              victimes du nucléaire se lèvent pour leurs droits
Les femmes victimes du nucléaire se lèvent pour leurs droits • ©SULIANE FAVENNEC

Suite à la journée des droits de la femme, l’association 193 a organisé un rassemblement à  la pointe Enrich de Papara, ce dimanche 12 mars. Un rassemblement pour dire, encore et toujours, comment la femme atteinte d’un cancer, la mère d’un enfant malade, l’épouse d’un mari défunt voient aussi ses droits bafoués. Reportage.

Polynésie la 1ère (MLSF), Suliane Favennec • Publié le 12 mars 2023 à 16h45

Couronnes fleuries sur la tête, robes locales…. Elles sont des dizaines à descendre des bus, elles sont des dizaines à s’être déplacées en ce dimanche ensoleillé. Elles, ce sont des femmes référentes ou membres de l’association 193. Elles, ce sont aussi des victimes des essais nucléaires. Des femmes meurtries par un cancer, des mères inquiètes pour leurs enfants, des épouses mortifiées par le décès de leur mari. « On a organisé cette journée pour elles. On a une autre approche de la journée des droits de la femme avec les essais nucléaires : car une femme qui a un cancer voit sa vie meurtrie, on le sent à travers les victimes. Parfois, elles ne peuvent pas accomplir leur rôle de mère, elles ne peuvent pas enfanter ni aider leurs enfants car elles sont malades. Aujourd’hui, la femme se lève car ses droits sont bafoués », explique Lena Normand, vice-présidente de l’association 193 à l’origine de ce rassemblement à la pointe Enrich à Papara. Hitia’a, Toahotu, Tautira, Papeete, Rikitea, Raiatea… Plus de 160 personnes venus des quatre coins de la Polynésie se sont réunies ce dimanche.

Vashti Tamarii, victime
            d'un cancer de la thyroïde
Vashti Tamarii, victime d’un cancer de la thyroïde • ©SULIANE FAVENNEC

Vashti Tamarii a fait le déplacement depuis Raiatea, spécialement pour ce moment. La quinquagénaire a souhaité être là pour soutenir et accompagner toutes ces femmes victimes de maladies dites radio-induites. Car elle sait ce qu’est la maladie, elle sait ce que c’est d’être séparé de ses enfants pour être soignée. Après une première opération, elle a développé un cancer de la thyroïde. On est en 2008, elle a alors la quarantaine, ses enfants sont en bas âges. « Tu sais quand on te dit que tu as un cancer, tu penses tout de suite à eux : que vont-ils devenir ? Quel avenir auront-ils si je ne suis plus là ? », confie cette mère de famille, d’une voix douce mais aussi concise que sa mémoire. Elle se souvient bien comment il y a maintenant plus de vingt ans sa vie a été bouleversée, comment son quotidien familial et professionnel a été chamboulé, comment il a fallu traverser toutes les étapes de l’opération puis du traitement. Autant de raisons qui l’ont poussée à constituer un dossier d’indemnisation. En 2018, elle fait appel à l’association 193 pour l’aider, car moralement la charge est trop lourde. « Quand ton dossier est incomplet alors que toi tu es en plein traitement, tu veux laisser tomber. Mais les membres de l’association m’ont poussé à persévérer, ils m’ont aidé alors je veux faire la même chose aujourd’hui avec les autres personnes. Ce n’est pas la somme de l’indemnisation qui importe, ce n’est pas ça qui va nous permettre de retrouver notre santé et notre vie d’avant, mais c’est important d’être reconnue victime !».

Jeanne Puputauki,
            victime d'un cancer du sein
Jeanne Puputauki, victime d’un cancer du sein • ©SULIANE FAVENNEC

Vashti n’est pas la seule à avoir développé un cancer de la thyroïde, la maladie a aussi touché ses deux soeurs et sa fille a des problèmes de glandes depuis l’âge de 10 ans. Une situation qui malheureusement n’est pas exceptionnelle en Polynésie française. Jeanne Puputauki n’a pas assez de doigts sur une main pour compter le nombre de pathologies et de décès dans sa famille. Ses parents sont morts d’un cancer, ses soeurs ont eu un cancer dont une au cerveau, son petit fils est décédé d’une tumeur au cerveau à seulement 10 ans. L’octogénaire, à la jolie couronne de fleurs, a elle aussi eu un cancer du sein. Elle a subi une mastectomie en 2021. Habitante de Rikitea à Mangareva aux Gambier, elle est à Tahiti depuis deux ans maintenant et attend avec impatience son retour chez elle. En attendant, elle loge chez sa nièce. « Heureusement, je suis bien entourée… Mais on se pose beaucoup de questions. Moi, j’ai trois garçon. Mon aîné a été dans le blockhaus à seulement un mois, mon troisième fils est né à Rikitea, son fils est mort d’une tumeur… Alors, oui, on se pose des questions. Est ce que les maladies vont toucher mes fils ? Est ce qu’elles se transmettent ? Le nucléaire nous a fait beaucoup de mal et ça continue. »

« On fait le constat aujourd’hui que des enfants ont développé des cancers donc en tant que femme et mère on ne peut pas rester dans le silence »Lena Normand, vice-présidente de l’association 193

Les maladies transgénérationnelles étaient justement l’un des thème abordé lors de ce rassemblement. « On fait le constat aujourd’hui que des enfants ont développé des cancers donc en tant que femme et mère on ne peut pas rester dans le silence », affirme la vice-président de l’association 193 qui aux côtés de ses référents va au contact des foyers à Tahiti et dans les îles. Marie est l’une de ces référentes. Son mari est décédé d’un cancer du poumon en 2020, un homme pourtant sportif et à l’hygiène de vie impeccable. Il n’a jamais travaillé sur le site de Moruroa mais il était à Tahiti lors du passage du nuage suite à l’essai Centaure en 1974, qui a contaminé toute l’île selon une enquête du collectif Disclose. Marie a constitué un dossier pour son époux après son décès. « Je l’ai fait après car j’ai accompagné mon mari pendant ses quatre années de maladies, ça été très difficile, confie encore sous l’émotion cette sexagénaire, Le CIVEN a rejeté le dossier à cause du fameux 1 millisiviert. J’ai fait un recours mais j’ai eu un nouveau refus, j’ai fini par écrire un courrier au président du CIVEN. ». Un courrier qui restera lettre morte, Marie n’aura jamais de réponses mais elle s’engage auprès de l’association 193 pour aider toutes les victimes dans leur démarche. C’est aussi pour ça qu’elle est là aujourd’hui. « Je suis là pour les mamas et les femmes, on ne peut pas les laisser seules à vivre ce qu’elles vivent ».

Les femmes victimes du
            nucléaire se lèvent pour leurs droits
Les femmes victimes du nucléaire se lèvent pour leurs droits • ©SULIANE FAVENNEC

Charline Tauraatua a fait aussi le déplacement de Toahotu, commune où elle est maire déléguée.  Aujourd’hui, elle porte une double casquette : celle d’élue mais aussi de femme. Cette quinquagénaire, qui constate au quotidien qu’un certain nombre de femmes de son district sont malades, souhaitent mieux comprendre la problématique afin de mieux accompagner ses administrés. « Je ne suis pas malade mais j’estime qu’on doit être là pour notre population. Après cette journée, je vais aller à la rencontre de nos habitants, il faut entrer dans foyer pour dire et expliquer aux familles car elles ont besoin d’être accompagnées. » Diffuser la parole est donc une priorité pour cette maire déléguée. Et elle passe aussi par les politiques surtout en ces temps d’élections Territoriales. Pour les membres de l’association et les  victimes présentes sur place, le nucléaire doit être au programme des partis. « Il faut en parler comme cela a été le cas pour les Législatives car il y a un gros travail à faire encore. Il faut réformer la loi Morin  et faire une étude ! », argue Lena Normand qui estime que tous les partis politiques devraient s’unir sur le sujet pour porter la voix et faire avancer les choses. «Il y a une vraie attente de la population, et les représentants de l’assemblée doivent s’unir pour faire un levier contre l’Etat et demander des avancées ». S’unir donc pour être plus fort comme le dit l’adage. C’était le message de cette journée de rassemblement, c’est le message que ces femmes continueront de diffuser autant que possible.

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