décryptage

Protelos: Servier persiste dans le mensonge

Le laboratoire conteste les révélations de «Libération» sur les effets secondaires du Protelos, son médicament contre l’ostéoporose, qu’il aurait dissimulés aux autorités. Un démenti qui montre, une nouvelle fois, la mauvaise foi de Servier.

Photo prise le 7 septembre 2011 à Paris de boîtes du médicament Protelos des laboratoires Servier. (© AFP Thomas Coex)

par Yann Philippin

publié le 7 septembre 2011 à 16h16

(mis à jour le 7 septembre 2011 à 17h04)

Nous aurions donc tout faux. Après avoir démenti nos révélations sur la falsification du dossier de mise sur le marché du Mediator (Libération du mardi 6 septembre), Servier a de nouveau, mercredi, «démenti fermement les accusations du journal Libération». C’est-à-dire notre dossier publié le matin même, qui montre que Servier a violé la loi pour cacher aux autorités des effets secondaires du Protelos, son médicament contre l’ostéoporose.

Rappelons tout d’abord que nous nous sommes basés sur un rapport d’inspection du système de pharmacovigilance de Servier par l’Agence française du médicament (Afssaps) à la demande de l’Agence européenne des médicaments (EMA). Le document est accablant, puisqu’il pointe huit «écarts majeurs» et deux «écarts critiques», c’est-à-dire des «violations» et «violations graves» de la réglementation, dont certaines «affectant de façon négative la sécurité ou le bien-être des patients ou posant un risque potentiel pour la santé publique». Signalons enfin qu’entre l’inspection, réalisée en décembre 2009, et le rapport final d’octobre 2010, Servier a pu envoyer par deux fois ses commentaires à l’Afssaps, qui les a rejetés.

Les inspecteurs n’ont donc pas été convaincus. Les faits ont d’ailleurs été jugés si graves que l’EMA se réserve le droit de saisir la justice. L’Afssaps l’a déjà fait, puisqu’elle a transmis le rapport aux juges d’instruction enquêtant sur le Mediator. Dans son communiqué, Servier tente de contester certains points précis de notre article. Mais l’ensemble de ses affirmations sont fausses ou de mauvaise foi. Voici pourquoi, point par point.

«Les Laboratoires Servier n’ont jamais dissimulé les effets secondaires d’un médicament.»

Les inspections ont constaté plusieurs «exemples d’absence persistante significative de codage» d’effets indésirables. Or, le codage, c’est la désignation de la pathologie. Un effet non codé est un effet non déclaré, donc caché. Dans le cas d’un seul patient, l’EMA a forcé Servier à ajouter les effets secondaires suivants : «éruption prurigineuse», «pyrexie», «faiblesse musculaire», «hypotonie», «désorientation», «augmentation de la créatinine sanguine» et «enzymes hépatiques anormaux». Surtout, Servier a avoué aux inspecteurs qu’il faisait exprès de ne pas déclarer tous les effets secondaires, pour éviter le «bruit de fond dans le système». Cette violation grave de la réglementation est l’un des deux «écarts critiques» du labo.

«Les deux cas de décès chez des patients qui prenaient du Protelos et qui avaient souffert d’une réaction cutanée à impact systémique (DRESS) ont bien été répertoriés dans les rapports de pharmacovigilance.»

Servier a bien dissimulé des effets secondaires, et même le plus grave de tous: la mort. Servier a raison de dire qu’il a déclaré ces deux cas de patients atteints de syndrome d’hypersensibilité médicamenteuse (une pathologie grave). Mais il a tenté de dissimuler qu’ils étaient morts: «deux cas de décès trouvés dans le document [envoyé par Servier] n’ont pas été signalés dans la section « 6.4 Décès« », indique le rapport.

«Les améliorations du système de codage suite à l’inspection n’ont permis d’identifier aucun nouvel effet indésirable de Protelos ni ont eu d’impact sur l’appréciation du Bénéfice/Risque des autres produits Servier.»

Dans cette phrase, chaque mot est pesé. Le rapport mentionne très clairement que «l’évaluation du caractère attendu ou inattendu des effets indésirables est réalisée de façon à sous-estimer le nombre d’effets indésirables inattendus». En clair, Servier a donc dissimulé aux autorités des cas d’effets indésirables encore inconnus. Exemple: ce cas d’«inflammation muqueuse» répertorié par Servier comme «attendu», alors «qu’il ne figure pas sur» la notice du médicament et sur son RCP (descriptif officiel).

Par contre, il est exact qu’après inspection, aucun nouvel effet indésirable n’a été ajouté sur la notice et qu’aucune molécule n’a été retirée du marché. Cela signifie que les cas dissimulés par Servier n’étaient, heureusement, pas assez nombreux ou pas assez graves pour justifier des modifications. Cela n’enlève rien au fait que Servier a fraudé sur ce point.

«Le rapport d’inspection, contrairement à ce que prétend Libération, n’a pas entrainé de la part de l’EMEA une demande de réévaluation de tous les médicaments de Servier.»

Là encore, Servier joue sur les mots. Voici la version des faits que l’EMA a communiquée lundi à Libération par email. Suite à l’inspection, l’EMA a demandé à Servier de lui renvoyer les déclarations d’effets indésirables de tous ses produits, ainsi que son évaluation du bénéfice/risque (le critère qui sert à autoriser ou retirer un produit) pour chaque molécule. Servier a été prié de faire la même chose auprès des Agences nationales du médicament qui avaient la responsabilité de médicaments de Servier. L’EMA et les agences nationales ont décortiqué les documents de Servier et conclu, au final, que le «rapport bénéfice/risque reste positif» pour tous les produits. Cela veut bien dire qu’ils ont été réévalués.

«Lors de la nouvelle inspection de juillet 2011 (deux ans après la première), les inspecteurs se sont déclarés satisfaits des améliorations apportées par Servier en mentionnant qu’il n’y a plus aucune anomalie « critique« ».

Ce n’est pas la version qu’a donné l’EMA à Libération. Selon un porte-parole de l’agence, le rapport correspondant à cette inspection de juillet 2011 n’est pas encore prêt. A ce stade, l’EMA refuse donc de se prononcer sur le fait que Servier respecte à nouveau ses obligations. Ceci étant dit, Servier a pu avoir eu connaissance d’un version préliminaire du rapport. Notons par ailleurs que Servier affirme avoir résolu les deux «écarts critiques», mais qu’il ne dit rien sur les huit «écarts graves». Enfin, même si Servier avait enfin résolu les problèmes, trois ans après les premières critiques de l’EMA (lire ci-dessous), ce ne serait que la moindre des choses.

«Les Laboratoires Servier ont toujours coopéré pleinement et de manière transparente avec les autorités de santé et se sont empressés systématiquement de mettre en place les améliorations nécessaires suite aux contrôles.»

C’est absolument faux. Le processus commence en fait en 2008, lorsque l’EMA découvre des erreurs de codage dans les rapports d’effets indésirables envoyés par Servier. L’EMA découvre aussi que Servier a institué la non-déclaration en véritable système. Le labo explique à l’EMA qu’il code certains effets secondaires dénommés «concurrents accessoires» qu’il ne déclare pas tout de suite, afin d’«éviter le bruit de fond dans le système». Sauf que cette catégorie a été inventée de toutes pièces par Servier et n’existe pas dans la réglementation, qui impose au contraire de tout déclarer.

«Inacceptable», répond logiquement l’EMA. S’ensuivront plusieurs injonctions de l’EMA à Servier pour qu’il modifie ses règles de codage. Mais Servier ne le fait pas. La qualité de son rapport d’incidents de mars 2009 «reste inacceptable», indique l’EMA. C’est face au refus répété de Servier de respecter la loi que l’EMA se résoud, en septembre 2009, à diligenter une inspection chez Servier. Voilà pour la coopération «pleine» et «transparente» dont se vante le labo, et le fait qu’il s’est «empressé» de rectifier le tir… Enfin, les résultats du rapport, finalisé en octobre 2010, se sont révélés tellement accablants que l’EMA a jugé «nécessaire» de diligenter une seconde inspection cette année pour vérifier que les corrections demandées ont bien été réalisées. Signe que l’agence ne fait plus confiance au labo.

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