Le programme nucléaire d’Emmanuel Macron en questions

Analyse

Après les annonces du président Emmanuel Macron sur la construction de nouveaux réacteurs nucléaires, un certain nombre de points demeurent peu clairs. La Croix passe en revue ces questions qui restent à régler pour mettre en œuvre le nouveau programme nucléaire de la France.

  • Julie de la Brosse et Michel Waintrop, 
  • le 11/02/2022 à 18:59

Lecture en 4 min.

Le programme nucléaire d’Emmanuel Macron en questions
Le président de la République Emmanuel Macron, à Belfort, le 10 février 2022.LIONEL VADAM/L’EST REPUBLICAIN/MAXPPP

Quatorze nouveaux EPR, de petits réacteurs additionnels, et le prolongement de la durée de vie des centrales au-delà de cinquante ans… Emmanuel Macron, qui a détaillé ce jeudi 10 février son programme nucléaire, n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. Après avoir passé cinq bonnes années à tergiverser, le président de la République a donc fait son grand « coming out » nucléaire. Mais dans le cas où Emmanuel Macron serait de nouveau élu, qu’est-ce que ces décisions impliqueraient ?

► Quel serait le poids du nucléaire dans le mix énergétique de demain ?

Les annonces de jeudi représentent une nouvelle entaille à la loi de transition énergétique votée en 2015, qui prévoyait de faire passer de 75 à50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité d’ici à 2025. En début de quinquennat, le gouvernement avait déjà reculé l’horizon de 2025 à 2035. Mais il s’était engagé à fermer 14 centrales dans le même temps. Pour Emmanuel Macron désormais, il n’est plus question de fermer le moindre réacteur.iPourquoi lire La Croix ?La Croix vous explique, avec lumière et clarté, le monde qui vous entoure, afin que vous puissiez bâtir votre opinion.+

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Pour autant, est-ce de nature à remettre en cause la baisse du nucléaire dans le mix énergétique français ? Il est difficile de répondre, puisque tout dépendra des fermetures éventuelles décidées par l’ASN, et des scénarios de consommation sur lesquels on se base.À lire aussiChine, Inde, France : de plus en plus de réacteurs nucléaires

On peut toutefois estimer, en se fondant sur les scénarios de transition fournis par RTE l’an dernier qu’en l’état, le projet d’Emmanuel Macron s’approche du scénario le plus nucléarisé étudié par RTE, dans lequel cette énergie représentait 50 % de l’électricité produite en France à horizon 2050. Cela signifie que l’objectif de transition serait encore reculé de quinze ans.

► Les EPR de seconde génération sont-ils plus faciles à construire ?

Alors que le premier (et seul) EPR français, à Flamanville (Manche), n’a toujours pas vu le jour, Emmanuel Macron a annoncé la réalisation de six EPR 2 d’ici à 2050. Le chantier du premier débuterait en 2028 pour une mise en route vers 2035. Le coût total avoisinerait une cinquantaine de milliards d’euros. Ce montant tranche avec la facture de Flamanville qui se montera à près de 13 milliards d’euros pour des estimations de départ de 3,3 milliards.

Pourquoi les EPR 2 ne connaîtraient-ils pas le même dérapage financier ? « Flamanville a été lancé sans doute avec un peu de précipitation, alors que le process industriel n’était pas tout à fait fini et que le cahier des charges avec les fournisseurs n’était pas au point », relève Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française d’énergie nucléaire, qui pointe aussi un catalogue de composants trop étendu.À lire aussiNucléaire : les deux prochains EPR seront construits à Penly

« Les EPR de nouvelle génération sont basés sur la même technologie mais leur design est un peu différent pour permettre une bien plus grande standardisation des composants », remarque Greg de Temmerman, chercheur associé à Mines-ParisTech PSL et directeur général du centre de réflexion Zenon Research. « Puisqu’on en construit plusieurs avec des préfabrications en usine, ses promoteurs espèrent des économies d’échelle en termes de temps et de coût. »

► La prolongation d’utilisation des réacteurs au-delà de cinquante ans est-elle possible ?

Avec 56 réacteurs, la France compte le deuxième parc nucléaire le plus important derrière les États-Unis. Construites entre les années 1970 et la fin des années 1990, ces installations vieillissent. « Je souhaite qu’aucun réacteur nucléaire en état de produire ne soit fermé à l’avenir », a pourtant affirmé Emmanuel Macron qui a précisé avoir demandé à EDF d’étudier les conditions de prolongation au-delà de cinquante ans.

Selon l’ASN, l’autorité indépendante chargée au nom de l’État de contrôler la sécurité nucléaire, la durée de vie des centrales françaises n’a pas été fixée réglementairement. Mais le réseau Sortir du nucléaire rappelle qu’elles n’étaient pas prévues au départ pour durer plus de quarante ans. C’est en 2009 que EDF a souhaité prolonger leur durée de fonctionnement. La visite d’inspection décennale de l’ASN que subissent obligatoirement les réacteurs a alors été renforcée pour ceux qui ont atteint cette fameuse quarantaine.À lire aussiEDF, une citadelle assiégée

Pourront-ils durer dix, voire vingt ans de plus ? « Seule une poignée de réacteurs nucléaires a dépassé les cinquante ans dans le monde », s’inquiète Sortir du nucléaire. Et EDF a découvert des problèmes de corrosion sur certains réacteurs.

► Comment financer le futur parc ?

Selon RTE, la construction de six nouveaux EPR devrait coûter entre 50 à 60 milliards d’euros (100 milliards d’euros si l’on va jusqu’à quatorze). Il faut bien sûr manier ces chiffres avec beaucoup de précautions, car le prix définitif dépendra des modalités de financement. Le nucléaire est une énergie très coûteuse en capital, si bien que les intérêts peuvent représenter plus de 50 % du prix final.

« C’est pourquoi en fonction des options retenues, et de la façon dont les contrats sont ficelés (notamment les mécaniques de rachat d’électricité), la facture finale peut varier considérablement », explique Nicolas Goldberg, consultant énergie chez Colombus. Ceci explique pourquoi la France s’est tellement battue pour faire entrer le nucléaire dans la taxonomie européenne. En intégrant la catégorie des investissements « verts », le nucléaire pourra bénéficier de conditions de financement plus favorables.À lire aussiUnion européenne : la « taxonomie » verte fait débat

Au-delà du montant, la question est de savoir qui de l’État ou d’EDF paiera la note. Lors de son allocution, Emmanuel Macron a assuré que l’État (et donc in fine le contribuable) prendrait ses responsabilités. Ce qui est sûr, c’est que le nucléaire ne pourra pas être financé sur fonds publics sans rouvrir le gigantesque chantier de la réforme d’EDF.

Lancé en 2019 par la direction du groupe, le projet Hercule – qui prévoyait de scinder EDF en trois entités, dont une 100 % publique dédiée au nucléaire – avait notamment pour objectif de permettre à l’État de financer les futurs EPR, sans risquer de se faire tirer les oreilles par Bruxelles, toujours très regardante sur les aides d’État. Mais la réforme a capoté, sur fond de grogne sociale. Pour le moment, la question du financement reste donc entière.

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