Covid-19 et chloroquine : le patient infecté peut-il choisir son traitement ?
www.village-justice.com/articles/covid-chloroquine-patient-infecte-peut-choisir-son-traitement,34334.html
Par M° Delphine Provence, Avocat. 30 mars 2020
Le refus d’administrer de la chloroquine à un patient
atteint du Covid-19 constitue-t-il une atteinte grave et manifestement illégale
au droit au respect à la vie et au consentement du patient ?
(Article actualisé par l’auteur suite aux
décrets des 25 et 26 mars 2020, et à la décision du Conseil d’Etat du
28/03/2020.)
Alors que la polémique autour de l’utilisation de la chloroquine (un médicament traditionnellement indiqué dans le traitement et la prévention du paludisme) pour enrayer les effets du nouveau coronavirus Covid-19 n’en finit plus de monter, la question du choix du patient quant à la stratégie thérapeutique à adopter se pose avec acuité.
Un patient atteint du Covid-19 a-t-il le droit d’exiger de bénéficier d’un traitement plutôt que d’un autre ? Peut-il s’opposer au protocole thérapeutique décidé par le praticien hospitalier ? Plus encore, peut-il imposer l’administration d’un traitement pour lequel il n’existe pas (encore) de consensus scientifique mais à propos duquel une partie du corps médical affirme qu’il pourrait lui sauver la vie ?
Depuis la loi Kouchner du 4 mars 2002, le temps du paternalisme médical est révolu : le patient est désormais émancipé, pleinement apte à assumer le rôle de décideur final des soins qui le concernent.
L’article L. 1111-4 du Code de la santé publique dispose que « toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé » et que « le médecin a l’obligation de respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité ».
Gravée dans la loi, l’obligation de respecter en toutes circonstances le consentement du patient a été érigée au rang de liberté fondamentale par le Conseil d’Etat dans une décision fondatrice du 16 août 2002 (CE, juge des Réf., Cts Feuillatey, req. n° 249552).
Il fut un temps où le patient ne pouvait pas agir en amont : sa volonté bafouée, il ne pouvait qu’agir a posteriori sur le terrain de la responsabilité pour faute.
Depuis l’entrée en scène du référé-liberté en droit médical en 2002, le patient est mieux armé.
L’article L. 521-2 du Code de justice administrative permet de demander au juge des référés, lorsqu’il y a urgence, d’ordonner « toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ». Le juge des référés doit se prononcer dans un délai de quarante-huit heures.
Le droit au respect à la vie et le droit au respect du consentement du patient, tous deux expressément reconnus comme des droits fondamentaux de la personne humaine, bousculent le débat qui existe actuellement sur la prise en charge thérapeutique des patients atteints du Covid-19.
D’aucuns reconnait qu’il n’existe aucun traitement validé à ce jour pour soigner la maladie provoquée par le virus Sars-Cov-2, mais seulement des pistes encourageantes de traitement.
L’article L. 1110-5 du Code de la santé publique consacre le droit pour toute personne, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, « de recevoir, sur l’ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté ».
Dans cet énoncé, on entrevoit un impératif de qualité et de sécurité des soins : le médecin doit donner des soins, non pas quelconques, mais consciencieux, attentifs, dévoués et conformes aux données acquises de la science. Le Conseil National de l’Ordre des Médecins assigne une double exigence à l’exercice de la médecine : « morale, car cette activité implique altruisme et dévouement, et scientifique, car elle impose, comme un devoir, la compétence« .
La loi impose donc au corps médical le respect du principe de proportionnalité, qui renvoie au rapport bénéfice/risque inhérent à tout acte médical. Le praticien doit donc apprécier la nécessité du traitement par rapport aux risques que le malade est susceptible d’encourir.
Dans l’hypothèse où le patient ne serait pas d’accord avec la prise en charge thérapeutique (ou l’absence de prise en charge) adoptée par l’hôpital, la question se pose de savoir s’il pourrait saisir le juge des référés-liberté du tribunal administratif pour que ce dernier ordonne la mise en place du traitement souhaité. En l’occurrence, un patient contaminé par le Covid-19 pourrait-il demander au juge administratif d’imposer le recours à l’hydroxychloroquine pour traiter son infection ?
La réponse n’est pas évidente et dépendra sans doute du profil clinique du patient.
Pour l’heure, le gouvernement a suivi l’avis rendu le 23 mars 2020 par le Haut Conseil de la Santé Publique préconisant de restreindre l’utilisation de la chloroquine aux formes les plus graves du coronavirus (comprendre « les patients atteints de pneumonie oxygéno-requérante ou d’une défaillance d’organe »), traitées en milieu hospitalier, sur décision collégiale des médecins et sous surveillance médicale stricte [1]. Le comité scientifique a expressément exclu toute prescription par la médecine de ville et pour des cas non sévères.
Les décrets publiés par le gouvernement les 25 et 26 mars 2020 reprennent les recommandations du Haut Conseil en encadrant strictement la prescription et la délivrance de la spécialité pharmaceutique Plaquenil (sulfate d’hydroxychloroquine), en la réservant à un usage hospitalier et en interdisant aux officines de ville de la dispenser en-dehors des indications de son autorisation de mise sur le marché. En l’absence d’alternative thérapeutique appropriée, un médecin libéral reste toutefois libre de prescrire l’hydroxychloroquine hors AMM pour traiter un patient atteint du Covid-19, à la condition qu’il juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état clinique de son patient. Mais avec un aléa de taille : combien seront les officines à accepter de traiter ces ordonnances… ?
Pour justifier sa position, le Haut Conseil retient que « l’hydroxychloroquine peut provoquer des hypoglycémies sévères et entraîner des anomalies ou une irrégularité du rythme cardiaque pouvant engager le pronostic vital », que « ce médicament comporte des contre-indications notamment en cas d’association à d’autres médicaments » et « qu’un surdosage peut entraîner des effets indésirables graves pouvant mettre en jeu le pronostic vital. »
Autant d’effets secondaires que d’autres médicaments sont susceptibles de provoquer, étant rappelé que tout traitement ou acte médical comporte des risques plus ou moins rares et/ou plus ou moins sévères…
S’agissant de l’étude observationnelle réalisée par l’équipe du Professeur Didier Raoult, Directeur de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille, sur 26 patients atteints du Covid-19, le Haut Conseil de la Santé Publique indique que « ces résultats exploratoires doivent être considérés avec prudence en raison du faible effectif de l’étude, incluant en partie des patients asymptomatiques, de l’absence de bras témoin, du critère de jugement uniquement virologique (pas de données cliniques) » et qu’ « ils ne permettent pas de conclure à l’efficacité clinique de l’hydroxychloroquine ou de l’association hydroxychloroquine + azithromycine, mais demandent à être confirmés (ou infirmés). »
Les mesures prises par le Premier Ministre n’ont pas tardées à être critiquées de tous bords. Dans un communiqué diffusé le 26 mars 2020, l’Académie nationale de Médecine considérait « que la libération par les pouvoirs publics de l’hydroxychloroquine pour les malades hospitalisés en détresse respiratoire ne saurait être une réponse adaptée pour des patients dont la charge virale est, à ce stade, le plus souvent inexistante et dont la maladie n’est plus une virose stricto sensu mais une défaillance pulmonaire (syndrome de détresse respiratoire aigu) liée à l’inflammation induite par le Sars- CoV-2 », rejoignant ainsi la position exprimée par l’infectiologue français Didier Raoult. Ceci pose clairement la question de la pertinence du protocole retenu en termes d’efficacité et de sa conformité aux normes législatives et conventionnelles en vigueur.
Différents syndicats de médecins ont demandé au Conseil d’Etat, dans le cadre d’une requête en référé-liberté déposée le 23 mars 2020, d’enjoindre à l’Etat de prendre toutes mesures utiles notamment « pour fournir et autoriser les médecins et hôpitaux à prescrire et administrer aux patients à risque l’association de l’hydroxychloroquine et de l’azithromycine ».
Dans une Ordonnance rendue le 28 mars 2020 [2], le Conseil d’Etat rejette la demande des requérants, estimant que les « études disponibles à ce jour souffrent d’insuffisances méthodologiques » et que « l’essai clinique européen « Discovery », dont les premiers résultats seront connus dans une dizaine de jours et qui doit inclure des patients pour lesquels le traitement est initié suffisamment tôt pour apprécier l’incidence de la molécule sur l’évolution de la maladie, permettra de recueillir des résultats plus significatifs. » Précisons d’emblée que le Conseil d’Etat ne s’est pas vu communiquer la 2e étude réalisée par l’institut hospitalo-universitaire de Marseille portant sur 80 patients mais uniquement la première qui portait sur 26 patients, ce qui restreint considérablement la portée de cette décision.
La Haute Juridiction précise également que, si le Premier ministre pouvait interdire la dispensation de l’hydroxychloroquine en pharmacie d’officine en dehors des indications de son autorisation de mise sur le marché, ces mesures sont « susceptibles d’évolution dans des délais très rapides ». Le Conseil d’Etat ne ferme donc pas la porte et rappelle qu’il se prononce « en l’état de l’instruction ». Sa position pourra donc être amenée à évoluer très vite (le plus tôt étant le mieux au regard du contexte d’urgence sanitaire) en présence de nouveaux éléments.
Dans cette décision, le Conseil d’Etat réaffirme par ailleurs la liberté de prescription du médecin, tout patient ayant le droit de recevoir « sous réserve de son consentement libre et éclairé, les traitements et les soins appropriés à son état de santé, tels qu’appréciés par le médecin ». Interrogé sur un cas particulier, le Conseil d’Etat aurait donc très bien pu avoir une approche différente.
Si le respect de la volonté du patient est aujourd’hui l’expression ultime de la liberté individuelle et de la dignité humaine, il serait néanmoins faux de croire que cette liberté a supplanté toutes les autres.
En effet, dans une décision rendue en référé le 26 juillet 2017 (CE, juge des réf., formation collégiale, 26 juillet 2017, n° 412618), le Conseil d’Etat a jugé qu’un hôpital ne peut se voir imposer de pratiquer sur un patient un traitement que l’équipe médicale n’a pas choisi. Les juges du Palais Royal ont ainsi retenu qu’« aucune disposition ne consacre un droit du patient à choisir son traitement », réaffirmant par là même la liberté thérapeutique du médecin. Notons que cette affaire concernait la décision prise par trois équipes hospitalières indépendantes d’administrer un traitement palliatif à un enfant comateux atteint d’une leucémie aiguë et récidivante alors que les parents réclamaient la mise en place d’une chimiothérapie curative, laquelle était jugée inappropriée par les soignants compte tenu de la très forte probabilité de son inutilité ainsi que des grandes souffrances et des risques élevés qu’elle devait entraîner pour l’enfant. Au regard des faits litigieux, qui mettaient en cause la notion d’acharnement thérapeutique, la décision rendue doit donc s’analyser avec prudence.
Quoiqu’il en soit, le médecin ne dispose pas d’un blanc-seing dans le choix du traitement à mettre en œuvre. Le juge contrôle les diligences accomplies par l’équipe médicale en charge du patient pour déterminer le traitement le plus approprié à son état de santé et vérifie si la décision a bien été prise en tenant compte d’une part, des risques encourus et, d’autre part, du bénéfice escompté. Le juge sera également sensible à l’existence de plusieurs avis médicaux concordants pour un même cas donné.
Fort de ces éléments, la réponse à la question posée précédemment doit être nuancée : un hôpital qui refuserait d’administrer à un patient la médication à base de chloroquine déjà testée avec succès sur des dizaines de patients, sans lui offrir de traitement curatif alternatif, alors même que ce patient ne présenterait pas de prédispositions négatives à ce protocole thérapeutique et comporterait un risque sérieux de complications graves ou de décès lié à son infection au Covid-19, pourrait se voir enjoindre par le juge des référés l’obligation de délivrer ce traitement. A l’inverse, dans l’hypothèse où les risques liés à l’utilisation d’un tel traitement étaient estimés supérieurs au bénéfice escompté par le corps médical, l’hôpital ne violerait aucun droit fondamental à refuser de le délivrer au patient.