Levothyrox : deux enquêtes contradictoires nourrissent les doutes sur la nouvelle formule
Une étude de l’Agence du médicament vient contredire les accusations de sous-dosage du Levothyrox, dont la nouvelle formule provoquerait de graves effets secondaires.
Nouveaux tirs croisés dans l’affaire du Levothyrox. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a publié vendredi 6 juillet une analyse sur la composition du Levothyrox. Le médicament prescrit aux personnes souffrant d’hyperthyroïdie ne serait, selon l’ANSM, « ni sous-dosé ni contaminé », contrairement à ce que soutient l’Association française des malades de la thyroïde (AFMT).
Rappelons les faits : la nouvelle formule, très décriée, a été commercialisée à la fin du mois de mars 2017. Elle a provoqué, selon de nombreux témoignages, des effets secondaires (vomissements, pertes de cheveux, dépression). L’heure est à la recherche de réponses. La nouvelle formule est-elle à l’origine de ces symptômes ?
Le rapport rendu par l’ANSM défend que la quantité de levothyroxine, principe actif des comprimés, serait « identique pour la nouvelle formule et l’ancienne formule de Levothyrox » et correspondrait « à celle attendue ». Pas de sous dosage, donc, selon l’organisme. C’était déjà la conclusion développée par l’ANSM auprès de « l’Obs » en septembre dernier.
Cette fois, l’étude se base sur 14.000 déclarations faites entre le 1erdécembre 2017 et le 17 avril 2018 auprès des centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV), ainsi que sur les données fournies par le laboratoire fabricant Merck. S’ajoutent les 5.061 personnes prises en compte dans la première analyse et les 12.248 dans une deuxième. Elle conclut que le profil clinique des effets indésirables est le même pour l’ancienne et la nouvelle formule, avec une fréquence de signalements accélérée et « totalement inattendue » pour la nouvelle.
De plus, estime l’étude, impossible à partir de ces analyses « d’identifier d’éventuels patients à risque » et « de proposer une hypothèse à la survenue de ces effets indésirables ».
Teneur en Levothyroxine « gravement inférieure »
Cette récente étude vient contredire celle de l’AFMT, publiée le 14 juin 2018, et jugée peu sérieuse et opaque par l’ANSM. Pour déterminer si la nouvelle formule était à l’origine des effets secondaires décrits par les patients, l’AFMT a fait comparer la composition d’une boîte de l’ancienne formule et d’une boîte de la nouvelle. Résultats : dans l’ancienne formule, les seuils vont de 95 à 110 microgrammes de produit par comprimé. La nouvelle formule, elle, ne concentre que 88,9 à 72,17 microgrammes par comprimé.
Un écart de 10% à 30% qui pousse l’AFMT à affirmer :
« La teneur en levothyroxine, seul composant hormonalement utile du médicament, est gravement inférieure aux spécifications en vigueur. »
L’enquête a été envoyée à Merck qui a vivement contesté ces conclusions, rétorquant que le procédé de fabrication du comprimé « n’a pas changé depuis l’ancienne formule ». L’AFMT revendique pourtant le sérieux du centre d’analyses américain auquel elle a eu recours, « indépendant et validé par la FDA (autorité de santé américaine) ».
Insuffisant pour L’ANSM qui s’est aussi empressée de répliquer. Dans un communiqué en date du 14 juin 2018, on lit :
« Les résultats d’analyses sur la nouvelle formule de Levothyrox rendus publics ce jour par l’AFMT ne sont ni détaillés ni accompagnés d’informations sur le laboratoire ou la méthode utilisée. Aussi, il n’est pas possible, à ce jour, de se prononcer sur leur validité. »
Un produit dangereux dans la nouvelle formule ?
En plus du sous-dosage des comprimés de Levothyrox, l’AFMT dit avoir détecté la présence d’une substance qui n’était pas contenue dans l’ancienne, substance « pouvant correspondre à de la dextrothyroxine. Il existe une forme ‘L’ (levothyroxine) et une forme ‘D’ (dextrothyroxine) différentes en ce qu’elles sont symétriques comme le sont la ‘main droite’ et la ‘main gauche' ».
Or, ces deux principes n’ont pas les mêmes propriétés. Alors que le premier a des effets thérapeutiques, le second est potentiellement dangereux. Et a été interdit en 1998 aux Etats-Unis pour ses effets néfastes sur le foie et le cœur. « Si ces résultats étaient confirmés », ils pourraient expliquer « les effets indésirables graves » et « les tableaux très atypiques observés chez de nombreux patients-victimes » s’inquiète l’AFMT. Elle précise :
« Notre association ne prétend pas, sur une seule étude, disposer d’une preuve indiscutable mais d’un fait nouveau important. Car si ces résultats étaient confirmés, comme on peut le penser, ils pourraient constituer une explication rationnelle à cette crise, d’origine toujours inconnue. »
Et nécessiter une analyse supplémentaire…
Chose faite dans l’étude de l’ANSM du 6 juillet observe aussi le taux de dextrothyroxine, qui aurait été retrouvé « à l’état de traces », dans une quantité « de l’ordre de 0,1% ». Une dose « attendue pour ce type de substance » qui « ne représente pas en soi un défaut qualité ni un risque pour la santé ».
Plainte pour conflit d’intérêts
Ces deux rapports contradictoires pourraient bientôt être utilisés devant les tribunaux. Ils interviennent alors qu’une centaine de malades ont porté plainte pour trafic d’influence, comme l’a expliqué leur avocat Maître Lefevre sur Franceinfo le 6 juillet 2018. Le parquet de Marseille est appelé à ouvrir une enquête sur d’éventuels conflits d’intérêts.
Argument : Philippe Lechat, membre de l’ANSM qui a signé la demande de nouvelle formule du Levothyrox à Merck n’est autre qu’un ancien du laboratoire. Me Lefevre observe : « On découvre que la personne qui a signé le courrier, en février 2012, pour solliciter le changement de formule, a travaillé pour le laboratoire Merck. Il suffit de se référer à la déclaration publique d’intérêts rédigée par l’intéressé, et on voit qu’il a travaillé pour Merck plusieurs années. Il y a donc évidemment un conflit d’intérêts, ça pose question. »
« Quand le laboratoire Merck vous donne sa version officielle qui est de dire ‘c’est une autorité complètement indépendante qui nous a donné le feu vert’, on s’aperçoit qu’en réalité, ce n’est pas une autorité si indépendante que ça. C’est un ancien de la maison, si je puis dire. »
Cette plainte s’ajoute à celles qui ont déjà été déposées pour « blessures involontaires », « mise en danger de la vie d’autrui » et « tromperie aggravée ».
Maïlys Khider