Je voudrais pour faire suite à mes billets précédents revenir sur l’interview du 15 septembre 2017 sur l’antenne de France Inter, du Pr Agnes BUZYN ministre de la santé :
« J’ai reçu l’association des malades, la semaine dernière, vendredi dernier très exactement, je leur ai dit que nous mettions tout en œuvre pour qu’il y ait des alternatives thérapeutiques et donc déjà depuis toujours il existe une alternative en goutte à laquelle les malades ont accès. Ensuite nous avons fait en sorte et j’ai demandé à l’agence du médicament qu’il fasse en sorte que l’ancien Lévothyrox soit accessible, de façon à ce que ceux qui le réclament puissent le prendre et ce sera disponible dans 15 jours. »
Madame la ministre a donc entendu les malades. Mieux vaut tard que jamais!
Elle accepte enfin, que les malades puissent disposer de l’ancienne formule de Lévothyrox. Ce n’était pourtant pas envisageable, les jours précédents. De la même façon, ils pourront bénéficier du Lévothyrox en gouttes. Pourtant peu de temps auparavant, les autorités déconseillaient son usage à tous les patients car cette formulation est réservée aux enfants.
Cette attitude, enfin de bon sens, est à souligner. Doit-on pour autant féliciter la ministre pour cela? Personnellement, je ne le pense pas car j’ai le sentiment, comme d’autres, que ce revirement dans l’attitude de la ministre ne vient pas de sa propre volonté mais d’ailleurs.
Et enfin dans un mois, nous aurons des alternatives, c’est à dire d’autres marques, d’autres médicaments, qui permettront, progressivement aux patients de pouvoir choisir le médicament qui leur convient le mieux, sachant que l’ancien Lévothyrox devrait normalement disparaître puisque le laboratoire ne devrait plus le produire dans les années à venir.
Je m’interroge sur cette annonce.
Les associations de patients demandaient essentiellement à pouvoir disposer de l’ancienne formule. A ce propos, ils s’interrogent sur la mise en pratique de cette mesure. Pourquoi aujourd’hui, une « profusion » de médicaments à base de lévothyroxine est-elle annoncée?
Pour que les patient(e)s aient le choix, dit la ministre.
Mais ce qui est la règle pour un produit de consommation courante, l’est-elle pour un médicament à marge thérapeutique étroite? Est-ce vraiment judicieux d’autoriser cette multiplication des médicaments à base de lévothyroxine?
Précédemment et pendant très longtemps, seul Merck avait le monopole avec le Lévothyrox, pourquoi brutalement l’ouverture à la « concurrence »? Surtout après nous avoir expliqué pendant de longues semaines que le nouveau Lévothyrox était « parfait ». D’ailleurs le dernier billet du Dr Dominique DUPAGNE ne dit pas autre chose.
Je m’interroge d’autant plus, que cette « affaire Lévothyrox » a montré les difficultés inhérentes aux médicaments à marge thérapeutique étroite. Pourquoi alors multiplier les différentes formes du médicament disponibles? Il risque d’avoir une confusion extrême avec non plus 1 médicament mais 2,3,4,5 ou plus de spécialités. Il sera alors quasiment impossible d’étudier les effets secondaires après la prise de lévothyroxine. Déjà nous venons de voir qu’avec un seul médicament disponible, le Lévothyrox nouvelle formule, il y a une « bataille » pour savoir si c’est le médicament qui est responsable ou si c’est « essentiellement » un effet nocébo. Alors , multiplier les alternatives va rendre impossible toute étude sur d’éventuels effets secondaires.
Par ailleurs, cela risque même de relancer la problématique sur les génériques. En témoigne le questionnement sur le sujet dans l’interview et la réponse :
« Non, ce ne sera pas forcément un générique car il existe des médicaments de marque; ce qui compte c’est que les patients aient le choix pour qu’ils puissent avoir des médicaments adaptés. »
Donc beaucoup de confusions possibles dans l’avenir grâce à cette décision.
A la question de l’intérêt de la mobilisation citoyenne, la réponse est la suivante : « Je crois qu’il est important d’entendre la plainte des malades. Ce que disaient les médecins c’est que la majorité des effets secondaires étaient liés au fait que ce médicament déstabilisait l’équilibre hormonal des gens et que donc il suffisait de trouver la bonne dose; mais de fait il y avait des patients qui malgré un bon dosage continuaient d’avoir des effets secondaires et ces patients nous les entendons ».
Est-ce vraiment l’écoute de la mobilisation citoyenne qui a provoqué les nouvelles décisions ministérielles?
C’est avoir la mémoire courte que de croire que madame la ministre tient compte de l’expression des patients et des citoyens. La décision d’obligation vaccinale n’est pourtant pas loin. Dans ce dossier, les citoyens, beaucoup de médecins, contestent l’obligation. Même la concertation citoyenne sur le sujet, ne recommandait pas cette obligation. Madame la ministre a-t-elle écouté, entendu? Il semble que non. C’est la voix des experts qui a prévalu.
Et l’on peut remonter, peu de temps en arrière, à la concertation citoyenne sur la mammographie de dépistage. Madame le Pr BUZYN a été présidente de l’INCA pendant plusieurs années, en particulier pendant cette concertation, même si elle n’était plus présidente lors de la publication du rapport final. Il n’empêche, la concertation citoyenne s’est exprimée et son message a été contesté. Encore aujourd’hui, ministre de la santé, madame le professeur BUZYN laisse l’INCA publier un document qui est noté 6/20 en qualité de l’information délivrée aux femmes.
Donc, croire qu’aujourd’hui, madame la ministre de la santé est un « parangon » d’écoute et de concertation, parce qu’elle le dit, me semble faire preuve, pour le moins, d’aveuglement.
Enfin, je voudrais terminer par ce constat, partagé par madame la ministre « … il y avait des patients qui malgré un bon dosage continuaient d’avoir des effets secondaires… »
Je suis très surpris par ce que je lis comme commentaires de patient(e)s qui décrivent leurs souffrances depuis l’introduction de la nouvelle formule de Lévothyrox. D’ailleurs, ces mêmes commentaires se retrouvent sur ce blog.
Je suis surpris par l’intensité des troubles décrits.
Je suis surpris aussi par le fait que ces troubles sont soit survenus rapidement après le changement mais aussi beaucoup plus tardivement.
Certain décrivent également avoir ressenti des troubles sans même savoir que la formule avait été modifiée.
Ainsi ce que décrit un patient, il ne faut jamais le nier. C’est ce qu’il a ressenti et donc personne en dehors de lui n’est susceptible de contester ce qu’il vit.
Après avoir admis cette évidence, qui malgré tout semble niée par certains soignants, il est normal d’essayer de comprendre.
Mais a-t-on aujourd’hui la possibilité de tout comprendre?
Ma réponse est non car je sais que notre ignorance est plus importante que notre connaissance, même en médecine.
Cependant cette « croyance » en notre ignorance n’est malheureusement que peu partagée par la profession médicale. En effet, beaucoup de confrères sont dans ce que l’on nomme « la toute puissance », ils savent.
Quand un médecin se trouve dans la toute puissance, il a la croyance qu’il maîtrise le domaine de la santé et le domaine de la physiologie humaine. Cette « croyance » lui permet ici d’affirmer que le médicament n’est en rien responsable des troubles rencontrés par un patient(e) et donc que l’explication est ailleurs.
C’est ce que regroupe l’explication retenue par beaucoup d’un effet nocebo qui semble avoir été adoptée pour ne pas dire « c’est dans la tête ».
Mais qu’est-ce qu’un effet nocebo?
C’est la description d’effets indésirables après la prise d’un médicament mais sans lien avec lui. C’est un effet, connu depuis longtemps.
Par contre, nous ne savons rien du « fonctionnement » de l’effet nocebo. Encore moins que pour l’effet placebo, son contraire. Et pourtant l’effet placebo bien que très étudié à la différence de l’effet nocebo, nous n’en connaissons pas les mécanismes.
Donc parler de l’effet nocebo, c’est dire que l’on ne sait pas ce qui se passe.
Ce n’est pas, comme l’on voit écrit partout, que l’effet nocebo est la résultante de la responsabilité du patient, pour ne pas dire « sa faute », même inconsciente.
Pour terminer; vous avez compris que pour moi ce que ressentent les patients qui ont des effets secondaires sous Lévothyrox est un vrai mystère. Nous ne pouvons que constater son existence mais toute explication « péremptoire » est fautive. Que ce soit en niant mais aussi affirmant la responsabilité seule du médicament ou en donnant à penser que c’est la résultante de l’effet nocebo. Il y a sûrement plusieurs explications à ce phénomène et non une seule et aussi des causes que nous ignorons. Le fait que chaque personne est différente, unique et donc « inconnue », a sans doute une part dans l’explication des effets secondaires ressentis après l’ingestion de ce nouveau Lévothyrox.
Enfin, les seules vraies bonnes réflexions à cette problématique, sont à mon sens, de dire :
Il y a de nombreux effets secondaires difficilement explicables aujourd’hui.
Admettons notre ignorance.
Tachons donc d’apporter un soulagement aux patient(e)s même si nous ne pouvons pas apporter d’explication.
C’est ce qui a été fait depuis des milliers d’années, cela s’appelle l’empirisme. Mais aujourd’hui aux XXIème siècle l’empirisme a mauvaise presse, du coté des médecins mais surtout du coté des industries pharmaceutiques qui se sont appropriées les études scientifiques et la médecine par les preuves.
Cette industrie a ainsi fait oublier aux médecins qu’ils ne sont pas « tout puissant », que dans bien des cas nous sommes impuissant à guérir et même souvent aussi à seulement soulager. Cette industrie a aussi fait oublié que ce que peuvent observer les médecins dans leur pratique quotidienne, a de la valeur même si aucune étude ne l’a jusqu’à présent confirmé.
Donc, restons modeste, en particulier dans le soin.
Mise à jour du 19 septembre avec l’article d’Anne JOUAN :
http://sante.lefigaro.fr/article/levothyrox-le-nombre-de-signalements-explose/
Lévothyrox, la suite….. L’ ANSM