Brest. Cancer de l’amiante : « J’ai vu la terreur dans les yeux de Jean-René »

BREST

Agnès Bossard devant la stèle dressée à Brest en hommage aux victimes de l’amiante, dont fait partie son époux, Jean-René.
Agnès Bossard devant la stèle dressée à Brest en hommage aux victimes de l’amiante, dont fait partie son époux, Jean-René. | Olivier PAULY.

Ce garagiste est décédé il y a un an d’un cancer de l’amiante, sans n’avoir jamais su qu’il travaillait dans un milieu à risques. Son épouse, Agnès, l’a vu partir en un mois, juste après son anniversaire.

« Excusez-moi, je voudrais dire quelque chose… » Ce samedi 16 juin, il crachine sur Brest et sur les victimes de l’amiante, réunies devant la stèle érigée il y a dix ans pour célébrer leur combat et honorer leur mémoire. Agnès Bossard était un peu à part jusqu’à présent, mais la colère la fait monter au front. Elle doit parler. De Jean-René, son époux disparu à 54 ans. Sans n’avoir jamais su qu’il avait été exposé à l’amiante…

« C’est simple, lâche-t-elle crûment. Le 8 avril 2017, c’était son anniversaire. On s’est dit qu’on irait le fêter chez notre fille, à Lyon. Il avait un petit état grippal, rien de plus. Enfin, c’est ce qu’on croyait… » Malheureusement, la vérité est bien plus terrible. Agnès enchaîne les dates. Un enchaînement cruel.

« Ma fille l’a emmené chez son médecin. Immédiatement, on l’a dirigé vers les urgences de l’hôpital de Lyon. Il y entre le 15 avril. Le 27, on lui annonce qu’il a un cancer. Il aura une chimio, mais ce sera très difficile. On ne lui en dit pas plus. Le 1er mai, il fait une thrombose ; le 2, une phlébite ; le 3, un AVC… » Cette attaque le laisse dans l’impossibilité de parler.

« Si seulement j’avais su… »

Le 4, la vérité des médecins tombe. « On ne pourra plus le sauver, il est atteint par l’amiante. » Plus d’un an après cette annonce fatale, Agnès Bossard pleure toujours en repensant à ces quelques minutes vécues dans une chambre d’hôpital, loin de la Bretagne, loin de ces 35 années passées ensemble. « Nous étions tellement amoureux… Je n’en regrette pas une minute. »

Pendant trente ans, Jean-René Bossard avait travaillé dans un petit garage de la région brestoise. Cinq employés. Peu de contrôles… « Il respirait la poussière des freins », chargée d’amiante. « Mais jamais il n’a eu d’information ou de formation sur les risques qu’il encourait. »

Agnès, elle, s’est renseignée depuis. « Dès 1997, on connaissait le danger. Si seulement je l’avais su plus tôt, jamais je ne l’aurais laissé travailler comme ça. »Elle n’en veut pas à l’ancien employeur de son mari. « J’en veux à l’amiante », rongeur patient et invisible, destructeur implacable de vies…

La mer une dernière fois

Quand il apprend le mal qui le frappe, sur son lit d’hôpital, Jean-René n’a qu’une réaction. « J’ai vu la terreur dans ses yeux… » Il avait compris son sort. « Alors qu’il commençait à penser à sa retraite… » Sa famille fait tout pour le ramener en Bretagne. Malgré les tracas administratifs. Malgré la distance, 1 200 km. Sous la pluie.

L’ambulancier s’arrête sur le pont de l’Iroise, juste avant Brest. « Pour qu’il puisse voir la mer. » Jean-René tient jusqu’au retour de sa fille pour l’Ascension. « Il ferme les yeux définitivement le 25 mai. » Happé. « C’est ça, c’est ça l’amiante… »

Tristesse et colère mêlées, Agnès Bossard s’est depuis engagée au sein de l’association de défense des victimes. Elle découvre la rudesse du combat pour faire reconnaître ses droits, la souffrance de son époux.

Surtout, elle comprend qu’elle n’est pas seule. « Dans ma petite commune, 1 400 habitants, 70 % de retraités, nous sommes onze à adhérer à l’association. »Onze personnes qui comme Agnès et Jean-René, ont croisé un jour un ennemi qu’ils n’avaient pas vu venir…

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