Des traces de métaux ont été trouvées dans les comprimés de Levothyrox nouvelle formule, alors qu’elles n’étaient pas dans l’ancienne formule, d’après une analyse de l’Association française des malades de la thyroïde (AFMT). Des taux très faibles et qui, autant pour le laboratoire Merck que pour l’AFMT, ne sont pas dangereux. Mais pour ceux des malades qui sont en souffrance, cela signifie que le bouleversement de la fabrication du médicament a été bien plus profond que ce qu’on a bien voulu leur dire. Ils réclament ainsi des analyses plus approfondies dans l’espoir de trouver l’origine des effets indésirables qui les frappent.
RESUME DE L’AFFAIRE LEVOTHYROX. La nouvelle formule du Levothyrox a été réclamée par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) au laboratoire allemand Merck en 2012 afin de rendre le produit plus stable dans le temps. Le changement ne porte pas sur le principe actif, la levothyroxine, mais sur d’autres substances, les excipients : le lactose a été remplacé par du mannitol et de l’acide citrique. De nombreux patients se sont cependant rapidement plaints d’effets secondaires. Face à leur colère, les autorités de santé ont tâché de mettre à disposition d’autres traitements, alors que le Levothyrox était en situation de quasi-monopole, conduisant un tiers d’entre eux à changer de médicament, d’après l’association Vivre sans thyroïde. Des patients mécontents ont également entamé plusieurs procédures en justice. Lundi 5 mars 2018, le volet pénal du dossier a franchi une nouvelle étape avec la désignation d’un juge d’instruction à Marseille pour enquêter sur 7.000 plaintes déposées. Une information judiciaire contre X avait été ouverte trois jours auparavant pour tromperie aggravée, blessure involontaire et mise en danger d’autrui.
Les métaux lourds et les nanoparticules, c’est différent
Le rapport du laboratoire avance la présence « de nanoparticules avec des alliages fer-chrome, chrome-nickel, fer-chrome-silicium, ferrochrome-aluminium » dans la nouvelle formule, alors que dans l’ancienne formule, comme le souligne l’AFMT, il y avait seulement quelques débris d’acier. « Les nanoparticules et les traces de métaux lourds sont deux choses très différentes« , réagit Valérie Leto, Pharmacien Responsable du laboratoire Merck*, auprès de Sciences et Avenir. « Les métaux lourds sont naturels dans le sens où ils font partie de notre environnement, même dans l’air que l’on respire« , explique-t-elle, et seul leur taux peut les rendre toxique. « Nous réaffirmons que tous (les) contrôles (pour les métaux lourds) se sont révélés conformes aux spécifications« , affirme-t-elle, autant leurs contrôles internes que ceux de l’ANSM, publiés en janvier 2018. Ces derniers avaient conclu à la présence de traces de fer, strontium, baryum, manganèse, bore, lithium et thallium « très largement inférieures » à la limite imposée par la réglementation.
Pour ce qui est des nanoparticules, dans lesquelles Valérie Leto comprend »
les débris d’acier » mentionnés par l’association, et qui font l’objet d’une réglementation différente, elle en « dément formellement » la présence, aussi bien dans l’ancien médicament que dans le nouveau. La réglementation sur les nanoparticules dans les médicaments impose en effet aux laboratoires d’informer les utilisateurs lorsqu’elles sont utilisées dans le produit, ce qui « n’est pas le cas du Levothyrox« , dont chaque ingrédient justifie d’un certificat des fournisseurs attestant l’absence de nanoparticules. Selon le Dr Jacques Guillet, pédiatre et biologiste et conseiller scientifique de l’AFMT sollicité par Sciences et Avenir, les termes de « nanoparticules de métal » sont ceux « du laboratoire d’analyse indépendant » qui l’a conduite. Si l’on ne connait pas le nom du laboratoire tant que le dossier est protégé par le secret de l’instruction en cours, on sait que les analyses ont été faites par microscopie électronique à balayage et microanalyse aux rayons X, technique qui permet d’analyser à la fois l’aspect de la surface et la composition chimique d’un échantillon ou d’un petit objet à l’échelle nanométrique (un millionième de mètre). Une boite de 30 comprimés de chaque formule de Levothyrox, l’ancienne et la nouvelle, ont été examinées avec cette technique.
Pas d’impact sur la santé, mais signe d’une modification de processus de fabrication
« Nous n’avons jamais dit que ces nanoparticules expliquaient les symptômes » ressentis par beaucoup de patients avec la nouvelle formule du Levothyrox, précise le Dr Jacques Guillet, qui veut absolument éviter « d’affoler les gens« . Pour ceux qui se sentent bien sous la nouvelle formule du Levothyrox, « il ne s’agit évidemment pas de changer de médicament« , ajoute-t-il. Pour lui, ces résultats signifient simplement que « la différence de profils entre l’ancienne et la nouvelle formule montrent que le processus de fabrication du médicament a été profondément modifié« . Pour l’AFMT, ces résultats sont donc de nature à motiver des « analyses approfondies » des deux versions du produit, pour comprendre ce qui est aussi problématique pour beaucoup de patients. Sur 3 millions d’utilisateurs, des milliers se sont en effet plaints d’envies suicidaires, d’extrême fatigue ou encore de douleurs aigues. Si l’ANSM a mené une enquête début 2018 sur les signalements de patients souffrant d’effets indésirables pour tenter d’en trouver l’origine, les résultats se sont révélés peu satisfaisants : sur le peu d’entre eux dont le dossier était suffisamment renseigné pour être analysé, 67% des cas restent inexpliqués. Une étude insuffisamment approfondie pour le Dr Guillet, qui trouve que les autorités réfléchissent à l’envers : « ils pensent en termes de médicament et de statistiques plutôt qu’à la souffrance des malades« , s’insurge-t-il. Autre grief : l’absence de leurs remarques, suggestions et questionnements dans les rapports de l’ANSM : « on est écoutés, mais il ne faut pas que ça sorte » sur la place publique, explique-t-il.