On voit une difficulté de communication entre patients et médecins
Muriel Londres,porte-parole de l’association Vivre sans thyroïde
Nous avons été informés, en amont, de ce changement de formule du Levothyrox par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Nous avons collaboré avec elle pour rédiger des documents d’information pour les patients. Quand la nouvelle formule est sortie, fin mars, nous avons diffusé l’information via notre compte Facebook et notre forum de discussion. Ensuite, à partir de mai et juin, on a commencé à voir remonter des témoignages de patients se plaignant d’effets secondaires.
Le 2 juillet, nous avons envoyé un courrier recommandé à l’ANSM et au laboratoire Merck en leur fournissant une compilation de 49 témoignages de patients ayant des effets secondaires. Le 6 juillet, nous avons eu une réunion avec l’ANSM pour modifier les documents d’information destinés aux patients. Avec la pétition, le nombre de témoignages a explosé, émanant de personnes qui, le plus souvent, ignoraient totalement que la formule de leur médicament avait changé et qui ne comprenaient pas ce qui leur arrivait.
Il est difficile de dire si les autorités ont réagi avec légèreté. C’est vrai qu’au départ on a eu le sentiment de ne pas avoir un retour immédiat face aux questions et aux inquiétudes que nous tentions de relayer auprès d’elles. Et l’information n’a certainement pas été optimale. Par exemple, rien n’était indiqué dans les notices du médicament. Et certains médecins ou pharmaciens n’ont pas toujours informé les patients comme ils auraient dû le faire, en se contentant de leur dire que seule la boîte ou la couleur des comprimés avaient changé. Mais ce qui nous a agacés, c’est d’entendre dans les médias des endocrinologues affirmer que ces effets secondaires n’étaient pas graves.
C’est inacceptable d’entendre des choses pareilles. En ce qui me concerne, je termine tout juste un arrêt-maladie. Et il y a deux semaines, je suis resté plusieurs jours sans pouvoir sortir de mon lit. Une autre fois, j’ai même dû quitter mon travail tellement ma migraine était insupportable. Quand on ne peut pas aller travailler à cause de maux de tête ou de vertiges, c’est grave pour les personnes concernées. Cette affaire prouve une fois de plus la difficulté de communication entre les patients et certains professionnels de santé.
Cela a aussi mis en lumière le manque de moyens en France pour faire de l’éducation thérapeutique auprès des 3 millions de Français qui prennent du Levothyrox. Du côté associatif, on fait ce qu’on peut mais avec des moyens dérisoires. Les deux associations de patients n’ont pas de salariés, juste des bénévoles.
Aujourd’hui, on espère que les choses vont bouger. Pour la première fois en France, on entend enfin des personnes malades de la thyroïde. Et pour la première fois, une ministre de la santé reçoit les associations et s’intéresse à ce que nous vivons.
Recueilli par Pierre Bienvault
—-
Nous avons agi en lien avec les associations et les professionnels
Dominique Martin,directeur de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)
Nous sommes conscients que certains patients ont des effets secondaires, parfois très gênants, dont nous ne contestons pas la réalité. Jamais nous n’avons estimé qu’il s’agissait de malades imaginaires. Et je m’insurge contre l’idée selon laquelle nous aurions géré ce dossier avec légèreté ou sans concertation.
C’est à notre demande que le laboratoire Merck a modifié fin mars la formule de son médicament. Nous avions constaté qu’avec la précédente formule il pouvait exister des différences de teneur en lévothyroxine (le principe actif du médicament) d’un lot à l’autre mais aussi parfois au sein d’un même lot. Ces fluctuations pouvaient perturber l’équilibre thyroïdien de certains patients. Pour améliorer la stabilité du produit, le laboratoire a juste changé les excipients (1) sans toucher à la substance active du médicament.
Ce changement de formule a été mis en place à la suite d’une large concertation avec les deux associations de patients qui nous ont aidés à préparer des documents d’information mis en ligne, dès le début. Nous avons consulté les sociétés savantes d’endocrinologie. Fin février, nous avons aussi envoyé un courrier à 100 000 professionnels de santé (généralistes, endocrinologues, pharmaciens…) pour leur annoncer ce changement de formule.
Ensuite, il est exact que l’information n’est visiblement pas remontée vers tous les patients. Mais si nous avions fait une conférence de presse en février pour annoncer ce changement de formule, il est évident que cela n’aurait pas fait la une des journaux. Pour atteindre les patients, nous avons misé sur l’information via les associations et via les médecins traitants. Cela n’a pas été suffisant, j’en conviens aujourd’hui.
Mais je refuse l’accusation de désinvolture. Dès le mois de mars, nous avons déclenché une surveillance du médicament via un dispositif de pharmaco-vigilance. Au début, il y a eu peu de signalements d’effets secondaires. Tout s’est accéléré avec la médiatisation de la pétition en août. D’un seul coup, nous avons reçu un très grand nombre de signalements sur le portail qui permet, sur notre site, depuis mars 2017, à un patient de signaler en quelques clics un effet secondaire. À ce jour, nous avons reçu 5 000 déclarations mais de nature très diverse. Dans la base nationale de pharmaco-vigilance, nous avons 313 cas de signalements documentés.
Aujourd’hui, il faut rassurer les patients : ceux qui ont des effets secondaires doivent aller voir leur médecin traitant pour que leur traitement soit rééquilibré. Nous n’allons pas revenir à l’ancienne formule qui était moins stable. Ce changement de formule a été fait dans d’autres pays, avec des médicaments contentant de la lévothyroxine (autres que le Levothyrox) notamment aux États-Unis où tout s’est bien passé.
Recueilli par Pierre Bienvault
(1) Les excipients sont des substances ajoutées au comprimé pour lui donner une consistance, une couleur ou un goût.