TEMOIGNAGES. Scandale de l’Androcur : méningiomes, perte de la vue, des victimes racontent… « Je l’ai pris pendant 11 ans sans savoir »
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- Androcur : les victimes de méningiome témoignent/DR.
Santé, France – Monde, Société
Publié le 27/04/2024 à 06:28
l’essentiel Trois patientes victimes de l’Androcur racontent leur chemin de croix. Et leur besoin de justice.
Trois ans d’errance médicale. Et 23 ans passés à prendre de l’Androcur, ce médicament qui la rendait malade. C’est l’histoire d’Anna, 63 ans. Pour cette ancienne professeure de littérature, le cauchemar commence au printemps 2011. « Les médecins ont d’abord cru à un burn-out. J’étais incapable de me concentrer, de mémoriser ou de comprendre quoi que ce soit. Y compris les copies de mes élèves ! » L’année suivante, c’est sa vision qui l’abandonne. « J’étais en train de lire. Soudain, une grosse tache grise sur la page, illisible de mon œil droit ! » Le verdict tombe : « méningiome rétro orbitaire droit ». Elle passe sur la table d’opération.
Durant sa convalescence, les médecins continuent à lui prescrire la pilule qu’elle prend depuis 1993 pour une chute de cheveux : l’Androcur. Anna avale la pilule sans se douter qu’elle est responsable de tous ses maux. « J’étais mariée à un généraliste à l’époque. Comment aurais-je pu imaginer qu’on me prescrive quoi que ce soit de néfaste sous son nez ? » En 2014, le méningiome récidive. Retour sur la table d’opération. « Une trépanation, rien de moins. » A son réveil, la mine grave du chirurgien l’attend. « Il venait de découvrir que ma gynécologue continuait de me prescrire de l’Androcur à hauteur de 50 mg malgré mes antécédents de méningiome… » Le chirurgien ne mâche pas ses mots : « Stoppez cette saleté ! »
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Pilule miracle et chemin de croix
Anna découvre alors que son cas est loin d’être isolé. En près d’une décennie (2007-2015), plus de 500 cas de méningiomes en France ont été attribués à une exposition prolongée à l’acétate de cyprotérone, principe actif de l’Androcur, selon l’étude publiée en 2019 par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Par ailleurs, le nombre important de femmes traitées entre 2006 et 2014 suggère une très large utilisation hors autorisation de mise sur le marché (AMM), 87 % de ces femmes n’ayant pas eu les explorations habituellement nécessaires à la confirmation d’un hirsutisme.
Depuis sa commercialisation par le laboratoire allemand Bayer en 1980, l’Androcur connaît un succès fulgurant. Il faut dire qu’elle a tout du miracle. Acné, chute de cheveux, hirsutisme, règles irrégulières ? Moyennant une prise par jour, c’est la promesse d’un remède aux désordres hormonaux. On l’utilise même comme moyen de contraception. » L’Androcur m’a été prescrit en 2002 par la gynécologue comme moyen de contraception, confirme Carole. Il m’a été renouvelé pendant 18 ans par les médecins traitants sans que l’un deux me parle une seule fois des risques. »
Dans chaque témoignage, une constance : l’absence entière d’information quant aux risques permettant un consentement éclairé de la patiente. « Ma gynécologue me l’a prescrit sans jamais me parler des risques de méningiome. Je l’ai pris pendant 11 ans sans savoir… » C’est grâce aux médias et à l’association d’aide aux victimes de l’Androcur AMAVAE qu’elle découvre la vérité. « En 2019, j’apprends dans les journaux que l’Androcur fait l’objet d’une controverse en raison du risque de méningiome. En juin de la même année, je reçois un courrier de la CPAM envoyé à l’initiative d’AMAVEA, qui m’informe que les risques sont avérés. J’avais arrêté le traitement en 2016 pour ma grossesse et je n’avais aucun symptôme. Malgré tout, je me suis empressée de passer une IRM. Verdict : méningiome bénin dans le cerveau. » Même verdict pour Carole, qui se révolte : « Il a fallu que je perde 50 % de l’audition et 50 % de la vue du même côté avant qu’on me fasse passer un scanner… Résultat, j’avais plusieurs méningiomes. »
« Si j’en ai le courage, j’aimerais bien être soutenue »
Outre l’inquiétude, la colère demeure. « Ma gynécologue est partie à la retraite avant que j’ai pu la confronter, regrette Madeleine. Je dois bien dire que je lui en veux… Comme à tous ces médecins qui prescrivent des médicaments détournés de leur usage initial de façon abusive. Surtout ceux qui concernent les hormones ! »
Depuis, elle a déposé une demande pour rejoindre l’association d’aide aux victimes d’Androcur AMAVEA. « Je veux témoigner à leurs côtés devant la justice. Je suis en train de rassembler les pièces pour monter un dossier. » Carole y songe également, mais peine à rassembler les forces nécessaires : « Je ne cache pas le fait que je me sens seule et démunie pour lancer des démarches qui vont durer, je m’en doute, des années… » Le 7 mars dernier, l’association d’aide aux victimes AMAVEA a déposé un recours en justice contre l’A.N.S.M. Avec l’espoir pour les victimes d’obtenir enfin réparation. Et de pouvoir, peut-être, recommencer à vivre.
Scandale de l’Androcur : quelle responsabilité pour les laboratoires ? « C’est à l’État d’agir »
- Le laboratoire Bayer, qui produit l’Androcur, affirme avoir agi dès 2008 pour prévenir les professionnels. AFP – INA FASSBENDER
Santé, France – Monde, Justice
Publié le 27/04/2024 à 06:29
l’essentiel Comme dans l’affaire du Médiator, les victimes de l’Androcur espèrent une réparation financière de l’État et des laboratoires.
Le 7 mars 2024, l’association d’aide aux victimes de l’Androcur (AMAVEA) a déposé deux requêtes auprès du tribunal de Montreuil contre l’État et l’Agence Nationale de Santé et de sécurité du Médicament. Elle les accuse de ne pas avoir suffisamment informé les patientes des risques de développer des méningiomes. Mais quid de la responsabilité des laboratoires ? À défaut d’être jugés coupables, ces derniers pourraient bien avoir à payer de leur poche.
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Mis sur le marché en 1980 par le laboratoire allemand Bayer, l’Androcur a ensuite été vendu sous sa forme générique en 2004 et 2008 par les sociétés G-Gam et Teva Santé. Si l’État est bien visé par les requêtes des victimes, la responsabilité des laboratoires pourrait toutefois elle-aussi être engagée. « nous considérons qu’il existe une coexistence des responsabilités entre l’État et les laboratoires, explique Me Charles-Joseph Oudin, l’avocat en charge de l’affaire.
Déjà sollicité par nos confrères du Télégramme en 2020, le laboratoire Bayer s’est défendu en rappelant sa collaboration avec l’agence européenne et l’agence française du médicament dès 2008, lors de la présentation des premiers résultats polémiques. Le groupe affirme avoir « échangé toutes les informations nécessaires à la modification de la notice patient » et d’avoir communiqué les modifications aux professionnels de santé par courrier. Concernant les procédures en cours, le géant du médicament déclare qu’il réserve ses commentaires aux juges.
Bien que le tribunal administratif n’ait pas l’autorité pour traduire les laboratoires en justice, celui-ci est en mesure de « statuer sur leur pourcentage de responsabilité au titre des diverses réparations financières », selon Me Oudin. « Dans le cas du Médiator, l’État a dû prendre en charge 30 % des réparations, laissant au laboratoire les 70 % restants. » Les victimes pourraient donc espérer réparation des laboratoires en cas de victoire. « À l’issue du jugement, la balle sera dans le camp de l’État. »
Pour soutenir les victimes engagées dans cette procédure judiciaire aussi longue que coûteuse, l’avocat a sollicité le ministère de la Santé afin que soit créé un dispositif d’indemnisation spécifique à destination des victimes similaire à celui du Médiator. Une initiative restée, pour l’heure, sans réponse.
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