« Soit on regarde les enfants mourir, soit on agit  » : l’expertise citoyenne contre l’inaction publique

SANTÉ PUBLIQUE 

21 décembre 2022 par Sophie Chapelle

Face à un nombre anormal de cancers d’enfants et un défaut d’explications officielles, des habitants sur le secteur de Sainte-Pazanne en Loire-Atlantique ont décidé de mener leurs propres recherches.

#pesticides

#pollutions

#santé

« Soit on regarde les enfants mourir, soit on agit. » Marie Thibaud a choisi l’action. Thérapeute libérale et formatrice en école de travail social, âgée de 42 ans, elle vit près de Sainte-Pazanne, en Loire-Atlantique. Dans cette commune de 7000 habitants et dans quelques villages voisins, vingt-cinq enfants – dont le fils de Marie, Alban – ont développé un cancer sur une période de sept ans. Un taux étrangement élevé en regard de la population.

Marie Thibaud (au centre) a fondé le collectif Stop aux cancers de nos enfants en 2019 avec d'autres parents.
Le collectif « Stop aux cancers de nos enfants »Marie Thibaud (au centre) a fondé ce collectif en 2019 avec d’autres parents.

Marie souhaite comprendre ce qui se passe et, en 2019, elle fonde avec d’autres parents le collectif « Stop aux cancers de nos enfants ». Très déterminés, ils obtiennent le lancement d’études sur divers polluants par l’Agence régionale de santé, et d’une enquête épidémiologique par Santé publique France. En septembre 2020, c’est la sidération : cette dernière institution annonce qu’il n’y a pas de « risque anormalement élevé de cancers pédiatriques sur le secteur de Sainte-Pazanne par rapport au reste du département ».

"Lanceuses et lanceurs d'alerte : pourquoi on ne les entend pas ?", un hors-série événement à retrouver en kiosque le 3 novembre ou à commander sur Politis.fr
Hors-série Politis & Basta!Cet article est extrait de « Lanceuses et lanceurs d’alerte : pourquoi on ne les entend pas ? », un hors-série événement à retrouver en kiosque ou à commander sur Politis.fr

L’enquête n’a pas tenu compte de tous les enfants malades : ceux de plus de 15 ans en ont été exclus, par exemple. « En plus d’oublier certains malades, ils ont lissé leur nombre sur treize années, de 2005 à 2018, tempête Marie Thibaud. Ils les ont répartis sur trois cantons qui n’existent même plus, plutôt que de les répartir par commune. Pourquoi ? On dirait qu’ils ont réfléchi à la meilleure manière de faire disparaître le cluster. » Les études officielles pour identifier les causes des cancers des enfants prennent alors fin. Du point de vue du ministère de la Santé, il ne se passe rien de particulier à Sainte-Pazanne.

122 125 € réunis, on dépasse notre objectif !

122 125 €

120 000 €

Notre campagne de don de fin d’année est une réussite ! Il reste encore 2 jours pour donner à basta! les moyens de produire plus d’enquêtes et de renforcer l’équipe.
Et si vous nous emmeniez encore plus loin que prévu ?

C’EST PARTI, JE PARTICIPE !

« Nous cherchons dans l’environnement des enfants ce qui a pu les rendre malade »

Le collectif a décidé de créer son propre organisme, l'Institut citoyen de recherche et de prévention en santé environnementale, composé de scientifiques et citoyens, pour lancer de nouvelles recherches.
L’Institut citoyen de recherche et de prévention en santé environnementaleLe collectif a décidé de créer son propre organisme, composé de scientifiques et citoyens, pour lancer de nouvelles recherches.

Le collectif ne renonce pas, lui, à tenter de trouver le ou les facteurs à l’origine des maladies. « Notre démarche est différente : nous partons du cluster, de nos enfants malades, et nous cherchons dans leur environnement, que nous connaissons bien, ce qui a pu les rendre malades. » Marie égrène les études menées sur l’eau du robinet, les eaux des puits ou les sols des jardins. « À chaque fois qu’une analyse sort, nous trouvons des éléments inquiétants. » De multiples substances cancérogènes, pesticides, plastifiants et autres perturbateurs endocriniens sont même détectés dans l’air du domicile des enfants malades. « Les effets cocktail [1] sont au cœur de ce que nous sommes progressivement en mesure de démontrer, avance Marie Thibaud. Or, les autorités sanitaires ne les prennent pas en compte, ni la toxicité chronique [2]. » SUR LE MÊME SUJET

Pour pallier cette lacune institutionnelle, le collectif a décidé de créer son propre organisme : l’Institut citoyen de recherche et de prévention en santé environnementale. « Il regroupera des scientifiques et les citoyens experts que nous sommes devenus. Cet institut va lancer de nouvelles recherches, afin d’agir et de participer à la mise en place d’actions correctives ou de prévention. Les cancers pédiatriques sont les sentinelles de la santé environnementale : quand il y en a, cela veut dire qu’il y a bien d’autres choses. » Les collectivités territoriales sont également sollicitées « pour que tout le monde ait les informations en même temps ». Le département (PS) et la région (LR) ont annoncé qu’ils apporteront leur soutien à l’initiative. L’institut devrait voir le jour en 2023.

Dans cet inlassable combat mené par Marie depuis trois ans, une belle nouvelle est arrivée : son fils Alban a été déclaré guéri. « Il est toujours suivi, mais les chances de rechute sont extrêmement faibles. » La famille a décidé de continuer à vivre ici. « Est-ce que j’allais me retrouver lanceuse d’alerte ailleurs ? sourit-elle. Nous avons fait le choix de rester sur un territoire qui va se porter de mieux en mieux. Car nous allons faire ce qu’il faut pour cela. »

Sophie Chapelle

Photos : ©Marie Thibaud

Vous aimerez aussi...