Mise en examen d’Agnès Buzyn : le « fiasco des masques » au cœur de l’enquête de la Cour de Justice de la République
| 17 sept. 2021 | par Caducee.net |
La Cour de Justice de la République (CJR) a pris vendredi 10 septembre la décision de mettre en examen Agnès Buzyn, l’ancienne ministre de la Santé pour « mise en danger de la vie d’autrui » dans le cadre de sa gestion de la crise sanitaire liée à l’épidémie de SARS-COV-2. Une première judiciaire qui si elle met la classe politique en émoi, répond aux besoins d’information non seulement des professionnels de santé mis en première ligne sans protection, mais aussi des premières victimes de la pandémie. La gestion des masques en ce début d’année 2020 est au cœur l’enquête des magistrats.
La CJR retient deux chefs d’accusation contre Agnès Buzyn
Après 6 heures d’interrogatoire mené par les 3 magistrats de la commission d’instruction et 3 heures de délibérés, la CJR a mis en examen Agnès Buzyn pour « mise en danger de la vie d’autrui ». Il s’agit d’une infraction qui, selon le Code pénal, consiste à « exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ». La mise en examen implique que selon les juges il existe des indices graves et concordants soutenant la culpabilité de l’ancienne ministre de la Santé. Elle encourt une peine de 15 000 euros d’amendes et d’un an d’emprisonnement.
Cette mise en examen sonne d’autant plus comme une première défaite dans le long combat judiciaire qui s’annonce que ce chef d’accusation avait initialement été écarté par la commission des requêtes de la CJR. Me Éric Dezeuze, son avocat a vainement plaidé que la mise en danger de la vie d’autrui n’était pas applicable dans le cadre d’une pandémie, car selon lui aucun texte ne régit de telle période d’exception sauf le Règlement sanitaire international, que la ministre atteste avoir respecté pleinement. Les magistrats auraient considéré que la ministre était à minima tenue par son décret de nomination qui lui impose de protéger la Santé des Français.
Ce n’est pas le seul grief qui pourrait être reproché à Agnès Buzyn par la CJR. En effet, l’ancienne ministre a été placée sous le statut de témoin assisté pour « abstention volontaire de combattre un sinistre ». Le statut de témoin assisté est un statut intermédiaire entre celui de mis en examen et celui de simple témoin. Il signifie que, selon les magistrats, il existe des indices rendant vraisemblable la participation de la ministre à cette infraction que le Code pénal définit par « quiconque s’abstient volontairement de prendre ou de provoquer les mesures permettant, sans risque pour lui ou pour les tiers, de combattre un sinistre de nature à créer un danger pour la sécurité des personnes ». Si elle n’est pas à ce stade directement mise en cause pour ce motif, elle pourrait le devenir selon l’évolution de l’instruction. Ce statut lui permet d’accéder aux pièces du dossier, de garder le silence ou d’être confronté à ses accusateurs. Cette infraction peut être punie de 30 000 euros d’amendes et de 2 ans de prison.
« C’est une excellente opportunité pour moi de m’expliquer et de rétablir la vérité des faits. Je ne laisserai pas salir l’action du gouvernement ou mon action en tant que ministre » Agnès Buzyn à la presse avant son audition.
Cette mise en examen découle d’une enquête ouverte en juillet 2020 au cours de laquelle les bureaux du ministre de la Santé, d’Édouard Philippe et de Sibeth Ndiaye avaient été perquisitionnés en octobre 2020. La CJR a jugé recevables 16 plaintes sur plus de 14 000 déposées. Défaut d’anticipation, négligence, manquements à l’obligation de prudence, mensonges d’État, refus de prise en charge médicale, les reproches formulés par les plaignants sont multiples. Parallèlement à cette enquête de la CJR, le parquet de Paris a ouvert 4 informations judiciaires mettant en cause les autorités sanitaires et notamment le directeur général de la santé (DGS) Jérôme Salomon.
« Même Trump, qui a suggéré des injections d’eau de Javel pour guérir le Covid, n’a pas eu droit à un traitement de faveur pareil ; je suis la seule dirigeante de la planète à subir un tel sort » Agnès Buzyn selon le JDD après sa mise en examen.
Politisation de la justice et judiciarisation de la vie politique
La mise en examen d’Agnès Buzyn a mis la classe politique en émoi et a suscité une salve de critiques à l’encontre de la CJR oscillant entre la politisation de la justice et les risques de judiciarisation de la vie politique.
Mario Stasi, avocat du cabinet Obadia Stasi, et militant pour la suppression de la CJR dénonce pour le point « Cette immixtion du judiciaire sur le terrain politique est préoccupante pour les libertés individuelles. ». « Il s’agit de nourrir le désir de l’opinion publique de désigner des responsables dans une atmosphère de haine civile », commente l’ancien bâtonnier de Paris Christian Charrière-Bournazel.
Le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger s’est lui aussi ému de la situation d’Agnès Buzyn sur FranceInter. Il considère que la CJR « jette à la vindicte populaire des responsables politiques qui ont sans doute fait leur travail comme ils ont pu. Peut-être avec des erreurs, sûrement avec des erreurs ». « C’est facile de refaire le match un an après ».
« Le principe de précaution dévoyé et la menace de poursuites judiciaires sont deux principes qui tueront la prise de décision politique. Espérons que cette mise en cause d’Agnès Buzyn nous y fasse tous réfléchir. On ne doit rendre des comptes politiques que devant les électeurs », le député LREM de Paris Sylvain Maillard sur twitter.
Si pour Sylvain Maillard les comptes politiques doivent être rendus devant les électeurs, pour les juristes, les ministres ne sont pas au-dessus des lois.
« De la même manière qu’un chef d’entreprise est responsable pénalement et civilement, c’est la même chose pour un dirigeant politique. Ces derniers sont responsables politiquement de leurs actes, mais aussi civilement et pénalement », explique sur Mediapart Antony Taillefait, professeur de droit public à l’Université d’Angers. « La responsabilité devant les électeurs n’épuise pas la responsabilité de nature juridique ».