Le 2 mai prochain se réunit le «groupe de suivi» constitué au ministère de la santé à propos de la crise sanitaire du Levothyrox. Il pourrait être le dernier, le discours du ministère comme de l’Agence du médicament – l’ANSM – tendant à clôturer la séquence de crise. Le prétexte en est que les patients trouveraient désormais en pharmacie la thyroxine de synthèse qui leur est nécessaire sous formulations de plusieurs spécialités en comprimés, brisant le monopole du laboratoire Merck.
Pourtant, partout en France, des réunions nombreuses regroupent toujours beaucoup de patients : certains souffrent encore d’effets indésirables, restés sous prescription de la nouvelle formulation du Levothyrox, d’autres se fournissent encore à l’étranger, ou bien sont en voie de stabilisation avec une autre spécialité. Tous veulent des réponses à leurs légitimes questions.
Dans ce contexte, comment accepter qu’alors que 500 000 à 1 million de patients ont abandonné le nouveau Levothyrox de Merck, le dossier soit refermé par les institutions dont la mission est d’assurer la sécurité sanitaire des Français ? La suite étant renvoyée aux procédures judiciaires dont il ne faut pas attendre l’issue avant des années, comme le montre le cas du scandale du Mediator… En rester là serait acter l’échec des réformes «post-Mediator» mises en place par le législateur au début de la présente décennie, notamment dans leurs deux dimensions concernant la pharmacovigilance et la sécurité sanitaire.
Flambée de notifications d’effets indésirables
Il s’est agi en premier lieu de tenir compte de signalements en pharmacovigilance très peu nombreux, mais constituant une alerte sur les effets indésirables (EI) sans lien de causalité connu. Pour mieux détecter les alertes, un portail de déclaration des EI a été mis en place par la loi de modernisation «santé» de 2016 ouverte à tous les patients sur Internet. En 2017 une direction consacrée notamment à la détection des «signaux faibles» est mise en place, directement liée à la Direction générale de l’ANSM (décision 2017-267).
L’absence totale de réactivité de l’ANSM face à la montée des notifications d’EI en rapport avec la nouvelle formulation du Levothyrox ne peut donc qu’interpeller : dès le mois d’avril 2017, multiplication par 9 par rapport à février – de 40 à 450 – puis la montée à 916 en mai, à 1 300 en juin et 5 470 en juillet… Le 6 juillet, les associations des patients reçues à l’Agence pour relayer les alarmes de leurs adhérents obtenaient une écoute bienveillante… sans aucune suite ! Il a fallu que la presse relaye courant août une pétition mise sur Internet par une patiente isolée lanceuse d’alerte, la très clairvoyante Sylvie Robache, pour que l’ANSM soit tirée de ses vacances et mette en place un «numéro vert» inopérant, tandis que des centaines de milliers de patients passaient un «été pourri» avec pour certains des EI graves et invalidants, des hospitalisations…
Le bilan reste à faire pour les publics fragiles, cardiaques, cancéreux, femmes enceintes, personnes âgées… Le 10 juillet 2015, une réunion tenue dans les locaux de l’agence leur avait pourtant été consacrée, concernant les précautions particulières à prendre dans leur cas… précautions dont «le transfert-kamikaze» de mars 2017 s’est allègrement passé !
Le triste constat de l’échec des réformes «post-Mediator» est à tirer
Concernant la pharmacovigilance, la preuve est faite qu’il ne suffit pas de mettre des outils en place pour que les informations soient considérées et que suites leur soient données : il faut aussi de la réactivité institutionnelle, ou à défaut, que des acteurs aient le courage de lancer l’alerte publique au bénéfice des patients. Le Parlement a mis en place des lois pour protéger les lanceurs d’alerte.
L’éthique médicale doit aussi entrer en jeu. Le ministre en charge de mener en 2011 la réforme de la sécurité sanitaire, Xavier Bertrand, l’avait fondée sur un postulat : «que l’intérêt du patient prime sur l’intérêt de la firme». Ni le laboratoire Merck, ni la direction de l’ANSM n’ignoraient les risques sanitaires d’une substitution concernant la thyroxine, et en particulier ceux concernant les publics sensibles… Une réunion au plus haut niveau avait même eu lieu le 10 juillet 2015 dans les locaux de l’ANSM pour évoquer les précautions particulières à prendre pour ces publics fragiles. Mais en mars 2017, le transfert généralisé obligatoire intervenu en catimini du Levothyrox vers son générique a exposé à tous les risques les malades, dans le contexte aggravant d’une situation de monopole dont on n’avait aucunement prévu de sortir au préalable…
Une règle éthique a été transgressée : «primum non nocere». La décision de transfert de mars 2017 a lucidement choisi l’intérêt de la firme Merck plutôt que l’intérêt du patient…