Les associations de patients financées par les labos : quels risques ?
2 mai 2018
(L’AFMT peut jurer qu’elle n’a jamais touché un franc d’un labo ni même de l’Etat)
Toutes les maladies ou presque ont leur association de patients. En France, il en existe environ 14.000. Certaines d’entre elles entretiennent des relations embarrassantes avec les firmes pharmaceutiques.
Par Rudy Bancquart
Rédigé le , mis à jour le
Les associations de patients financées par les labos : quels risques ?
On pourrait parler de liaisons dangereuses. Si dans les années 1980, en pleine épidémie de sida, les associations de patients se sont constituées avec les moyens du bord, elles ont acquis au fil du temps un vrai pouvoir. En 1996, avec l’ordonnance Juppé et en 2002 avec la loi Kouchner, les associations acquièrent un statut officiel, elles sont présentes au conseil d’administration des établissements publics de santé. Elles deviennent alors un lobby à part entière pour faire entendre la voix des malades.
Mais pour être visible, financer les campagnes de communication, certaines campagnes de prévention et plus globalement pour les frais de fonctionnement, ces associations de patients ont besoin d’argent. Toutes n’ont pas le sac à sapin comme Handicap international ou le téléthon. Et l’argent des cotisations d’adhérents ou les dons ne suffisent pas, elles acceptent alors l’argent d’un autre lobby très puissant : celui des laboratoires pharmaceutiques. Une pratique restée longtemps opaque.
La transparence imposée par la HAS
Mais depuis 2010, la Haute Autorité de santé (HAS) à imposer la transparence de ces financements. Les associations de patients sont considérées par les autorités de santé dont la HAS comme des experts au même titre qu’un médecin. Ainsi, comme pour les médecins, le législateur a voulu connaître les liens d’intérêts de ces associations.
Les chiffres sont éloquents. En 2012, les laboratoires ont versé 5.920.202 d’euros. Sanofi et Eli-Lilly ont versé chacun 100.000 euros à l’Association française des diabétiques. Asthme & Allergies reçoit la quasi-totalité de ses financements du laboratoire GSK (250.000 euros sur 300.000 collectés). L’Association française des hémophiles, enfin, reçoit 100.000 euros (sur 300.000) venant de Bayer-Santé.
Quel est le danger pour ces associations et pour les patients ?
Le risque est d’être influencé, manipulé par un lobby plus puissant que soi et qu’au final ces associations ne défendent plus les intérêts des patients mais ceux des laboratoires. Au ministère de la Santé, en off, on affirme que les associations de patients ne sont pas indépendantes. Bien sûr, les associations s’en défendent et clament leur indépendance. Il n’est pas ici question d’accuser toutes les associations d’être manipulées car certaines refusent ce type de financement. Il faut reconnaître que la plupart d’entre elles font un boulot énorme et indispensable, mais ce système de financement produit forcément des exemples malheureux.
Quelques exemples
En 2003, Jean-François Mattei, ministre de la Santé, veut dérembourser partiellement l’homéopathie. Bien entendu, le laboratoire Boiron, numéro 1 du marché est furieux.
Seulement, Boiron qui soutient financièrement les cercles homéopathiques, appelle officiellement les utilisateurs d’homéopathie à la révolte, entendez les associations de patients. Concrètement, il se sert des associations pour défendre son marché, ses intérêts. C’est un classique du lobbying.
Autre exemple, celui concernant l’Association de lutte contre le psoriasis. Dans ce cas, le laboratoire pharmaceutique entre dans l’association pour vanter les mérites de ses produits. C’est quasiment de la publicité mais ce n’est pas illégal : ce sont des actions thérapeutiques et d’accompagnement.
Déjà en 2009, ces pratiques ont été dénoncées par les présidents de la revue Prescrire, Que-choisir et de la Mutualité française dans une tribune publiée dans Le Monde mais les actions de lobbying menées par les firmes pharmaceutiques auprès des sénateurs et des députés ont été si efficaces que ces actions thérapeutiques et d’accompagnement ont été intégrées dans l’article 84 de la loi « Hôpital, patients, santé, territoires » (HPST) de l’époque. Une façon d’officialiser une liaison dangereuse.
Quelle est la bonne solution ?
La bonne solution serait le financement public comme le réclame depuis longtemps le Collectif inter-associatif sur la santé (CISS). C’est d’ailleurs ce que prévoyait le fonds national de la démocratie sanitaire. Le principe : un financement des associations d’usagers par le biais d’une contribution sur le chiffre d’affaires des entreprises pharmaceutiques.
Cette mesure a été votée et 5 millions d’euros ont été récoltés. Mais selon le CISS, « le bilan est déplorable puisque ces fonds sont détournés de leur usage premier ! En effet, ils vont être utilisés pour permettre aux agences régionales de santé de mettre en œuvre la formation des représentants associatifs et pour financer les débats publics des conférences régionales de santé ». A priori, un million d’euros sur les cinq ont vraiment atterri dans les caisses des associations. Conclusion : leur indépendance financière n’est pas gagnée.