Faut-il soigner les femmes et les hommes différemment ?
Denis Sergent , le 27/03/2018 à 5h53
La différence sexuelle est une donnée qui doit être mieux considérée afin d’améliorer la prise en charge des pathologies.
Une hausse de 18 % des femmes hospitalisées pour infarctus du myocarde entre 2002 et 2008, mais aussi davantage de femmes que d’hommes touchées par la maladie d’Alzheimer, l’anorexie ou les maladies auto-immunes…
Même si depuis quelques années, les épidémiologistes constatent une augmentation de troubles fonctionnels chez les femmes – notamment cardio-vasculaires – qui étaient jusqu’alors considérés comme « typiquement masculins », les caractéristiques biologiques des deux sexes pèsent lourd dans la survenue des pathologies. Ces données sont connues mais insuffisamment prises en compte dans la recherche des traitements.
Les maladies cardiovasculaires n’épargnent plus les femmes
En biologie, « on naît femme, on ne le devient pas »
Pour les biologistes, nous sommes en effet d’abord déterminés par notre sexe. « Au sens strict, notre sexe est déterminé initialement et uniquement de manière biologique », explique Claudine Junien, professeur émérite de génétique médicale à l’université Paris Descartes, organisatrice du colloque « Parité en santé » à l’Académie nationale de médecine en juin 2016 à Paris.
« Dès la conception, les chromosomes XX déterminent le sexe féminin et les chromosomes XY le sexe masculin. Plus tard se différencient les ovaires et les testicules, qui ensuite sécréteront les hormones sexuelles. En d’autres termes, on naît femme et on ne le devient pas… contrairement à la formule littéraire de Simone de Beauvoir », poursuit l’ancienne directrice de l’unité de recherche de l’Inserm génétique, chromosome et cancer à l’hôpital Necker-Enfants malades.
Une différence génétique de 1,5 %
En termes de séquences génétiques, la ressemblance entre un homme et une femme est de 98,5 %, alors qu’elle est de 99,9 % entre deux hommes ou deux femmes. Cette petite différence tient aux chromosomes sexuels, qui sont présents dans chacune de nos cellules.
Toutes choses étant égales par ailleurs, ce sont ces différences dues au sexe qui peuvent expliquer que nos 23 000 gènes ne s’expriment pas de la même façon dans le foie, le rein ou le cerveau… « En moyenne, 30 à 40 % de gènes s’expriment toujours différemment selon le sexe dans chacune des 60 000 milliards de nos cellules, précise l’Académie. Ceci explique pourquoi il ne suffit pas de supprimer des hormones pour éliminer complètement les différences, ni, inversement, d’une supplémentation pour les recréer. »
Le cœur des femmes, trop petit pour Carmat
Ces différences génétiques, puis hormonales, aboutissent, par des mécanismes variés, avec une diversité d’expression de gènes (qu’on appelle l’épigénétique) et de cellules, à des différences anatomiques.
Par exemple, chez la femme, le cœur est plus petit, les vaisseaux sanguins plus fins. Cette particularité a d’ailleurs été récemment évoquée à propos de la mise au point du cœur artificiel biocompatible Carmat qui, à ce jour, est trop gros pour pouvoir être implanté dans le thorax d’une femme de taille et de poids moyen.
Certaines maladies touchent majoritairement des femmes
Aujourd’hui, on sait que les différences liées au sexe déterminent un assez grand nombre de domaines comme le métabolisme (l’ensemble des réactions biochimiques permettant de tirer notre énergie des nutriments et de fabriquer les constituants nécessaires à nos cellules), le comportement, les maladies et la réponse aux médicaments.
« Ainsi, statistiquement, certaines maladies touchent majoritairement les femmes, telles que la maladie d’Alzheimer, l’anorexie, la dépression, l’ostéoporose, les maladies auto-immunes (maladies thyroïdiennes, sclérose en plaque, lupus) et les cancers de la thyroïde, observe l’Académie nationale de médecine. Les femmes seraient protégées contre certains cancers par les gènes suppresseurs de tumeurs en double exemplaire sur le chromosome X. »
Femmes et hommes, inégaux devant la maladie et les médicaments
À l’inverse, « les hommes sont plus souvent atteints d’autisme, de retard mental, de tumeurs du cerveau et du pancréas, d’accident vasculaire cérébral (AVC, diminution de l’apport en sang due à la formation d’un caillot). On constate également que le sexe masculin est plus enclin aux conduites à risque (alcool, drogue), aux addictions et à la violence. Les hommes sont moins sensibles aux maladies auto-immunes grâce à leur chromosome Y », poursuit l’Académie.
Enfin, notre microbiote est constitué de 10 000 milliards de bactéries, réparties en différentes familles plus ou moins importantes selon le sexe, si bien qu’elles jouent un rôle variable selon que l’hôte est masculin ou féminin.
Ne pas négliger les facteurs environnementaux et socio-économiques
S’il convient de ne pas négliger d’autres facteurs dans l’apparition des pathologies – environnementaux, socio-économiques, culturels –, l’heure est donc à la réévaluation du facteur biologique.
C’est ce qui a conduit l’Académie nationale de médecine a énoncé il y a déjà deux ans un ensemble de recommandations. Selon elle, il est nécessaire et même urgent de « réviser de façon capitale les principes établis de la recherche fondamentale et clinique » en tenant compte des « différences biologiques liées au sexe et des contraintes liées au genre ».
« Passer d’une médecine indifférenciée à une médecine sexuée »
Il faut également « concevoir des études sur l’animal et des essais cliniques sur l’homme en tenant compte du sexe », c’est-à-dire en expérimentant séparément avec des individus des deux sexes.
Reste évidemment à « intégrer dans la formation des médecins et des professionnels de santé les différences liées au sexe », de façon à « passer d’une médecine indifférenciée à une médecine sexuée (ou différenciée) » en veillant, bien entendu, à ne pas introduire de discriminations.
Denis Sergent