LEVOTHYROX : évaluation par 2 900 médecins de l’impact de la nouvelle formulation (enquête VIDAL)
Sur 3,3 millions d’utilisateurs de LEVOTHYROX, quelle proportion présentent des symptômes apparus après le passage à la nouvelle formule ?
Les résultats montrent qu’en moyenne, 1 à 10 % de leurs patients sous LEVOTHYROX ont présenté dernièrement des symptômes inhabituels. Les médecins répondants ont, le plus souventaprès un bilan biologique, adapté les doses quotidiennes de ces patients.
Cette enquête présente des limites et ne fournit qu’une approximation du nombre de personnes se plaignant d’effets indésirables avec cette nouvelle formule. Ils seront affinés, confirmés ou infirmés ultérieurement, notamment par l’enquête en cours de l’ANSM.
Au-delà de cette proportion, cette crise souligne une nécessité de revoir l’information officielle des professionnels et du grand public lorsque des troubles peuvent être anticipés, accompagnés. Cette nécessité a d’ailleurs bien été perçue par la ministre de la santé qui va bientôt lancer une mision d’information sur l’information des patients et professionnels de santé concernant les médicaments.
Capture d’écran du formulaire de l’enquête VIDAL (illustration).
Cinq mois après le changement de formulation du LEVOTHYROX en mars 2017 (voir notre article), des patients se sont plaints de symptômes inhabituels (voir notre article du 23 août).
Plus de 9 000 signalements d’effets indésirables ont été effectués sur la plateforme de signalements en ligne.
Mais étant donné que plus de 3 millions de personnes (dont une partie à tort, voir par exemple notre article sur le surdiagnostic massif des cancers de la thyroïde en France)prennent quotidiennement ce médicament, quelle est l’ampleur réelle de cette anomalie ? 1 % des patients ? 10 % ? Davantage ?
Une enquête en ligne accessible par nos lecteurs via un mail
Afin de tenter de l’évaluer, et en attendant les résultats de l’enquête de pharmacovigilance initiée par l’ANSM lors la mise sur le marché de la nouvelle formule au mois de mars 2017 etdont les résultats seront annoncés en octobre, nous avons réalisé une enquête en ligneauprès de nos lecteurs médecins généralistes et endocrinologues libéraux.
Ces derniers y ont répondu en cliquant sur un lien envoyé par mail envoyé le 26 septembre vers 14 heures à tous nos lecteurs inscrits correspondant à ce profil. A ce jour,plus de 2 900 ont répondu à cette enquête, dont voici les principaux résultats.
[édit 9/10] 94 % des médecins répondants ont eu des patients sous LEVOTHYROX se plaignant de « symptômes inhabituels depuis quelques semaines » [/édit]
Voici les réponses à cette question :
« Pourcentage de vos patients sous LEVOTHYROX qui se sont plaints, en consultation, de symptômes inhabituels (céphalée, crampes, tachycardie, etc.) ces dernières semaines ? »
Près de 95 % des 2 900 médecins interrogés ont donc eu des patients venus consulter en raison de symptômes inhabituels sous LEVOTHYROX ;
[/édit 9/10] Cela concernait souvent 1 à 10 % de leurs patients (1 à 5 % : 20,7 % ; 6 – 10 % : 17,6 %) (détails sur le graphique ci-dessus) [/édit]
Notons qu’il est possible qu’une partie de ces symptômes soient liés à une autre cause qu’une éventuelle petite variation de la concentration sanguine en levothyroxine. Il est également possible qu’ils soient liés en partie à un effet nocebo, suite à la médiatisation forte récente.
Une prescription fréquente d’un bilan thyroïdien
Voici les réponses à cette question :
« A quel pourcentage de ces patients, environ, avez-vous prescrit un bilan thyroïdien ? »
Les médecins répondants ont en majorité (près de 60 %) prescrit un bilan biologique systématiquement ou presque (91 à 100 %) à leurs patients sous LEVOTHYROX présentant des symptômes inhabituels récents.
Un bilan perturbé chez une petite partie des patients
Voici les réponses à cette question :
« Quel pourcentage de ces bilans thyroïdiens, environ, étaient perturbés (TSH, T3 et/ou T4 modifiés) ? »
Près d’un médecin sur 4 (23,53 %) n’a constaté aucune perturbation du bilan biologiquechez ses patients sous LEVOTHYROX ayant consulté avec des symptômes inhabituels.
Les médecins qui ont remarqué des perturbations de ce bilan l’ont constaté le plus souvent chez 1 à 10 % de leurs patients seulement.
Les deux tiers de ces bilans perturbés montraient la présence d’une hyperthyroïdie (34 % : hypothyroïdie).
Les médecins interrogés ont ajusté les doses quotidiennes d’une petite partie de leurs patients sous LEVOTHYROX
Voici les résultats à cette dernière question :
« Globalement, sur 100 % de vos patients traités par LEVOTHYROX, à quel pourcentage avez-vous effectué une modification de dosage de la prise quotidienne de LEVOTHYROX ces dernières semaines ? »
Près d’un médecin sur 5 (18,7 %) n’a ajusté les doses quotidiennes de LEVOTHYROX à aucun de ses patients présentant des symptômes inhabituels.
Ceux qui ont pratiqué de tels ajustements l’ont fait le plus souvent chez 1 à 10 % de leurs patients ayant rpésenté des symptômes.
Limites de cette enquête
Le LEVOTHYOX a une demi-vie longue, donc il n’est pas acquis que tous les patients soient arrivés à « pleine dose » aujourd’hui de ce médicament, d’autant que si le changement a été effectué en mars, la prise de la nouvelle formule a pu débuter plus tard, en juin, voire juillet (écoulement des anciennes boîtes, réserves, traitements pour 3 mois, etc.).
Il n’est de plus pas évident d’évaluer de tels pourcentages, les médecins ne comptant pas le nombre de leurs patients sous LEVOTHYROX ni le nombre de ceux ayant consulté en raison de symptômes gênants inhabituels.
Il s’agit donc d’une estimation « à la louche », en attendant l’enquête de pharmacovigilance de l’ANSM et d’autres études probablemet à venir.
En synthèse : une petite proportion des patients affectés par des symptômes inhabituels
En résumé, et sous réserve des biais importants soulevés ci-dessous, [édit 9/10] la plupart des médecins répondants ont eu des patients sous LEVOTHYROX qui ont consulté pour des symptômes inhabituels sous ce médicament. Les bilans biologiques, souvent prescrits suite à ces plaintes, ont été rarement perturbés. Lorsqu’ils l’ont été, c’est plutôt en « hyper ».
Enfin, lorsque les médecins ont ajusté les doses quotidiennes, ils l’ont fait le plus souvent pour 1 à 10 % de leurs patients se plaignant de symptômes inhabituels.
Ces proportions correspondraient tout de même à au moins 30 000 patients, ce qui pourrait expliquer l’impact massif des plaintes, en particulier sur les réseaux sociaux… et le surcroît de travail des médecins généralistes lié à cette situation.[/édit]
Vers une amélioration de l’anticipation, de l’information et de l’accompagnement par les autorités de santé ?
Souhaitons avant tout que cette « crise » se normalise, soit avec un rééquilibrage sous le nouveau LEVOTHYROX, soit avec les autres solutions mises en place par le gouvernement.
Mais même en cas de normalisation, cette crise aura souligné le besoin de faire évoluer profondément l’information d’origine publique, jusqu’ici le plus souvent trop succinte, trop descendante ou insuffisamment vulgarisée et sourcée.
Dans ce cas particulier, une anticipation et une information plus complète envers les professionnels et le grand public auraient pu être effectuées en tenant compte du passé :
– En Belgique, en 2015, de la gélatine et du talc ont été ajoutés et l’hydrogénophosphate de calcium dihydrate a été enlevé du L-Thyroxine Christiaens (TAKEDA), mais uneinformation très détaillée aux professionnels de santé, avec une recommandation devigilance pour tous les utilisateurs et non uniquement les personnes à risques (comme l’a demandé l’ANSM en mars 2017), ainsi qu’une mention sur la boîte pendant 1 an (sans changement de couleur) et l‘insertion d’une carte dans chaque boîte ont permis d’éviter une défiance qui peut majorer fortement d’éventuels troubles liés aux changements de formule.
– A l’inverse, en Nouvelle Zélande juin 2007, au Danemark en 2009 et en Israël en 2012, : le remplacement par GSK, à son initiative (alors qu’en France c’est l’ANSM qui a demandé le changement), du lactose par de la cellulose microcristalline de sa lévothyroxine sans information détaillée (simple lettre envoyée aux prescripteurs, comme en France), a entraîné une explosion des signalements des effets indésirables.
Agnès Buzyn a en tout cas annoncé une prochaine mission d ‘information sur l’information des patients et des professionnels de santé, d’où émergeront peut-être des solutions d’amélioration afin d’éviter une telle crise…
[édit 28/9] Comme nous l’a fait remarquer le Dr Jean-Jacques Fraslin sur Twitter, nous aurions pu poser une question complémentaire afin de mieux situer l’impact réel de ces symptômes :
« Avez-vous dû réajuster davantage de traitements par LEVOTHYROX qu’avant le changement de formule ? » Si vous avez le temps de commenter cet article, pourriez-vous répondre à cette question, à titre indicatif ? En vous remerciant par avance. [/édit] |
Voir aussi sur VIDAL.fr :
Levothyroxine : retour temporaire de l’ancienne formule du LEVOTHYROX, nouvelles spécialités annoncées (septembre 2017)
L-THYROXINE SERB : tensions d’approvisionnement suite au report des prescriptions de LEVOTHYROX (septembre 2017)
LEVOTHYROX : précisions et actions suite aux inquiétudes et plaintes de certains utilisateurs (août 2017)
LEVOTHYROX (lévothyroxine sodique) comprimé sécable : nouvelle formule, nouvelles couleurs (mars 2017)
Cancer de la thyroïde : face au surdiagnostic massif et ses conséquences, le CIRC appelle à la prudence (août 2016)
LEVOTHYROX : renforcement des mesures prises pour assurer la continuité des traitements (août 2013)
Sources : VIDAL