Levothyrox : l’ancienne et la nouvelle formule sont-elles vraiment équivalentes ?
Par Lise Loumé le 13.09.2017 à 17h14
La nouvelle formule du Levothyrox, médicament utilisé dans le traitement de la thyroïde, est « bioéquivalente » à l’ancienne, assure l’Agence nationale de sécurité du médicament. Mais le médecin Dominique Dupagne, qui est parvenu à se procurer les études de l’Agence, remet en cause cette affirmation.
De nombreux patients se plaignent de symptômes divers (crampes, maux de tête, vertiges, perte de cheveux… ) et réclament le retour à l’ancienne formule du Levothyrox.
© LAURENT FERRIERE / HANS LUCAS / AFP
Mise en service fin mars 2017 en France, la nouvelle formule du Levothyrox, médicament utilisé dans le traitement de la thyroïde, est à l’origine d’une crise sanitaire. De nombreux patients se plaignent de divers symptômes (crampes, maux de tête, vertiges, perte de cheveux… ) et réclament le retour à l’ancienne formule. Le 11 septembre 2017, la ministre de la santé Agnès Buzyn faisait état de 9.000 signalements d’effets indésirables liés à ce médicament. Mais le laboratoire Merck, qui commercialise le Levothyrox et qui a changé la formule à la demande de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), ne compte pas revenir en arrière. Et l’ANSM l’assure : les changements effectués – à savoir la stabilisation de la concentration de la lévothyroxine (principe actif) et le remplacement de l’excipient lactose par le mannitol – ne modifient pas le traitement en lui-même : « la nouvelle formule a été démontrée bioéquivalente à l’ancienne« . Une affirmation qui repose sur « la base de deux études de pharmacocinétique ». Mais pour le médecin et blogueur Dominique Dupagne, qui est parvenu à se procurer les études en question et les a longuement analysées avec l’aide d’un pharmacologue, la bioéquivalence n’est en rien démontrée.
Des moyennes qui ne reflètent pas les variations chez un seul patient
Les études, dites de « bioéquivalence », servent à vérifier que l’effet biologique de la nouvelle formule n’est pas significativement différente de l’original. « Ce nom est un peu trompeur, car ce qui est vérifié, ce sont les caractéristiques de l’absorption du principe actif et non son effet sur l’organisme, explique Dominique Dupagne. L’affirmation d’une bioéquivalence repose donc sur un postulat : si la diffusion dans le sang du principe actif est à peu près identique à celle de l’original, l’effet biologique sur l’individu le sera lui aussi. » Concrètement, 200 volontaires en bonne santé sont recrutés : la moitié avale une dose unique de l’ancienne formule de Levothyrox, le reste la nouvelle formule. La concentration sanguine en lévothyroxine de chaque groupe est suivie pendant les 72 heures après la prise. Une fois le produit éliminé, ce qui prend plusieurs semaines, on recommence en inversant les groupes. Chaque sujet reçoit donc alternativement les deux médicaments, l’ancien et le nouveau.
Résultat mis en avant dans l’étude : « la moyenne de l’absorption du nouveau Levothyrox chez les 200 sujets ne diffère que de 0,7% d’avec l’ancien médicament », ce qui convient aux exigences de l’ANSM. Mais le problème des moyennes, c’est qu’elles ne reflètent pas les variations intra-individuelles, c’est-à-dire celles que subit un seul individu quand il passe d’une formule de Levothyrox à une autre. Des variations que l’on retrouve pour tous les médicaments. « Nous sommes tous biologiquement différents, les effets positifs ou négatifs peuvent varier de façon importante d’une personne à l’autre », résume Dominique Dupagne. Or selon l’étude, plus d’un tiers des sujets soumis au nouveau Levothyrox ont vu la quantité de lévothyroxine absorbée utilement par leur organisme varier de 23,7% en plus ou en moins ! « Nous sommes loin d’une variation de 0,7% mise en avant par l’Agence et qui ne concerne que la moyenne des mesures », tranche le médecin.
Un suivi de 72 heures pour évaluer 5 semaines de traitement
Mais est-ce élevé ? « La variation intra-individuelle n’est jamais nulle même si l’on prend le même médicament tous les jours à la même heure. Cela dépend de multiples facteurs : ce que nous avons mangé, si nous avons bien dormi…, nous explique le médecin. Mais cette variation n’a pas été étudiée pour le Levothyrox, donc il est impossible de répondre à cette question. » Malheureusement, tout laisse croire que ce chiffre si important n’a pas été assez considéré : « il est absent du résumé, il n’est pas expliqué dans le texte et il n’est discuté nulle part, déplore Dominique Dupagne.
Et pour le médecin, l’ANSM a commis une erreur : « la demi-vie des médicaments se compte habituellement en heures, mais celle de la lévothyroxine est d’une semaine ! Cela signifie que deux semaines après avoir pris ce médicament, il en reste encore un quart dans le sang, et encore un huitième trois semaines après. » Entre l’apport quotidien du médicament et son élimination par l’organisme, il faut 5 semaines pour que la lévothyroxine arrive à un équilibre. « Vous comprenez qu’il est donc illusoire de prétendre estimer l’état d’équilibre après 5 semaines de traitement à partir d’une prise unique et d’un suivi sur 72 heures, surtout lorsque l’on teste les médicaments sur des volontaires indemnes de toute maladie thyroïdienne », déplore le médecin. « Les études de bioéquivalence sont en fait très superficielles », nous confie ce dernier, qui rejoint l’avis de l’association française des malades de la thyroïde (AFMT), à savoir que les études de bioéquivalence ne permettent malheureusement pas « d’évaluer les effets secondaires ni la bonne acceptation du Levothyrox sur le long terme ».
« Il était prématuré d’imposer une substitution directe de l’ancien par le nouveau médicament », poursuit le médecin, qui regrette le manque d’information aux patients et aux prescripteurs, à commencer par la mise à disposition des études de bioéquivalence. Quand nous lui demandons comment il explique cette rétention d’informations de la part de l’ANSM, il nous répond : « Il faut leur demander. Dans une réunion de l’ANSM, il y a quelques années, j’avais posé la question. La responsable m’avait répondu « ça prendrait trop de place sur le site ». Je vous laisse imaginer la tête du webmaster qui était assis à côté d’elle… En fait, comme pour beaucoup d’affaires récentes (Dépakine, vaccins…), les autorités sanitaires appliquent l’adage « moins on leur en dit, mieux ça vaut, sinon ils vont s’inquiéter. »