Un médicament parmi les plus prescrits au monde remis en question

La lévothyroxine, molécule blockbuster administrée en cas de problèmes thyroïdiens n’apporterait pas de bénéfice lorsqu’elle est prescrite aux personnes âgées atteintes d’hypothyroïdie infraclinique, révèle une étude européenne à laquelle ont pris part des médecins suisses

La lévothyroxine est l’une des substances médicamenteuses les plus administrées au monde. Cette forme synthétique de la thyroxine (l’hormone thyroïdienne) sert notamment au traitement de l’hypothyroïdie infraclinique. Une maladie touchant environ 10% de la population – surtout les personnes âgées – et pouvant se traduire par des symptômes tels que fatigue, faiblesse musculaire, troubles de la mémoire ou encore augmentation de la pression artérielle et prise de poids.

Sa prescription a augmenté massivement ces dernières années. En cause? Un dépistage beaucoup plus systématique d’éventuels dérèglements thyroïdiens notamment lors d’examens de routine. Aux Etats-Unis, elle est devenue le médicament le plus prescrit (120 millions en 2014) et le troisième au Royaume-Uni (passant de 2,8 millions en 1998 à 29 millions en 2014). Bien que des données précises ne soient pas disponibles, tout porte à croire que cet accroissement exponentiel n’épargne pas la Suisse, où elle est commercialisée notamment par Merck sous le nom de Euthyrox.

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Et pourtant, il s’avère que ce blockbuster de l’industrie pharmaceutique n’apporterait pas de bénéfice notable pour la majorité des patients atteints d’une baisse de la fonction thyroïdienne. Telles sont les conclusions de l’étude TRUST, publiées en début de semaine dans «The New England Journal of Medicine», et conduite durant cinq ans sur 737 personnes âgées de 65 à 93 ans. Explications de Nicolas Rodondi médecin chef au Département de médecine interne générale à l’Inselspital de Berne, et responsable du pan Suisse de la recherche.

Le Temps: Pourquoi vous êtes-vous penchés spécifiquement sur la question des hormones thyroïdiennes de substitution?

Nicolas Rodondi: Malgré le fait que la lévothyroxine soit très fréquemment prescrite, il manquait de preuves suffisantes quant au bénéfice d’un tel traitement. La majorité des gens prenant de la lévothyroxine ont une forme infraclinique de l’hypothyroïdie, c’est-à-dire qu’ils ont parfois des symptômes propres à la maladie sans qu’il soit néanmoins certain qu’ils soient forcément causés par elle. Il nous importait donc de savoir si ces personnes avaient un réel bénéfice d’un traitement par hormones thyroïdiennes de substitution.

– Quels sont vos résultats?

– Notre étude, cinq fois plus grande que toutes les précédentes sur la question, a montré que les hormones de substitution restauraient certes une fonction thyroïdienne normale, mais n’amélioraient en rien les symptômes. Par ailleurs, le traitement n’entraînait pas de gain de force musculaire, de vitesse de la pensée, de baisse de poids ou de pression artérielle.

– Cela remet-il en question les recommandations actuelles en la matière?

– En effet. Selon les normes actuelles, 9 personnes en hypothyroïdie infraclinique sur 10 devraient être traitées. L’étude que nous avons conduite apporte néanmoins les preuves que les personnes âgées avec cette pathologie n’ont pas de bénéfice clinique d’un traitement à base de lévothyroxine. De même, il n’y a pas d’études montrant qu’un traitement plus agressif apporte davantage de bénéfices. C’est pourquoi il faudrait sérieusement réfléchir à adapter les pratiques en vigueur et ne plus prescrire ces médicaments de façon routinière.

– Sans compter les inévitables effets secondaires de ces traitements souvent prescrits à vie…

– C’est vrai. On estime, selon la littérature scientifique, que 14 à 21% des patients traités sous lévothyroxine développent ce que l’on appelle une hyperthyroïdie infraclinique, c’est-à-dire que leur thyroïde est trop stimulée. Cette pathologie va de pair avec un risque accru de troubles du rythme ou d’insuffisance cardiaque, mais aussi de fonte osseuse et donc de fractures.

– Pourquoi avoir ciblé plus spécifiquement les personnes âgées?

– Nous avons établi notre étude principalement sur le fait que l’hypothyroïdie infraclinique est une pathologie dont l’incidence augmente avec l’âge. Cependant, la question va désormais aussi se poser pour les personnes plus jeunes car les données concernant cette population ne sont également pas très étayées. Bien que l’on ne puisse pas extrapoler nos résultats, il est toutefois possible d’imaginer que le même cas de figure puisse se rencontrer. Mais cela reste, bien entendu, à confirmer.

Est-ce que les bénéfices de la lévothyroxine doivent-ils être discutés pour toutes les formes d’hypothyroïde?

– Non. Ils sont indispensables dans le cas d’une hypothyroïdie franche ou  lors d’une ablation de la thyroïde. Dans les situations moins claires, je conseillerais d’en parler avec son medecin de famille.

– A l’heure où l’on parle d’explosion des coûts de la santé, comment expliquer qu’un médicament soit prescrit aussi massivement alors que la majorité des patients n’en retire aucun bénéfice?

– La raison est assez simple: nous manquons d’études pour bon nombre de médicaments prescrits de routine. On ne sait pas si ces pratiques sont réellement efficaces ou pas, c’est pourquoi il est fondamental de les remettre en question. Surtout lorsque l’on sait que les indications de certains médicaments sont élargies sous pression de l’industrie pharmaceutique ou de la publicité. On retrouve ce même cas de figure par exemple avec les statines, qui sont proposées à bon nombre de patients en prévention d’un infarctus, sans savoir si cela est réellement utile ou non.

 

(Pour les personnes âgées entre autre,  le sujet pose réflexion c’est sûr mais au moins les Suisses reconnaissent que 10% de leur population est atteinte , alors qu’en France on parle 3 millions sur 70 millions? )

Chantal L’HOIR

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