L’Autorité de la concurrence a infligé, jeudi 19 décembre, une amende de 15 millions d’euros à Schering-Plough, filiale du géant américain Merck, pour avoir systématiquement entravé l’arrivée du générique de son Subutex.
L’affaire remonte à 2006. Ce médicament prescrit dans le traitement de la dépendance aux opiacés, notamment l’héroïne, perd cette année là son brevet. Un laboratoire spécialisé dans les génériques, Arrow, se lance sur le créneau avec une copie vendue à 18,70 euros contre 22,20 euros pour l’original (le princeps dans le jargon pharmaceutique). Pourtant, contre toute attente, les ventes de ce médicament meilleur marché ne décollent pas, avec un taux de substitution inférieure à 30 % quand la plupart des génériques conquièrent rapidement jusqu’à 80 % du marché.
UN REDOUTABLE PLAN DE BATAILLE
Alerté par Arrow, l’Autorité de la concurrence lance alors une enquête qui met à jour le plan de bataille redoutable élaboré par Schering-Plough – avec la bénédiction de sa maison-mère – pour dissuader les médecins et les pharmaciens français de prescrire et de commercialiser des copies du Subutex. Son nom est éloquent : « French plan against generics. »
Première étape : instiller la « crainte » dans leur esprit. Une mission confiée aux visiteurs médicaux avec des arguments chocs. Le laboratoire leur demande d’insister sur l’« instabilité psychiatrique » que pourrait déclencher chez le patient un changement de traitement, sur le fait que les excipients sont différents et même sur les risques de mésusage et de trafic. Pire, la direction demande à ses équipes de relayer des rumeurs concernant des soi-disant « problèmes »apparus avec des génériques à Béziers (Hérault).
« En France, les médecins ont encore des réticences à l’égard des génériques. Le laboratoire a parfaitement su exploiter cette faiblesse en apportant de l’eau à leur moulin », souligne Bruno Lasserre, le président de l’Autorité de la concurrence. « De plus, les médecins ont une connaissance insuffisante de la pharmacopée ce qui les rend davantage influençables », ajoute M. Lasserre. Résultat : les enquêteurs ont constaté que 67 % des ordonnances portaient la mention « non substituable », ce qui signifie que le pharmacien n’avait pas le droit de substituer un générique au Subutex.
Au cas où le médecin aurait omis cette précision, Schering-Plough avait prévu une autre parade. Quelques mois avant l’arrivée de la copie d’Arrow, il avait pris soin de saturer les rayonnages des pharmacies avec son Subutex, en accordant d’importantes remises aux officines. Quand son concurrent est arrivé, il ne restait tout simplement plus de place pour ses boîtes.
DES AFFAIRES QUI SE MULTIPLIENT
Cette stratégie a permis à la filiale de Merck et au fournisseur de la molécule – le britannique Reckitt Benckiser – de préserver une bonne partie des ventes de leur Subutex (près de 91 millions d’euros en 2005, sur un chiffre d’affaires total de 520 millions en France). Au préjudice de l’Assurance maladie qui rembourse à hauteur de 77 millions d’euros le Subutex alors qu’une alternative moins coûteuse existe.
En mai, l’Autorité de la concurrence avait sanctionné Sanofi à hauteur de 40,6 millions d’euros pour avoir systématiquement dénigré les génériques de son Plavix (un antithrombotique), qui était, jusqu’à la chute de son brevet en 2008, l’un des médicaments les plus vendus au monde. « Nous nous inquiétons de la multiplication de ces affaires », indique M. Lasserre, qui doit se prononcer l’an prochain dans une troisième affaire similaire impliquant Janssen (filiale du géant américain Johnson & Johnson) et son Durogesic, un analgésique puissant dont le brevet est aussi tombé en 2008.
Au niveau européen, la Commission enquête sur un autre pratique anti-concurrentielle destinée à retarder l’arrivée sur le marché des génériques. Baptisée « pay for delay », elle consiste pour le fabricant du princeps à payer une somme importante à ses concurrents pour qu’ils s’abstiennent de lancer leurs génériques. Le 10 décembre, elle a ainsi infligé une amende de 16 millions d’euros à Johnson & Johnson et Novartis (et à sa filiale générique Sandoz) pour avoir retardé l’entrée sur le marché d’un générique du Durogesic. En juin 2013, la Commission a aussi infligé une amende au laboratoire danois Lundbeck et à plusieurs producteurs de médicaments génériques pour avoir retardé l’entrée sur le marché de copies de son Celexa, un antidépresseur.