projet de loi sur le renforcement de la sécurité sanitaire

LETTRE OUVERTE AUX SENATRICES ET SENATEURS

Objet : projet de loi sur le renforcement de la sécurité sanitaire

du médicament et des produits de santé.

Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs,

Vous allez être amené(e) à voter dans les prochains jours les dispositions de la loi sur le renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. Mais pensez-vous vraiment qu’il s’agisse d’une loi pour les patients ?

Du point de vue des associations, il apparaît que le texte soumis au vote après son passage à l’Assemblée nationale et devant la commission des affaires sociales du Sénat, va sur plusieurs points à rebours de l’intention initiale de protection des intérêts des patients.

Dans trois domaines, des dispositions nous semblent particulièrement problématiques.

1/ A juste raison, le projet de loi prévoit que des reconnaissances temporaires d’utilisation (RTU) permettent l’utilisation « hors-AMM » de certains médicaments. Mais, nous n’allons pas produire des RTU par centaines en un clic ! Pire encore, en dehors de la RTU point de remboursement : derrière la louable intention du législateur se cache en fait une aventureuse politique de déremboursement aggravant encore les difficultés des malades. Il est indispensable de prévoir que le remboursement est maintenu dès lors qu’une RTU est en cours et jusqu’à ce qu’il ait été statué sur cette demande.

Il est également important de prévoir que le renouvellement des RTU puisse aller au-delà de trois ans. Dans la vraie vie, la réalisation des essais cliniques nécessaires pour aller vers une véritable AMM n’est souvent pas compatible avec une telle durée.

2/ Soupçonneuse à l’égard de tout usage non prévu du médicament, la loi restreint aussi le mécanisme des autorisations temporaires d’utilisation (ATU) inventé pour sauver des vies dans la période la plus noire de la lutte contre le sida. De quoi s’agissait-il ? Tout simplement d’utiliser un médicament non abouti, mais efficace et en cours de validation, car le bénéfice était favorable pour le patient, malgré des effets secondaires importants, plutôt que de le laisser aller, sans traitement, vers une mort certaine. Nous avons encore besoin de ce régime des ATU qui a d’ailleurs bien servi depuis dans d’autres pathologies, notamment le cancer. Retenons les leçons du passé : souvenons-nous qu’en 1996, ceux et celles qui étaient entraîné(e)s inexorablement vers la mort ont pu attendre quelques mois de plus l’arrivée des antirétroviraux. Quinze ans après, ils et elles sont encore parmi nous. Pensons aussi que demain, dans une autre épidémie, que nous ne pouvons totalement écarter, ou tout simplement dans d’autres maladies comme le cancer ou la maladie d’Alzheimer, nous aurons encore besoin de ces ATU.

Il n’y a dès lors aucun intérêt à limiter l’ATU à 3 ans. Quelle erreur ! C’est un délai insuffisant pour obtenir l’AMM. Ici encore, il convient de dire que l’ATU est délivrée jusqu’à ce qu’il ait été statué définitivement sur l’AMM, sinon des milliers de malades vont devoir interrompre leurs traitements … et mourir.

Ne grevons pas l’avenir, ni celui des malades, ni celui de notre pays.

3/ Si la loi risque de finir par desservir les patients, elle s’attaque aussi à leurs organisations. Ainsi, on ne peut que s’étonner de l’interdiction de siéger au conseil de l’Agence française de sécurité des produits de santé (AFSPS) opposée aux associations d’usagers agréées qui ont reçu la moindre subvention ou quelque avantage des entreprises produisant ou commercialisant des produits de santé. On risque de ne pas trouver beaucoup de candidats !!!

Quelle étonnante discrimination… Tous les autres membres du conseil d’administration peuvent avoir des liens d’intérêts avec l’industrie des produits de santé, notamment les députés et sénateurs, sans qu’ils soient interdits de siéger dans cette instance. Sans doute les associations ont-elles une souillure originelle qui fait que leurs liens d’intérêts sont par nature des conflits d’intérêts. Par là le législateur considère que, pour les associations, le lien d’intérêt ponctuel est un conflit d’intérêt permanent !!!

A moins que l’on veuille créer une formalité impossible et se débarrasser à bon compte des associations ? Car il est surprenant que le principe de démocratie sanitaire, approuvé à l’unanimité par les deux chambres en 2002, soit un principe à usage variable. En effet, la loi ne prévoit pas, contrairement à ce qui avait été promis par le ministre de la Santé en personne devant les députés le 18 mai dernier, que des représentants des usagers siègent au collège de la Haute Autorité de Santé ni au Comité économique des Produits de Santé là où se fixe en grand secret le prix des médicaments. Deux interdictions de séjour qui en disent long…

Nous l’avons toujours dit, le projet de loi, enrichi à l’Assemblée nationale et à la commission des affaires sociales du Sénat, va dans le bon sens : efforts sur la transparence des liens d’intérêts, cadrage de l’expertise, démonstration de l’efficacité d’un médicament non plus par rapport à un placebo mais par rapport à un autre médicament, nouveaux pouvoirs de sanction de l’agence. Autant d’avancées légitimes.

Pour autant, une telle loi ne peut s’abriter derrière le paravent de la défense des patients pour décider finalement à rebours de leurs intérêts. C’est ce sur quoi nous souhaitons vous interpeller au moment où vous allez examiner ce texte de loi en séance.

Le Collectif Interassociatif Sur la Santé

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