EFFONDREMENT DU VIVANT : L’ÉTAT CONDAMNÉ À RÉPARER LE PRÉJUDICE ÉCOLOGIQUE CAUSÉ PAR L’USAGE DES PESTICIDES
C’était le premier procès sur la biodiversité. Il se conclut sur la condamnation de l’État, pour ne pas avoir respecté ses obligations de réduction de pesticides, causant un préjudice écologique. Le Tribunal administratif de Paris donne un an au gouvernement pour réparer ce préjudice et prévenir l’aggravation des dommages.
« Cette journée marque un tournant dans la lutte contre l’effondrement de la biodiversité en France », se réjouissent les associations à l’origine du recours Justice pour le vivant qui vise l’État pour manquement à ses obligations de protéger la biodiversité. Le Tribunal administratif de Paris l’a condamné jeudi 29 juin, reconnaissant le préjudice écologique lié à l’utilisation de produits phytopharmaceutiques. Après la pollution et le climat, le gouvernement est donc désormais aussi condamné sur le terrain de la biodiversité.
« C’est un jugement historique », commentent les cinq ONG (Pollinis, Notre Affaire à Tous, Biodiversité sous nos pieds, l’Association pour la protection des animaux sauvages et l’Association nationale pour la protection des eaux et rivières), à l’origine du recours. « La justice reconnaît pour la première fois la responsabilité de l’État dans l’effondrement du Vivant, et ses insuffisances dans l’évaluation des risques des pesticides », écrivent-elles dans un communiqué. « Il s’agit d’une première étape indispensable pour enrayer l’extinction en cours », estiment les associations qui appellent le gouvernement à « mener les transformations nécessaires rapidement ».
L’État a un an pour agir
Dans la lignée de l’Affaire du siècle, qui avait réussi à faire condamner l’État pour son inaction climatique, ces cinq ONG avaient déposé un recours devant le tribunal administratif de Paris en janvier 2022 afin de faire reconnaître la faute de l’État dans la sixième extinction de masse. Elles espéraient lui imposer de réparer le préjudice écologique causé et de réviser le processus de mise sur le marché des pesticides, dont l’usage intensif est l’une des causes du déclin de la biodiversité.
D’abord, le tribunal reconnaît bien l’existence d’un préjudice écologique « résultant de la contamination généralisée, diffuse, chronique et durable des eaux et des sols par les substances actives de produits phytopharmaceutiques, du déclin de la biodiversité et de la biomasse et de l’atteinte aux bénéfices tirés par l’homme de l’environnement ».
Il retient deux fautes commises par l’État : la méconnaissance d’une part des objectifs qu’il s’était fixés en matière de réduction de l’usage de produits phytopharmaceutiques et d’autre part de l’obligation de protection des eaux souterraines. Il juge « que le préjudice écologique présente un lien direct et certain avec ces fautes ». Dès lors, il ordonne au gouvernement de prendre toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique et prévenir l’aggravation des dommages au plus tard d’ici le 30 juin 2024.
La France, championne des pesticides
En revanche, le tribunal n’a pas suivi la demande des ONG et les recommandations de la rapporteure publique sur le réexamen des procédures d’évaluation et d’autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. « Le résultat des études supplémentaires que pourrait exiger l’Anses (l’Agence nationale de sécurité sanitaire, ndr) n’est pas connu à la date du présent jugement et il ne peut donc en être inféré avec certitude que cela aurait pour effet de modifier significativement la nature ou le nombre des produits phytopharmaceutiques mis sur le marché », pointe le jugement.
Sur ce point, les associations feront appel devant la Cour administrative d’appel de Paris, et introduiront, en parallèle, un nouveau recours devant le Conseil d’État pour obtenir la mise en œuvre de cette décision. Enfin, l’État devra verser un euro symbolique à chacune des associations requérantes au titre du préjudice moral subi.
La France reste championne des pesticides. Selon l’ONG Générations Futures, elle est dans le top 3 des pays européens qui autorisent le plus de pesticides. En termes de volume, la France est aussi le pays de l’UE qui vend le plus de pesticides, ce qui s’explique en partie par sa surface agricole. Après l’échec des deux premiers plans Écophyto, qui devaient diviser par deux l’usage des pesticides, une troisième version est attendue pour l’été. Elle sera particulièrement scrutée dans le cadre de cette affaire.