« Polluants éternels » : quels sont les effets des PFAS sur la santé ?
Seize millions d’Européens, dont deux millions de Français, seraient affectés par des pathologies (cancers, baisse de la fertilité, problèmes cardio-vasculaires…) dues à une exposition aux substances per- et polyfluoroalkylées.
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Article réservé aux abonnés LÉA GIRARDOT POUR « LE MONDE »
Peu étudiées avant les années 2000, quasi inconnues du public, les substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS) sont pourtant omniprésentes dans les produits que nous utilisons et consommons, dans l’environnement, et aussi dans nos organismes. Classés comme toxiques, bioaccumulables et persistants, ces « polluants éternels », qui se déclinent en des milliers, voire des millions de composés chimiques, ne se dégradent pas dans l’environnement et constituent l’une des plus graves contaminations auxquelles le monde est aujourd’hui confronté.
« Forever Pollution Project », une enquête sur la contamination de l’Europe aux PFAS
Pendant plusieurs mois, Le Monde et ses partenaires du « Forever Pollution Project » ont réuni des milliers de données pour construire une carte « de la pollution éternelle ». Celle-ci montre pour la première fois l’ampleur de la contamination de l’Europe par les substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS), des composés toxiques et persistants dans l’environnement.
Cette enquête collaborative a été lancée par Le Monde (France), NDR, WDR et la Süddeutsche Zeitung (Allemagne), Radar Magazine et Le Scienze (Italie), The Investigative Desk et NRC (Pays-Bas), avec le soutien financier de Journalismfund.eu et d’Investigative Journalism for Europe (IJ4EU). Ont ensuite rejoint le projet Knack (Belgique), Denik Referendum (République tchèque), YLE (Finlande), Reporters United (Grèce), SRF (Suisse), Datadista/El Diario.es (Espagne), Watershed Investigations/The Guardian (Royaume-Uni), avec le soutien d’Arena for Journalism in Europe pour la coordination internationale.
Face à cette menace, la prise de conscience politique est tardive : le gouvernement français vient de lancer un plan d’action national, et un projet d’interdiction de toute la famille des PFAS est engagé au niveau européen. Des projets qui se heurtent aux résistances des industriels. Pourtant, les effets sur la santé sont nombreux.
Dans le sang de toute la population
En France, des PFAS (en particulier le PFOS et PFOA, des PFAS « historiques », interdits depuis 2009 et 2019) sont présentes dans le sang de la totalité de la population, adultes et enfants, comme l’a montré le programme de biosurveillance Esteban en 2020. Des travaux scientifiques conduits sur la population des Etats-Unis parviennent au même constat, ou presque : les PFAS sont en effet retrouvées dans 97 % à 100 % des échantillons testés.
Selon les premiers résultats du programme de recherche européen HBM4EU – rendus publics en 2022 –, le sang de plus de 14 % des adolescents européens contient des PFAS qui atteignent des niveaux supérieurs à la valeur indicative de l’Autorité européenne de sécurité des aliments. Douze PFAS ont été détectées parmi les près de 2 000 échantillons collectés dans neuf pays européens, dont la France. Les valeurs les plus élevées se situaient en Europe du Nord et de l’Ouest.Lire aussi : Article réservé à nos abonnés En France, la contamination des eaux de surface par les PFAS, « polluants éternels », est « largement sous-estimée », selon une association
Les niveaux de PFOS et de PFOA dans le sang des populations ont tendance à décliner depuis leurs interdictions respectives. Mais ces PFAS à « chaîne longue » (composées de plus de six atomes de carbone) ont été remplacées dans les procédés industriels par d’autres PFAS, à « chaîne courte », dont la plupart sont également toxiques ; tous sont très mobiles dans l’environnement.
Depuis le milieu des années 2000, l’attention scientifique croissante a mis en évidence de nombreux effets sur la santé au travers d’enquêtes sur les animaux et d’études épidémiologiques auprès des populations les plus exposées : les employés d’usines où les PFAS sont synthétisées et utilisées, et les riverains de ces sites industriels.
Risque accru de cancers
De multiples maladies sont observées chez les personnes exposées à des doses importantes de PFOS et PFOA : problèmes cardio-vasculaires, augmentation du taux de cholestérol, perturbation de la fertilité et de la spermatogenèse, diminution de la réponse immunitaire aux vaccins (liée en particulier à une exposition au PFOA).
Ces mêmes études mettent par ailleurs en évidence un risque pour le développement du fœtus et un lien entre le niveau de PFOA dans le sang et une diminution du poids de naissance des bébés, une fréquence accrue d’hypertension artérielle ou de prééclampsie pendant la grossesse (une maladie qui associe une hypertension artérielle et la présence de protéines dans les urines), un risque accru de fausse couche, de naissance prématurée, de malformations congénitales et d’enfants mort-nés. On observe également des atteintes de la glande thyroïde et des rectocolites hémorragiques (inflammations de l’intestin), même si les données restent à ce stade limitées sur ces pathologies.
Associé à un risque accru de cancers du rein et des testicules, le PFOA a été classé « cancérogène probable » par le Centre international de recherche sur le cancer, en 2016. Puisque la majorité des travaux scientifiques se sont concentrés sur le PFOS et le PFOA, les connaissances des effets de la plupart des autres PFAS sont encore limitées, en particulier concernant leur caractère cancérogène.Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Des polluants du quotidien délétères pour la construction du cerveau des jeunes enfants
Si la qualité et la quantité des données varient selon les types de PFAS, un rapport du Conseil nordique des ministres, considéré comme une référence, a tenté d’estimer le « coût de l’inaction » face à cette pollution. D’après les estimations, 15,6 millions d’Européens seraient touchés par des pathologies dues à une exposition aux PFAS. Le coût annuel des dépenses liées y est chiffré entre 52 et 84 milliards d’euros. Les problèmes d’hypertension causés par les PFAS pourraient être responsables de la mort de 10 000 personnes chaque année. En France, près de 2 millions de Français seraient affectés.
Présents dans de nombreux produits et dans l’alimentation
C’est grâce à leur grande stabilité chimique que les PFAS sont si persistants dans l’environnement. Et c’est cette persistance qui les rend si désirables pour les industriels. La chaîne d’atomes de carbone et de fluor qui les compose est une des liaisons les plus fortes et les plus stables de l’histoire de la chimie, ce qui leur confère des propriétés remarquables. Antiadhésives, antitaches, imperméabilisantes et résistantes aux hautes températures : ces qualités les ont rendues indissociables d’un grand nombre d’usages.
Pratiques dans les objets du quotidien comme les textiles déperlants ou les ustensiles de cuisine, elles servent dans des applications plus techniques comme les pièces d’avion ou d’éoliennes, les semi-conducteurs ou certains équipements médicaux. Certains conditionnements alimentaires comportent un revêtement contenant des PFAS. En 2021, des tests effectués par des organisations non gouvernementales à travers l’Europe ont montré la présence de PFAS dans la majorité des emballages de fast-food de grandes enseignes comme McDonald’s, KFC, Subway ou Dunkin Donuts.Lire aussi (2021) : Article réservé à nos abonnés Des polluants « éternels » dans les emballages à usage unique de la restauration rapide
La nourriture constitue la source majeure d’exposition aux PFAS. Le programme européen HBM4EU estime que l’alimentation représente en effet de 97 % à 98 % de l’exposition au PFOS et au PFOA. Parmi les aliments les plus contaminés figurent les poissons et les fruits de mer. Le bétail élevé sur des terres polluées ou qui s’abreuve d’eau contenant des PFAS peut également contaminer les humains par la consommation de viande, de lait ou d’œufs.
Lorsque les PFAS pénètrent l’organisme, elles peuvent y rester de quelques jours à quelques années et ont tendance à s’accumuler avec l’âge. Certaines, comme le PFHxS, pourraient y atteindre une durée de demi-vie de plus de cinq ans : le temps nécessaire pour que le corps se libère de la moitié des molécules. Le corps humain peine en effet à excréter ces composés, en particulier les PFAS « à chaîne longue ». Si leur production a été interdite, elles sont sans doute là pour toujours
« Polluants éternels » : quels sont les effets des PFAS sur la santé ?Gary Dagorn et Stéphane HorelSeize millions d’Européens, dont deux millions de Français, seraient affectés par des pathologies (cancers, bais… |

Rumilly, « capitale mondiale de la poêle » et hot spot de la « pollution éternelle » aux PFAS
Par Stéphane Mandard (Rumilly (Haute-Savoie), envoyé spécial) et Stéphane Horel Publié hier à 06h00, mis à jour à 04h42
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Enquête
Les nappes phréatiques de la ville de Haute-Savoie sont contaminées par un composé chimique interdit depuis 2020 et longtemps utilisé par Tefal pour le revêtement antiadhésif de ses articles culinaires.
La poêle géante installée à l’entrée de Rumilly a été démontée. Trop encombrante pour la cité haut-savoyarde ? Non, trop énergivore. Elle est officiellement en maintenance pour mettre son système d’éclairage aux normes environnementales.En temps normal, de jour comme de nuit, elle rappelle au visiteur que Rumilly, à mi-chemin entre Annecy et Aix-les-Bains (Savoie), est « la capitale mondiale de la poêle ».Quarante-cinq millions de ces ustensiles de cuisine sortent chaque année de son usine Tefal, premier employeur revendiqué du département avec ses 1 850 salariés. La 500 millionième (conçue le 26 mars 1994) est exposée au musée de la ville. La version collector célébrant les exploits du club de foot local en Coupe de France en 2021 trône dans une vitrine dans le bureau du président de la communauté de communes Rumilly Terre de Savoie, Christian Heison. « Rumilly, c’est Tefal. Et Tefal, c’est Rumilly »,résume celui qui est aussi le maire (sans étiquette) de la ville.
Alors, quand Rumilly ne peut plus boire de son eau à cause d’une pollution aux très toxiques PFAS (les substances per- et polyfluoroalkylées), tous les regards se tournent vers Tefal. La faute au Teflon, ce revêtement antiadhésif, qui a fait la réputation de la marque, a longtemps été fabriqué à l’aide de PFOA, l’une des PFAS les plus dangereuses.
Interdit depuis 2020 notamment en raison de son potentiel cancérogène et considéré comme un « polluant éternel » car il ne se dégrade pas dans l’environnement, le PFOA a été retrouvé à l’automne 2022 dans les nappes phréatiques de la ville. Et à des teneurs jugées « significatives » par la préfecture de Haute-Savoie. Au point de contraindre le maire à « neutraliser » en urgence deux nappes phréatiques qui alimentaient 12 000 de ses 16 000 administrés et à se raccorder sur le réseau du Grand Annecy. « Quand le préfet m’appelle fin septembre pour me dire : “Il faut qu’on discute, on a un petit souci”, j’étais à des années-lumière de penser ce qui allait nous tomber dessus, raconte Christian Heison. Je n’avais jamais entendu le mot “PFAS”. »
« Forever Pollution Project », une enquête sur la contamination de l’Europe aux PFAS
Pendant plusieurs mois, Le Monde et ses partenaires du « Forever Pollution Project » ont réuni des milliers de données pour construire une carte « de la pollution éternelle ». Celle-ci montre pour la première fois l’ampleur de la contamination de l’Europe par les substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS), des composés toxiques et persistants dans l’environnement.
Cette enquête collaborative a été lancée par Le Monde (France), NDR, WDR et la Süddeutsche Zeitung (Allemagne), Radar Magazine et Le Scienze (Italie), The Investigative Desk et NRC (Pays-Bas), avec le soutien financier de Journalismfund.eu et d’Investigative Journalism for Europe (IJ4EU). Ont ensuite rejoint le projet Knack (Belgique), Denik Referendum (République tchèque), YLE (Finlande), Reporters United (Grèce), SRF (Suisse), Datadista/El Diario.es (Espagne), Watershed Investigations/The Guardian (Royaume-Uni), avec le soutien d’Arena for Journalism in Europe pour la coordination internationale.
Malgré la multiplication des alertes depuis la fin des années 1990 sur la pollution au PFOA liée à la production de Teflon, les services de l’Etat ne s’y intéressent que depuis le printemps 2022. Aprèsla diffusion d’un reportage d’« Envoyé spécial » en mai sur une pollution aux PFAS dans la « vallée de la chimie », au sud de Lyon, ils cherchent à identifier d’autres zones potentiellement concernées dans la région. Rumilly apparaît rapidement sur la carte : outre Tefal, l’ancienne usine de ski Salomon (à l’arrêt depuis 2009) et une ancienne tannerie dont les activités ont cessé officiellement en 2015 sont susceptibles d’avoir utilisé des PFAS.
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Stéphane Mandard (Rumilly (Haute-Savoie), envoyé spécial) et Stéphane Horel Publié hier à 06h00, mis à jour à 04h42
Alors, quand Rumilly ne peut plus boire de son eau à cause d’une pollution aux très toxiques PFAS (les substances per- et polyfluoroalkylées), tous les regards se tournent vers Tefal. La faute au Teflon, ce revêtement antiadhésif, qui a fait la réputation de la marque, a longtemps été fabriqué à l’aide de PFOA, l’une des PFAS les plus dangereuses.
Interdit depuis 2020 notamment en raison de son potentiel cancérogène et considéré comme un « polluant éternel » car il ne se dégrade pas dans l’environnement, le PFOA a été retrouvé à l’automne 2022 dans les nappes phréatiques de la ville. Et à des teneurs jugées « significatives » par la préfecture de Haute-Savoie. Au point de contraindre le maire à « neutraliser » en urgence deux nappes phréatiques qui alimentaient 12 000 de ses 16 000 administrés et à se raccorder sur le réseau du Grand Annecy. « Quand le préfet m’appelle fin septembre pour me dire : “Il faut qu’on discute, on a un petit souci”, j’étais à des années-lumière de penser ce qui allait nous tomber dessus, raconte Christian Heison. Je n’avais jamais entendu le mot “PFAS”. »
« Forever Pollution Project », une enquête sur la contamination de l’Europe aux PFAS
Pendant plusieurs mois, Le Monde et ses partenaires du « Forever Pollution Project » ont réuni des milliers de données pour construire une carte « de la pollution éternelle ». Celle-ci montre pour la première fois l’ampleur de la contamination de l’Europe par les substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS), des composés toxiques et persistants dans l’environnement.
Cette enquête collaborative a été lancée par Le Monde (France), NDR, WDR et la Süddeutsche Zeitung (Allemagne), Radar Magazine et Le Scienze (Italie), The Investigative Desk et NRC (Pays-Bas), avec le soutien financier de Journalismfund.eu et d’Investigative Journalism for Europe (IJ4EU). Ont ensuite rejoint le projet Knack (Belgique), Denik Referendum (République tchèque), YLE (Finlande), Reporters United (Grèce), SRF (Suisse), Datadista/El Diario.es (Espagne), Watershed Investigations/The Guardian (Royaume-Uni), avec le soutien d’Arena for Journalism in Europe pour la coordination internationale.
Malgré la multiplication des alertes depuis la fin des années 1990 sur la pollution au PFOA liée à la production de Teflon, les services de l’Etat ne s’y intéressent que depuis le printemps 2022. Aprèsla diffusion d’un reportage d’« Envoyé spécial » en mai sur une pollution aux PFAS dans la « vallée de la chimie », au sud de Lyon, ils cherchent à identifier d’autres zones potentiellement concernées dans la région. Rumilly apparaît rapidement sur la carte : outre Tefal, l’ancienne usine de ski Salomon (à l’arrêt depuis 2009) et une ancienne tannerie dont les activités ont cessé officiellement en 2015 sont susceptibles d’avoir utilisé des PFAS.
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