Guerre en Ukraine : en France, les sirènes d’alerte tombent en ruine
Peu ou plus de personnel de maintenance, un budget étriqué : les alarmes qui retentissent le premier mercredi du mois sont à bout de souffle.
Par Aziz Zemouri Publié le 11/03/2022 à 17h00
La préfecture de police et de la zone de défense et de sécurité de Paris, de la capitale à la petite couronne, a poussé un ouf de soulagement. Lors du dernier test qui s’est déroulé le mercredi 2 mars, seulement deux sirènes d’alerte, officiellement, n’ont pas fonctionné. C’est l’information qui est remontée au cabinet du préfet.
Mais si la Direction de l’innovation, de la logistique et des technologies (Dilt), qui a succédé, en 2020, à la Direction opérationnelle des services techniques et logistiques (Dostl), qui gère le système d’alerte et d’information des populations (Saip), peut constater que les sirènes reçoivent bien le signal de déclenchement, elle n’est pas en mesure de savoir si la sirène a émis un quelconque son.
Il reste 237 sirènes sur 372 mises en place
Selon nos informations, des maires de la banlieue parisienne ont bien fait remonter au préfet Didier Lallement les dysfonctionnements de leurs sirènes. Et ils étaient plus que deux, notamment dans le Val-de-Marne et en Seine-Saint-Denis. Tout le monde sait désormais, à la préfecture de police (PP), qu’il existe une distorsion entre les informations techniques de la Dilt et la réalité du terrain.
Sur les 372 sirènes que comptait la zone de défense de Paris, dirigée par la préfète Marie-Emmanuelle Assidon, il en reste aujourd’hui 237 en état de fonctionnement.
« Il n’y a que 50 000 euros de budget et deux fonctionnaires en charge du suivi des sirènes d’alerte », explique-t-on à la Dilt. Ces dernières années, les gouvernements ont tergiversé : ils ménageaient la chèvre – garder le système des sirènes d’alerte en le laissant mourir d’obsolescence – et le chou, en faisant émerger un nouveau système plus performant technologiquement. C’est pourtant à grand renfort de communication que, le 2 mars, la PP a annoncé le déclenchement des sirènes. Un exercice mensuel, mais qui prenait une tournure particulière avec la guerre russe en Ukraine et les menaces que fait peser Vladimir Poutine sur la sécurité en Europe.
« Les sirènes sont certes un des moyens d’alerte, mais, en vérité, les médias plus les réseaux sociaux comme Twitter vont 15 fois plus vite et c’est plus efficace : on peut dire des choses, préciser les secteurs en danger, dire quand ça commence, quand ça finit, toutes choses qu’un dispositif de sirènes datant de la Seconde Guerre mondiale ne saura jamais faire », indique-t-on à la zone de défense.
La sirène s’habille chez Chanel
Au fur et à mesure du temps, les sirènes très nombreuses installées sur des bâtiments privés soumis aux règles du marché ont soit disparu soit ne sont plus accessibles aux services techniques de la PP. Et parfois, ces derniers doivent faire face à des demandes incongrues, voire onéreuses… « On nous a demandé d’habiller nos sirènes aux couleurs de la copropriété. Une autre fois, sur un hôtel de grand standing, le propriétaire était d’accord pour la maintenance de la sirène à condition qu’on l’habille en… marron Chanel », se souvient un technicien. « Les boîtiers de commande sont en sous-sol et les câbles ne sont pas de la dernière jeunesse : la maintenance est complexe et onéreuse. »
Face à la vétusté du parc des sirènes, le ministère de l’Intérieur déploiera à partir du mois de juin un nouveau système baptisé FR-Alerte : des alertes sectorisées et des SMS géolocalisés préviendront d’un danger éventuel et donneront les premières consignes de mise à l’abri.
Le Sénat, auteur d’un rapport critique sur le Saip en 2017, avait mis en garde les gouvernements sur le niveau des budgets consacrés à la maintenance d’un système de plus en plus obsolète. Grâce à l’Europe qui a imposé un système d’alerte géolocalisé, la Chambre haute a fini par être entendue, après une centaine de millions d’euros engloutis dans un système à bout de souffle.
(Déjà que les balises en cas de pollution radioactives sont devenues volontairement muettes depuis Tchernobyl…)