Excipients : Un besoin continu d’innovations
Le 01 novembre 2011 par Sylvie Latieule
Entre la perte de brevet de nombreux blockbusters et le développement de matières actives de plus en plus complexes et difficiles à solubiliser, les excipients pharmaceutiques ont d’importants challenges à relever en matière de formulation.
Le marché mondial des excipients pharmaceutiques se porte plutôt bien. Évalué à 4,9 milliards de dollars en 2011 par le cabinet BCC Research, il devrait enregistrer une croissance moyenne de 6,5 % par an sur les cinq prochaines années pour atteindre 6,7 Mrds $ à l’horizon 2016. A ce niveau mondial, la croissance des excipients est tirée par un marché pharmaceutique global qui progresse entre 4 et 6 %. « L’industrie des médicaments et l’industrie des excipients entretiennent une relation symbiotique », explique le cabinet dans un tout récent rapport. « Tous les deux sont sujets aux mêmes fluctuations apportées par les changements d’usage des médicaments ». Si le marché mondial se porte si bien, c’est encore une fois grâce aux Brics qui constituent des zones de croissance. En France, comme en Europe, les marchés sont plus matures et la croissance tourne au ralenti. Mais elle reste toutefois régulière, selon Olivier Midler, directeur général délégué de Gattefossé, spécialiste des excipients lipidiques. « Les cycles de développement et de ventes sont très longs », justifie le directeur marketing. Le marché des excipients a aussi la particularité de se complexifier avec l’avènement de nouvelles matières actives biotechnologiques, souvent proposées en administration parentérale. Mais dans le même temps, la montée en puissance des génériques redonne du souffle aux formulations (et excipients) plus classiques.
Dans un médicament, l’excipient regroupe tout ce qui n’est pas de la matière active. Charge, diluant, désintégrant, lubrifiant, plastifiant… il peut remplir toutes sortes de fonctions. Ainsi, il y aurait près de 1 200 types d’excipients sur le marché, mais seulement 300 seraient couramment utilisés. Ces excipients sont à plus de 90 % des molécules organiques comme des sucres, des dérivés de l’amidon, de cellulose, oléochimiques ou des dérivés pétroliers. Le reste du marché est occupé par des produits inorganiques (par exemple des carbonates, des sulfates de calcium) et l’eau qualité USP pour les produits injectables. Conséquence de cette grande diversité, l’offre est fragmentée. Derrière ces fournisseurs d’excipients se cachent souvent des chimistes ou des agroindustriels internationaux, ou locaux, qui ne consacrent qu’une partie infime de leur production à cette catégorie de produits qui a pourtant la vertu de générer des marges plus confortables. Parmi ces producteurs, il y a encore peu d’acteurs asiatiques, même s’ils commencent à prendre de l’essor. Ce point constitue une différence majeure avec le marché des matières actives, dominé à plus de 80 % par des acteurs asiatiques. Une autre différence se joue sur les volumes dans la mesure où le rapport entre Excipient et API dans une formulation est de l’ordre de 75/25, avec des formulations possibles dans un ratio 99/1. Par contre en termes de valeur, l’excipient n’excède guère les 5 %. Dans ce jeu mondial des producteurs d’excipients, la France occupe une place non négligeable avec des acteurs qui investissent dans de nouvelles capacités ou de l’innovation.
Quatrième sucrier mondial, le groupe français Tereos est avant tout un acteur de l’agroalimentaire. Pour autant, il occupe une place clé sur le marché français des excipients avec toute une gamme de sucres, principalement du saccharose, utilisés comme charges et comme agents masquants. La totalité de sa production d’excipients est réalisée sur le sol français dans quatre sites en conformité avec la nouvelle réglementation sur les matières premières à usage pharmaceutique. En conséquence, la France reste un marché local de référence pour le groupe, même s’il est largement présent en Europe ainsi qu’à l’international. En dépit de l’avènement des édulcorants dans certaines formulations, Jérôme Cournil, responsable des ventes sur le marché pharmaceutique, estime que le sucre a encore de beaux jours devant lui en raison d’un atout de poids : sa pureté. Le sucre est en effet obtenu par cristallisation et peut ensuite subir toutes sortes d’opérations de broyage, d’agglomération et de tamisage pour obtenir différentes granulométries et morphologies. Autre atout mis en avant par Tereos : l’innovation. La mise au point de sucres atomisés permet ainsi d’utiliser le saccharose en compression directe, ou encore dans des mélanges délicats de poudres hétérogènes. Jérôme Cournil ajoute par ailleurs que, dans un contexte de fortes tensions sur les marchés de matières premières, le saccharose, obtenu à partir de betteraves plantées par les agriculteurs français associés-coopérateurs de Tereos, est une valeur sûre en termes de disponibilité pour l’industrie.
Un autre acteur de référence en France est l’amidonnier Roquette qui se partage entre les domaines de la nutrition humaine, la cosmétologie, le papier, la nutrition animale, la chimie agrosourcée et la pharmacie. Dans ce dernier domaine, qui ne représente qu’une infime partie de ses productions, il propose des dérivés de l’amidon, plus ou moins hydrolysés tels que le dextose, la maltodextrine, ainsi que des polyols de type mannitol, xylitol, maltitol ou sorbitol. Ces dérivés sont notamment produits dans les quatre sites industriels français du groupe. Si Roquette adresse en premier lieu le marché des formes sèches, certains de ses produits peuvent aussi entrer dans des formulations liquides et injectables.
La production d’excipients, c’est aussi l’un des métiers du Français Novacarb. Sur une production totale de 110 t/an de bicarbonate de sodium dans ses installations de Laneuville-devant-Nancy, il consacre aujourd’hui 10 % de ses tonnages à la production d’excipients pharmaceutiques. « Notre objectif est d’arriver à 20 % », confie Charles-Elie Lefaucheur, en charge du développement. En effet, si le marché de l’effervescence a une croissance régulière mais modérée, le bicarbonate de Novacarb est en train de trouver de nouveaux débouchés dans le domaine de l’hémodialyse. Un marché qui progresse de 5 à 10 % par an, en lien avec le vieillissement de la population, observe M. Lefaucheur. Pour ce faire, Novacarb a développé un grade de bicarbonate avec une granulométrie plus élevée. Les fractions basses recueillies par tamisage partent sur le marché du food ou de l’environnement, la fraction haute est réservée à la pharmacie, en particulier au marché de l’hémodialyse qui affiche des taux de croissance de 10 %. Lorsque l’on est à la fois chimiste multi applications et fournisseurs d’excipients pharmaceutiques, on ne sort qu’un seul produit de ses lignes. En revanche, il doit d’emblée répondre aux exigences des pharmacopées européennes et américaines.
Producteur à 100 % d’excipients pour les cosmétiques et la pharmacie, le groupe français Gattefossé fait finalement figure d’exception au milieu d’acteurs plus diversifiés. Opérant sur un marché en croissance régulière, « nous avons récemment dégoulotté notre outil de production et à la mi-octobre, nous inaugurons un nouveau bâtiment dédié à la R&D et au développement d’applications », explique Olivier Midler. D’un montant de 6 M€, ce bâtiment aura pour vocation de démontrer les performances d’excipients de Gattefossé. Il est implanté sur l’unique site de production de Gattefossé basé à Saint-Priest en Rhône-Alpes. « Nous avions des projets d’extension, surtout en cosmétique avec l’installation de salles blanches et l’introduction de nouvelles technologies de culture cellulaire. Mais ces installations nous serviront également pour mimer le comportement de nos excipients au niveau de cellules intestinales », commente Olivier Midler.
Cette bonne santé des excipients oléochimiques est corroborée par le rapport du cabinet BBC Research. « Sur les 5 prochaines années, l’utilisation d’excipients oléochimiques devrait croître de plus de 10 % par an. La première raison de cette croissance est que les médicaments faiblement solubles sont mieux délivrés avec ce type d’excipients et un très grand nombres de molécules actuellement en développement sont dans ce cas ». Cognis, Croda, Evonik, Gattefossé et Sasol ont de solides lignes d’excipients oléochimiques et ont tout à gagner de développer leur intérêt dans ce type de produits.
L’innovation toujours en marche
En dépit de la très grande diversité d’excipients, les besoins de l’industrie pharmaceutique restent immenses. « Il se peut que le besoin d’innovation double dans les cinq années à venir », évalue le rapport qui cite comme illustration le cas des superdésintégrants. Dans ce domaine, trois molécules se partagent l’essentiel du marché : glycolate d’amidon sodique, croscarmellose sodium et la crospovidone. « Ce nombre peut sembler suffisant. Cependant, tous ces produits posent des problèmes et ne sont pas toujours utilisables dans toutes les formulations. Si, par exemple, un médicament est incompatible avec un sel de sodium – et un certain nombre sont – alors il sera incompatible avec le glycolate d’amidon sodique et le croscarmellose. De nouveaux superdésintégrants seraient les bienvenus », souligne le rapport. Les industriels de la pharmacie ne plébiscitent cependant pas les nouvelles molécules qui nécessiteraient de coûteuses études toxicologiques et pourraient retarder l’enregistrement des médicaments au niveau des agences. Pourtant, en cas d’avancée majeure, « les industriels de la pharmacie ne sont pas totalement fermés à l’utilisation de nouvelles molécules. », estime Sophie Chesnoy, responsable Marketing et Développement chez Roquette. L’un des derniers cas connus d’introduction d’un nouvel excipient remonte aux années 90, selon les consultants de BBC research. Il s’agit du Captisol, une cyclodextrine de la société Cydex qui a été développée pour une nouvelle matière active de Pfizer, particulièrement instable et insoluble. Depuis, Pfizer a gagné des AMM pour Vfend I.V. et Zeldox/Geodon et Cydex a pu se constituer un nouveau portefeuille. Le cas le plus courant reste l’adaptation de produits existants.
La question de la solubilité est en effet l’un des grands défis à relever pour les années à venir. Beaucoup de médicaments du passé étaient relativement solubles ; aujourd’hui, jusqu’à 60 à 70 % des nouvelles entités chimiques découvertes par l’industrie pharmaceutique sont peu solubles, ce qui conduit à une faible biodisponibilité et d’autres problèmes à résoudre. Et c’est justement le défi que Gattefossé entend relever. En effet, les lipides se révèlent particulièrement performants pour la dissolution de nouvelles molécules chimiques peu solubles. Et ce, dans le but d’améliorer leur biodisponibilité. En parallèle, Olivier Midler explique que son groupe travaille sur le développement de nouveaux excipients pour les molécules biotechnologiques (protéines thérapeutiques, anticorps monoclonaux… ), à la fois dans des formes orales et parentérales. « La galénique est très différente de celle des petites molécules, mais c’est un challenge intéressant », ajoute-t-il. Et puis, il y a tous ces blocksbusters qui vont tomber dans le domaine public d’ici à 2020. Pour Aude Plantefève, API et Excipients Product manager chez Safic-Alcan Life Sciences, un défi à relever sera aussi celui de la reformulation, notamment avec des excipients qui permettront d’améliorer encore la solubilité, et donc de réduire la quantité d’actifs et leurs effets secondaires. Sa société a ainsi entamé un partenariat avec une start-up française pour le développement de nouveaux polymères qui amélioreraient très sensiblement la solubilisation de très nombreux actifs.
Outre les problèmes de solubilité, il faudra gérer la prolifération de matières actives complexes, instables, et très actives (high potent). « Environ 20 % des médicaments dans le pipeline de développement sont aujourd’hui hautement actifs, contre 5 % dans les années 1990 », selon BBC Research. Avec certains de ces API très puissants, les industriels de la pharmacie ont la difficile tâche de disperser des quantités très petites de matière active dans un très grand volume d’excipients.
Parallèlement, les fabricants de médicaments réclament des excipients aux fonctionnalités multiples (par exemple, des excipients qui peuvent agir simultanément comme diluant, liant et désintégrant). Ceci se traduit par le développement de compounds contenant deux molécules, voire davantage, constate Sophie Chesnoy. Son groupe, Roquette, a d’ailleurs développé récemment le pearlitol® Flash qui associe mannitol et amidon pour obtenir un excipient à désintégration rapide pour la formulation de comprimés orodispersibles. Face aux autorités réglementaires, ce type d’excipient a l’avantage de ne pas apparaître comme une nouvelle entité chimique. Et pour le formulateur, un mélange d’excipients revient à n’avoir à gérer qu’un seul produit. « Un autre créneau qui commence à apparaître est celui de formes galéniques plus adaptées pour la pédiatrie et la gériatrie », observe Sophie Chesnoy. Elle cite également le développement du marché sénior avec une prise de comprimés journalière au travers de médicaments de confort ou de compléments alimentaires. Ces nouveaux marchés requièrent des textures plus variées et plus agréables pour améliorer l’observance au long cours de ce type de médicament.
Néanmoins sur une échelle de 1 à 10, 10 représentant le niveau maximum d’innovation, le cabinet BBC Research estime que le niveau de créativité des excipients se situe entre 2 et 3. Les fournisseurs d’excipients innovants ont encore de beaux jours devant eux.
Les données sur le marché des excipients sont extraites du rapport BCC Research report – Excipients in Pharmaceuticals – 2011 Edition.
http://www.reportlinker.com/p096646/Excipients-in-Pharmaceuticals.html
Les acteurs français investissent dans de nouvelles capacités et dans l’innovation.