Thomas Dietrich, ce haut fonctionnaire qui s’attaque au ministère de la Santé
Cet ex-secrétaire général de la Conférence nationale de santé (CNS), instance consultative ouverte aux patients, a démissionné vendredi pour dénoncer la «vaste mascarade» que constitue selon lui la «démocratie en santé».
Il ne voyait qu’une seule solution: démissionner. Thomas Dietrich, haut fonctionnaire de 25 ans, a claqué la porte de la Conférence nationale de santé (CNS) vendredi dernier. Après onze mois passés dans cette instance indépendante, cet ancien diplômé de Sciences Po Paris a décidé de dénoncer «les pressions» exercées par le ministère de la Santé sur la CNS et le manque de démocratie dans le domaine de la santé. Lui qui occupait le poste de secrétaire général au sein de cette organisation consultative a adressé vendredi une lettre très lapidaire à son supérieur hiérarchique et accompagné sa missive d’un rapport cinglant contre le ministère de la Santé.
«J’en suis désormais convaincu: la démocratie en santé n’est qu’une vaste mascarade», écrit-il dans cette note de 28 pages, accessible en ligne. Se comparant volontiers au personnage de Don Quichotte, le jeune homme de 25 ans explique comment le ministère de Marisol Touraine n’accorde que peu d’importance à ce que pense le public sur les grands sujets de santé, comme la vaccination ou la fin de vie. «On fait croire que l’on construit une politique de santé en lien avec un certain nombre d’acteurs alors que l’on construit une politique de santé de manière très verticale, sans retour de terrain, un peu en vase clos, dans un ministère coincé dans le 7ème arrondissement de Paris», s’agaçait-il lundi, au micro de France Info. Le tout, «au détriment des citoyens, dont on utilise les deniers».
Des pressions exercées par le ministère de la Santé
Active depuis 2007, la CNS est notamment chargée de formuler des avis pour améliorer le système de santé et donner la parole aux usagers en organisant de grands débats publics. Mais pour Thomas Dietrich, cette instance peinerait à remplir sa mission et ne serait entendue de personne. L’ex-secrétaire général décrit ainsi les «pressions» exercées par sa hiérarchie et par le cabinet de la ministre Marisol Touraine lorsque ses comptes rendus allaient à l’encontre des positions du gouvernement. «Il fut exigé que je fasse relire les avis ou contributions de la CNS par le cabinet de la Ministre, préalablement à leur publication. Ainsi, le cabinet pourra expurger tous les passages qui lui sembleraient trop contestataires», écrit-il dans sa note. «Bien entendu, je refusais». Il assure d’ailleurs avoir transmis des preuves (extraits de mails, de conversation) à l’Inspection générale des affaires sociale (Igas).
Et les critiques ne s’arrêtent pas là. Sans détour, il accuse la ministre d’avoir créé une seconde instance «marionnette» pour «décrédibiliser et concurrencer la CNS»: l’Institut pour la démocratie en Santé, fondée en 2015 et gérée par une des anciennes conseillères de Marisol Touraine. «Il lui fallait s’assurer que la démocratie en santé serait à sa botte», grince-t-il dans Le Parisien , qui a révélé le contenu du rapport. Le débat public sur la vaccination aurait d’ailleurs été confié à cette instance. Illustration, selon lui, de «la volonté de la ministre de cadenasser l’ensemble des moyens d’expression de la démocratie en santé».
Devoir de réserve
Face à ces accusations, le ministère de la Santé lui a adressé un courrier, en date du 19 février, lui rappelant le devoir de réserve auquel il est soumis, pendant ses fonctions et même après. «Je vous demande de bien vouloir cesser toute diffusion de votre document et de m’indiquer quels en étaient les destinataires», exige Pierre Ricordeau, inspecteur général des affaires sociales. Une lettre que Thomas Dietrich s’est empressé de diffuser sur Twitter, accompagné d’un message: «Ne contestant même pas des propos qu’ils savent exacts, le ministère de la Santé m’enjoint de me taire. Peine perdue!».
Inconnu du grand public, Thomas Dietrich a vécu et travaillé dans plusieurs pays africains. Il se présente comme écrivain, auteur de deux ouvrages: le premier sur la Centrafrique, publié en 2014. Le second, sorti en janvier 2016, porte sur une histoire d’amour impossible entre une jeune musulmane et un Chrétien. Il est arrivé à ses fonctions à la CNS en mars 2015. «Il se considérait davantage comme un romancier que comme un haut fonctionnaire», glisse un proche collaborateur. «Il ne se trouvait plus en adéquation avec ses fonctions».
Une volonté de renforcer l’indépendance de la CNS
Via cette démarche, le haut fonctionnaire espère «mettre en lumière la malhonnêteté de l’administration actuelle vis-à-vis de la démocratie en santé», afin que «des mesures correctrices soient prises sans délai», notamment pour renforcer l’indépendance hiérarchique et financière de la CNS. «Ce fut pour moi un déchirement ; la CNS est une instance pour laquelle j’ai profondément aimé travailler et dont je suis intimement persuadé de l’utilité», écrit-il encore dans son rapport. Mais «je pense que rester voulait dire que je cautionnais le système. Quand la situation est problématique à ce point, il faut sortit du système et le dénoncer», confiait-il lundi sur France Info. Il se dit d’ailleurs prêt à se défendre au tribunal, si le ministère décidait de l’attaquer en justice.
Jointe par Le Figaro, sa maison d’édition a signifié que le jeune homme ne souhaitait plus s’exprimer sur le sujet et qu’un communiqué à l’adresse du ministère de la Santé était en préparation. De même, le ministère de la Santé, qui n’a pas communiqué à ce sujet depuis le départ de Thomas Dietrich, n’a pas souhaité faire de commentaire.
(avec AFP)