Médicaments : face à la pénurie, le retour en grâce du made in France
Des industriels réclament des mesures pour redynamiser l’industrie hexagonale des produits de santé afin de regagner en « souveraineté nationale ».
SOURCE AFP
Face aux pénuries d’approvisionnement de certains médicaments et vaccins, qui se sont multipliées en France sous l’effet d’une production fragmentée et mondialisée, des industriels réclament des mesures pour redynamiser l’industrie hexagonale des produits de santé afin de regagner en « souveraineté nationale ». Les ruptures de stock, ponctuelles ou durables, de produits de santé ont été multipliées par 10 entre 2008 et 2014, où des tensions étaient signalées sur 438 médicaments, selon une présentation l’an dernier de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).
Dans 44 % des cas, ces ruptures étaient liées à l’outil de production : retards de fabrication, incidents de production ou capacités insuffisantes, selon l’ANSM. « Ce problème qui se posait de manière exceptionnelle il y a encore quelques années est devenu monnaie courante », a déploré David Simonnet, vice-président fournisseur du pôle de compétitivité pharmaceutique Polepharma et PDG du groupe de chimie fine Axyntis, lors d’un colloque sur le sujet organisé mardi à Paris. En cause, une augmentation de la demande mondiale, avec des pics dans certaines zones géographiques en cas d’alerte sanitaire mais, surtout, une chaîne de production « de plus en plus fragmentée » et mondialisée des principes actifs, les molécules qui confèrent au médicament ses propriétés thérapeutiques, selon David Simonnet.
Éloignement des sites de production
Au début des années 2000, la pression sur les prix et les coûts des médicaments a entraîné une délocalisation massive des étapes de fabrication des principes actifs vers l’Asie, notamment l’Inde et la Chine. En 2013, près de 80 % des principes actifs des médicaments vendus en Europe, essentiellement des génériques, étaient produits hors de l’Union européenne, selon l’Agence européenne du médicament. L’éloignement des sites de production rend difficile leur contrôle par des autorités indépendantes, ce qui augmente les risques de défaut de qualité, de contrefaçons ou d’arrêt unilatéral de fabrication de produits à petits volumes, selon Polepharma.
Même si elles concernent des produits anciens, avec une faible valeur ajoutée, les ruptures de médicaments peuvent aussi avoir de lourdes conséquences pour les patients hospitalisés, estime Alain Astier, pharmacien hospitalier à Créteil. « Dans les hôpitaux, quand on a une rupture sur un produit, on le substitue avec un autre de la même classe pharmaceutique ou on saute une cure, on diminue les doses », selon Alain Astier. « Mais, avec ça, on diminue les chances de survie du patient, car les protocoles ne sont plus respectés et le risque d’erreur augmente », prévient-il.
« Sanctuarisation »
En renforçant les dispositifs de lutte contre les ruptures d’approvisionnement en produits de santé, notamment pour les vaccins, la nouvelle loi de modernisation du système de santé, adoptée en décembre, « devrait permettre de gérer l’urgence », selon David Simonnet. La ministre de la Santé, Marisol Touraine, doit s’entretenir jeudi avec les représentants des industriels pour s’assurer de leurs engagements pour éviter les pénuries de vaccins, notamment en constituant des stocks réservés à la France. Toutefois, pour Philippe Lamoureux, directeur général des Entreprises du médicament (Leem, qui regroupe les entreprises du médicament en France), il faudrait commencer par harmoniser les politiques vaccinales dans l’Union européenne, où il y a actuellement « 23 calendriers vaccinaux différents ».
Les industriels mettent plutôt la hausse des pénuries en lien avec le déclin de la production pharmaceutique en France, dont les effectifs ont reculé de 0,3 % l’an dernier pour la première fois, selon le dernier bilan annuel du Leem. Pour Sébastien Aguettant, fondateur et patron du sous-traitant pharmaceutique français Delpharm, son secteur est coincé entre des exigences réglementaires toujours plus élevées et des prix de vente de plus en plus bas. Il rêve d’une « sanctuarisation » du prix du produit mature fabriqué en France ou en Europe pour « protéger la colonne vertébrale de la production ». D’autres industriels plaident depuis des années pour la création d’un label faisant valoir l’origine française ou européenne de leurs médicaments. Cependant, l’État donne la priorité à l’innovation, notamment dans les biotechnologies. Mme Touraine a ainsi annoncé samedi le renforcement d’un futur fonds public de soutien à l’innovation en santé, qui va passer de 100 à 340 millions d’euros.