Levothyrox: « L’Agence du médicament est pleinement responsable »

La nouvelle formule du Levothyrox a entraîné des effets secondaire à des milliers de malades.

La nouvelle formule du Levothyrox a entraîné des effets secondaire à des milliers de malades.

PHOTOPQR/LE PARISIEN/MAXPPP

Gérard Bapt, médecin et ex-membre du conseil d’administration de l’Agence nationale du médicament, met en garde contre une « crise sanitaire et de confiance » dans l’affaire du Levothyrox.

Des milliers de patients dénoncent les effets secondaires liés à la nouvelle formule du Levothyrox, destiné à traiter des pathologies thyroïdiennes et prescrit à 3 millions de personnes en France. Une pétition signée par plus de 170 000 mécontents, patients ou proches, a été mise en circulation. Face à la polémique, l’Agence du médicament (ANSM) a ouvert un numéro vert (0800 97 16 53) pour « répondre aux inquiétudes ».

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 Gérard Bapt, médecin et ancien député PS, spécialiste des questions de santé et ex-membre du conseil d’administration de l’ANSM, a écrit à la ministre de Santé, qui rencontre ce mercredi les associations de patients. Il lui demande de « permettre la prescription d’autres formules de lévothyroxine (…) sous peine d’installer une véritable crise sanitaire et de confiance ». Interviewé par L’Express, il dénonce la « légèreté » de l’ANSM dans la gestion de cette affaire.

En tant que médecin, aviez-vous eu vent de problèmes avec le Lévothyrox?

J’ai entendu parler de ses effets secondaires quand la pétition de patients a commencé à circuler sur Internet, cet été. Ma femme et ma secrétaire prennent du Levothyrox et elles aussi souffraient des effets secondaires. Ma secrétaire m’a expliqué qu’elle avait arrêté de prendre son traitement, car elle ne supportait plus la fatigue et les problèmes intestinaux. En vacances en Espagne, elle a finalement réussi à acheter du Levothyrox ancienne formule.

Les patients sont-ils nombreux à s’en procurer à l’étranger?

Oui. Beaucoup des malades que connaît ma secrétaire lui ont demandé de leur en rapporter. Au départ, il était prévu que le laboratoire pharmaceutique Merck vende sa nouvelle formule dans toute l’Europe, en commençant par la France. A l’heure actuelle, il ne la commercialise que chez nous. Du coup, les malades sont de plus en plus nombreux à aller acheter du Levothyrox ancienne formule dans les pays frontaliers, Belgique, Allemagne, Espagne, Italie.

Pourquoi d’abord la France?

Je pense qu’il s’agit d’un calcul cynique du laboratoire, qui s’est dit que, puisqu’il n’y existe pas de concurrent à son produit, le marché français était captif. Et que s’il y avait un problème, les patients n’auraient de toute manière pas d’alternative.

Pourquoi avoir changé de formule? Est-ce courant?

Avec les médicaments génériques, cela peut arriver, et certains de ces produits ne sont pas bien supportés par les patients. Mais il est plus rare que ce soit l’ANSM elle-même qui demande à un laboratoire pharmaceutique de modifier sa formule.

Dans le cas du Levothyrox, il semble que l’ancienne formule le rendait moins efficace à l’approche de sa date de péremption. Le changement de formule ne concerne pas le principe actif mais les excipients qui lui sont associées. Le lactose a ainsi été remplacé par le mannitol [L’ANSM avait noté des intolérances au lactose, ndlr].

Est-il normal que les patients n’aient pas été tenus au courant?

L’ANSM affirme qu’elle a envoyé des courriers aux pharmaciens et aux médecins pour les prévenir dès le mois de mars. Mais ces professionnels reçoivent tellement de courriers tous les jours! Ce qui est sûr, c’est que l’information n’est pas arrivée jusqu’aux patients, qui sont tombés de haut.

Quel rôle ont joué Merck et l’ANSM?

La notice rédigée par Merck pour accompagner la nouvelle formule de son médicament est particulièrement pauvre. Elle ne mentionne que très peu d’effets secondaires potentiels.

L’ANSM a agi très légèrement et sa responsabilité est entière. En France, il y a eu deux tentatives de commercialisation de génériques du Levothyrox par deux autres laboratoires, qui se sont à chaque fois conclus par des échecs, du fait des effets indésirables qu’ils entraînaient. L’agence n’a pas tenu compte de ces précédents et s’est lancée dans la commercialisation de cette nouvelle formule sans filet de sécurité.

L’une des questions que soulève cette affaire est le monopole du laboratoire Merck sur le Levothyrox en France. Il n’y existe pas de médicaments concurrents en cachets, ni de génériques. En Allemagne, il en existe une dizaine. Que l’on demande de changer une formule est une chose. Qu’il n’y ait pas de substitut au Levothyrox est inacceptable.

La France risque-t-elle d’être confrontée à une crise plus importante?

Oui, si d’autres formules de lévothyroxine que celle de Merck ne sont pas commercialisées, on risque une véritable crise sanitaire et de confiance. C’est ce que j’ai dit à la ministre de la Santé. Je m’attends à ce qu’il y ait encore des milliers de cas de patients se plaignant d’effets secondaires. Les centres de pharmacovigilance croulent déjà sous les déclarations de malades.

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Il y a une sorte de fatalité française des crises sanitaires depuis l’affaire du Mediator. Peut-être les politiques devaient-ils penser à régler le problème… Des patients souffrent. Certains arrêtent purement et simplement de prendre leur médicament, alors qu’il y a de vrais risques pour leur santé. Ils demandent simplement que d’autres solutions thérapeutiques leur soient proposées.

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