Levothyrox : retour sur l’origine du changement d’excipients et sur l’enquête de pharmacovigilance de 2012
La Commission nationale de pharmacovigilance de l’AFSSAPS (ancienne ANSM) s’était penchée en mars 2012 sur les risques liés à la substitution entre deux spécialités à base de lévothyroxine.
À cette époque, Merck n’était pas seul à proposer cette spécialité et deux laboratoires (Biogaran et Ratiopharm/Teva) en commercialisaient des génériques. Une enquête de pharmacovigilance avait été ouverte le 20 septembre 2010, « à la suite de l’observation d’un nombre significatif de notifications de perturbation de l’équilibre thyroïdien après une substitution du princeps par une spécialité générique ».
Des dysthyroïdies peu fréquentes
Concernant la lévothyroxine de Biogaran, « sur la période du 06/11/2009 au 30/06/2011, les manifestations compatibles avec un déséquilibre de la pathologie thyroïdienne, principalement une hypothyroïdie, représentent 80 % des déclarations et 86 cas ont été validés. Le taux de notification global sur cette période d’enquête est estimé à 1,3 pour 100 000 mois-traitement. »
Sur la même période, pour le Lévothyrox de Merck, « les manifestations compatibles avec un déséquilibre de la pathologie thyroïdienne représentent 64 % des déclarations et 18 cas ont été validés, principalement des hypothyroïdies. L’évolution dans le temps des taux de notification montre l’existence très faible mais permanente de ce type de déclaration. Le taux de notification sur cette période est estimé à 0,08 pour 100 000 mois-traitement. »
La commission souligne que « les résultats d’analyse de certains lots montrent une différence de teneur en lévothyroxine entre génériques et princeps pour des produits conformes aux spécifications », et « pour une même spécialité, il (peut) également exister une différence significative de teneur en lévothyroxine entre les lots à libération et les lots en fin de durée de vie. Ces différences pourraient expliquer la survenue de certains cas de déséquilibre thyroïdien lors des substitutions ».
La commission conclut alors qu’il « a été considéré comme essentiel que les spécifications de teneur soient resserrées et harmonisées entre princeps et génériques à 95,0 – 105,0 % de la teneur théorique pendant toute la durée de commercialisation des produits à base de lévothyroxine ».
Sollicité par « le Quotidien », le Dr Stéphane Mouly, vice-président de la Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT), professeur de thérapeutique à l’université Paris-Diderot, commente : « Ce rapport est la confirmation que le passage du princeps au générique a posé problème. Il y a eu un pic de signaux en 2010, lié à un manque d’anticipation. Les signalements ont commencé à baisser au premier semestre 2011. L’analyse pharmacologique de ces signalements a confirmé que l’index thérapeutique de la lévothyroxine était très étroit. » Ce qui a conduit à être plus restrictif sur les spécifications.
Risque de déséquilibre transitoire
Selon le Dr Mouly, lors du passage à la nouvelle formule en mars 2017, « le malade qui avait trouvé son équilibre avec une formulation instable connaît donc un risque de déséquilibre transitoire, au moment de la substitution (vers la nouvelle formule de Lévothyrox, N.D.L.R.) ».
Le Dr Françoise Borson-Chazot, endocrinologue au CHU de Lyon partage cet avis. « Avec la nouvelle formule, il y a 30 % de patients qui présentent une modification de leurs dosages, mais les symptômes sont très peu spécifiques, on les retrouve aussi bien pour l’hypo que pour l’hyperthyroïdie, ce qui est intrigant. Mais l’équilibre va finir par se faire et les patients qui le souhaitent se reporteront sur les autres spécialités. »
Le rapport de pharmacovigilance rendu public en début de semaine peut-il conclure sur l’intérêt de la nouvelle formule par rapport à l’ancienne ? « Il s’agit d’une limite de l’enquête de pharmacovigilance : ce n’est pas une enquête longitudinale mais transversale, sur une période de temps défini. Elle ne permet pas d’établir l’inférence causale. Et il n’y a par exemple pas d’informations sur le nombre de dosages nécessaires pour parvenir à l’équilibre avec la nouvelle formule (alors qu’il en fallait souvent plusieurs avec l’ancienne formule, N.D.L.R.). Certains peuvent proposer l’interprétation qu’il n’y a pas de bioéquivalence entre l’ancienne et la nouvelle formule, mais l’étude de bioéquivalence (menée par Merck à la demande de l’ANSM) avait prouvé le contraire. »