Paris, le jeudi 2 novembre 2017 – L’heure n’est peut-être pas encore totalement au bilan, car si « l’incendie est fixé, il n’est pas éteint » pour reprendre la formule du professeur de pharmacologie Jean-François Bergmann, auditionné sur « l’affaire » Levothyrox par l’Assemblée nationale. Néanmoins, la crise semblant s’être apaisée à la faveur notamment du retour de l’ancienne formule du médicament, importée d’Allemagne, quelques premiers enseignements paraissent pouvoir être tirés.
Quel statut juridique pour les spécialités à base de lévothyroxine, autre que le Levothyrox ?
C’est l’objet de la mission flash conduite par le député (LR) Jean-Pierre Door qui a présenté ses conclusions ce mardi 31 octobre. D’abord, un diagnostic assez clair : la crise est médiatique et non sanitaire. En effet, pour Jean-Pierre Door, sur la base des différentes auditions de spécialistes des pathologies thyroïdiennes et de pharmacologues, la nouvelle formule du médicament ne présente pas de risque pour les patients. Elle est même « meilleure, car elle est plus stable et d’un dosage plus précis, pendant toute la durée de validité du produit ». Rien de plus à signaler en ce qui concerne la qualité des substances utilisées pour sa fabrication : le médicament est en effet « produit en Allemagne à partir d’ingrédients européens. En aucun cas la qualité du produit n’a été mise en cause », relève Jean-Pierre Door. Les effets secondaires ne sont donc très probablement que la conséquence du changement de traitement chez des patients à l’équilibre particulièrement fragile, comme l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) l’a d’ailleurs confirmé. S’il ne faut donc pas suspecter de scandale sanitaire dans l’affaire Levothyrox, plusieurs critiques peuvent néanmoins être émises concernant la gestion de la « crise ». Au-delà des différentes remontrances déjà formulées, Jean-Pierre Door signale un élément plus rarement abordé concernant le statut des autres spécialités à base de lévothyroxine. Il observe ainsi que les décisions ayant conduit à leur arrivée (ou retour) sur le marché « posent (…) un problème juridique, car seul le « Levothyrox nouvelle formule » dispose actuellement d’une autorisation de mise sur le marché en France ».
Explosion des prescriptions de Levothyrox
Outre cette appréciation de la crise, Jean-Pierre Door estime que celle-ci doit inviter à interroger différents phénomènes pas nécessairement spécifiques à la France, mais qui semblent y être plus marqués. Le député relève ainsi tout d’abord que « Depuis 1990, le nombre de boîtes de Levothyrox vendues en France a explosé : de 5 millions de boîtes, on est passé à 30 millions en 2016, trois millions de patients suivent ce traitement chronique, dont 85 % de femmes ». Une meilleure prise en charge des désordres thyroïdiens (avec pour objectif l’obtention d’une TSH « normale ») et la progression de l’âge et de l’obésité peuvent en partie expliquer cette augmentation. Cependant, l’existence d’une tendance à la surprescription peut être suspectée. Jean-Pierre Door cite ainsi les observations de spécialistes de l’Académie nationale de médecine ciblant le grand « nombre d’opérations du goitre asymptomatique, conduisant à l’ablation de la glande thyroïde », des opérations qui pour la plupart pourraient être évitées. S’y ajoutent les taux anormaux de TSH asymptomatiques traités chez les plus de 60 ans « alors qu’aucune bénéfice n’est médicalement attendu ». Cette question de la sur prescription de lévothyroxine avait déjà été soulevée par différents observateurs dans la presse et sur les blogs.
Des malades trop souvent livrés à eux-mêmes ?
Parallèlement à cette question, la crise suggère la nécessité d’un renforcement du suivi des patients traités par lévothyroxine. Le défaut de transmission de l’information du changement de formule est en effet en partie liée au fait que les malades recevant ce traitement ne consultent que ponctuellement leur médecin, voire rarement. Souvent, ils n’ont par ailleurs qu’une connaissance parcellaire de la raison de leur prise en charge par lévothyroxine, ce qui une nouvelle fois a pu accentuer le sentiment de défiance que l’on a constaté. « L’accompagnement des malades doit être amélioré. Sur ce type de pathologie chronique, il importe que le patient connaisse le bon usage du médicament et du traitement. L’éducation thérapeutique doit être encouragée », insiste Jean-Pierre Door.
Le paternalisme encore une fois en cause ?
Enfin, rejoignant une fois encore d’autres observateurs, le député juge que l’affaire doit inciter à revoir les modes de communication entre laboratoires pharmaceutiques et patients. Sans revenir sur l’interdiction pour les premiers de faire de la publicité à destination du grand public pour ses médicaments sous prescription, il relève plusieurs failles qui auraient pu être corrigées. Il déplore ainsi que l’étude de bioéquivalence n’ait pas été publiée dès le changement de formule, plutôt que « sous la pression de la crise. Je rappelle qu’il s’agit d’un document administratif : il est librement communicable par l’ANSM, sous réserve des mentions relevant du secret d’affaire » insiste Jean-Pierre Door. Ce dernier observe par ailleurs d’un œil favorable l’idée d’introduire des notices spécifiques dans les boîtes lors d’un changement de ce type. Il insiste encore sur le rôle que pourrait jouer la CNAM dans la transmission de certaines informations aux patients atteints de maladie chronique. Mais au-delà, un changement philosophique paraît nécessaire pour éviter que les messages des autorités, laboratoires et médecins vers les associations de patients et les malades ne soient perçus comme empreints d’un certain mépris. « Les associations de patients se sont plaintes d’un manque d’écoute de la part des médecins et des institutionnels et ont dénoncé un certain paternalisme dans leur façon de réagir à leurs observations » relaye sur ce sujet Jean-Pierre Door. La mission sur l’information des patients conduite par Gérald Kierzek a pour objectif d’améliorer cette situation.
Le rapport de Jean-Pierre Door
Aurélie Haroche