Nous devons entrer dans une nouvelle ère de la lutte contre les perturbateurs endocriniens
Auteurs : André Cicolella (Réseau Environnement Santé), Nicolas Namur (Ligue des Droits de l’Homme), Sophie Pelletier (Priartem)
Contact rédaction : Nicolas Namur (LDH) nicolas.namur@gmail.com / + 33 6 50 37 40 25
Publication demandée le 24 avril 2024, à l’occasion de la Journée européenne des Hormones initiée par l’European Society of Endocrinology.
Chapô :
À l’occasion de la troisième Journée européenne des hormones, les signataires de cette tribune, membres d’un collectif d’organisations de la société civile engagées dans les enjeux de santé environnementale, appellent à intensifier la lutte et les mesures de prévention contre les perturbateurs endocriniens car les maladies induites augmentent, dont certains cancers.
Trente et une ! Selon les résultats de l’étude PEPS’PE publiés par Santé Publique France fin décembre 2023, les perturbateurs endocriniens (ces substances chimiques susceptibles d’induire des effets délétères sur un organisme et/ou ses descendants), seraient impliqués dans pas moins de 31 maladies chroniques graves, telles que l’asthme, le diabète, l’obésité, certains cancers, et avec des conséquences néfastes sur la santé reproductive et le développement de l’enfant.
Nous y sommes pourtant quotidiennement exposés, au travers des plastiques, emballages alimentaires, pesticides, cosmétiques, solvants, parfums, retardateurs de flamme, etc., via certains métaux lourds (plomb, cadmium…), en plus des ondes électromagnétiques. Beaucoup de polluants omniprésents dans nos milieux de vie sont des perturbateurs endocriniens avérés ou suspectés.
À l’occasion de la troisième Journée européenne des hormones, initiée par la Société européenne d’endocrinologie, mercredi 24 avril 2024, les organisations du Collectif interassociatif pour la santé environnementale (CISE), demandent à la France et à l’Europe de s’engager avec détermination à réduire l’exposition des populations à ces substances dangereuses qui mettent à mal notre droit fondamental à vivre dans un environnement sain ; et à repenser l’approche de la prévention.
La France, premier pays au monde pour l’incidence du cancer du sein
Les perturbateurs endocriniens sont à l’origine du développement fulgurant des maladies chroniques hormono-dépendantes – dans lesquelles les hormones participent au développement des cellules cancéreuses.
Ainsi, en France, le nombre de cancers a doublé en trente ans en raison, notamment, de l’augmentation des cancers hormono-dépendants (cancers de la prostate et du sein). Les données pour l’année 2022 du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), ainsi que ses projections jusqu’en 2050, montrent que la France reste l’un des pays les plus frappés au monde par le cancer, avec 484 000 cas et 191 000 décès, en 2022, et 595 000 cas et 261 000 décès attendus en 2050.
Notre pays est aussi devenu le premier au monde pour l’incidence (nombre de nouveaux cas diagnostiqués chaque année) du cancer du sein Si les facteurs comportementaux sont souvent incriminés (le tabagisme notamment), la dimension environnementale de ce cancer reste dans l’ombre. Elle est pourtant établie par de nombreuses données scientifiques : une récente publication (1) identifie ainsi 920 substances chimiques impliquées dans son développement.
Nous devons également réagir à l’augmentation des cas de diabète et d’obésité, des troubles du développement neurologique, de l’apparition d’hypersensibilités multiples, chimiques et électromagnétiques, mais aussi à la progression inquiétante du nombre de cancers pédiatriques (leucémies, tumeurs du système nerveux central, lymphomes), première cause de mort par maladie chez l’enfant en Europe.
Par ailleurs, la menace que les perturbateurs endocriniens font peser sur la fertilité doit devenir une préoccupation majeure : la baisse de plus de 50 % de la concentration spermatique chez les hommes dans les pays industrialisés depuis 1973 alerte quant à l’état de santé de notre système hormonal.
En Europe, une régression législative dangereuse
Les dangers de nombreux pesticides, en particulier leur impact sur le système endocrinien, ont été mis en lumière dès 2013 par une revue de la littérature scientifique de l’Inserm. Ces résultats ont été confirmés, et étendus de manière inquiétante, à l’occasion d’une actualisation réalisée en 2021. Des liens avec d’autres pathologies ou événements de santé ont ainsi été identifiés, comme la maladie d’Alzheimer, les troubles anxio-dépressifs, certains cancers (leucémies, système nerveux central, vessie, rein, sarcomes des tissus mous) ou encore des pathologies thyroïdiennes.
Malgré ces constats alarmants, les politiques nationale et européenne actuelles sont marquées par la suspension du Plan Écophyto (qui visait à réduire le recours aux pesticides), la réautorisation de mise sur le marché du glyphosate, le rejet du règlement européen SUR, prévoyant de diviser par deux l’emploi de pesticides en Europe d’ici à 2030, et l’abandon, par la Commission européenne, de la révision du règlement REACH (qui ambitionnait la suppression de milliers de substances dangereuses des produits de grande consommation) dans son programme de travail 2024.
Si nous saluons le premier pas engagé dans la lutte contre les PFAS, polluants éternels, nous regrettons que la proposition de loi votée par les députés ait été affaiblie par l’exclusion des ustensiles de cuisine du périmètre d’application : retarder la substitution de composés préoccupants pour préserver des emplois (alors que les salariés du secteur sont les premiers exposés…) est un argument trop répandu, qui a une nouvelle fois été entendu.
Interdire, prévenir, informer : réduire les facteurs de risque est à notre portée
Pourtant, réduire ou éliminer les facteurs de risque liés aux perturbateurs endocriniens est à notre portée. À l’occasion de la troisième Journée européenne des hormones, nous appelons à tirer tous les enseignements des deux premières Stratégies nationales sur les perturbateurs endocriniens lors du bilan qui en sera dressé à Paris, le 12 juin.
L’évaluation de la deuxième Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE) ne doit pas être une simple formalité : elle se doit d’acter le départ d’une troisième SNPE dotée cette fois d’indicateurs précis de moyens et de résultats, et surtout de moyens humains et financiers dédiés permettant, entre autres, le lancement d’une grande campagne de sensibilisation de la population sur les dangers des perturbateurs endocriniens, afin qu’elle puisse s’en protéger par des gestes simples et une consommation réfléchie.
Par ailleurs, des actions de prévention primaire pourraient stopper la progression alarmante des maladies citées, insoutenables tant sur les plans humain, social que financier. Concrètement, mieux protéger le fœtus, et plus largement la période des 1 000 premiers jours de la vie – particulièrement sensible aux agressions environnementales – des expositions aux substances chimiques, tout en accordant une attention particulière à l’environnement des jeunes femmes et des femmes enceintes, pourrait réduire rapidement l’incidence des maladies chroniques.
Sans de tels instruments, il ne sera pas possible de s’attaquer efficacement aux causes des 31 maladies identifiées par Santé Publique France, dans lesquelles ces substances jouent un rôle.
(1) Jennifer E. Kay , Julia Green Brody, Megan Schwarzman and Ruthann A. Rudel, Application of the Key Characteristics Framework to Identify Potential Breast Carcinogens Using Publicly Available in Vivo, in Vitro, and in Silico Data Environmental Health Perspectives, 10 janvier 2024, vol. 132, Issue 1, CID: 017002.
SIGNATAIRES
- Muriel Auprince, cofondatrice du Coll’Air Pur Santé
- Gérard Bapt et Chantal Lhoir, porte-parole de l’Association française des malades de la thyroïde
- Patrick Baudouin, président de la Ligue des droits de l’homme
- Michel Besnard, président du Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest
- René Cadot, président de l’association Action Santé Solidarité
- André Cicolella, président du Réseau Environnement Santé
- Dr Alain Collomb, membre du bureau de l’Association santé environnement France et président de Santé environnement Provence
- Dr Nathalie Delphin, Présidente nationale du Syndicat des femmes chirurgiens-dentistes
- Dr Mallory Guyon, co-fondatrice du Coll’Air Pur Santé et porte-parole du Collectif Environnement Santé 74
- Christian Khalifa, président d’Indecosa-CGT
- Philippe Ladougne, fondateur de l’association Warrior Enguerrand
- Tania Pacheff, porte-parole de l’association Cantine sans plastique France
- Sophie Pelletier, présidente de Pour rassembler, informer et agir sur les risques liés aux technologies électromagnétiques (Priartem)/Électrosensibles de France
- Dr Philippe Richard, président de l’Association pour la protection de la santé des habitants de Saint-Omer
- Virginie Rio, Collectif BAMP !
- Sylvie Hermans, porte-parole du Collectif Santé sans onde
- Laurent Lalo, fondateur du Collectif Regards
- Julien Léonard, président du Conseil national des associations familiales laïques
- Dr Emmanuel Loeb, président de Jeunes Médecins
- Véronique Moreira, présidente de WECF France
- Catherine Neyrand, présidente de l’association POEM26
- Pascale Poupin, présidente de l’association SOS MCS
- Claire Royer de la Bastie & Karine Pontroué, porte-parole du Collectif Je suis infirmière puéricultrice
- Marie-Odile Soyer-Gobillard, présidente de l’association Halte aux hormones artificielles pour les grossesses
- Dr Pierre Souvet, président de l’Association santé environnement France
- Marie Thibaud, fondatrice du Collectif Stop aux cancers de nos enfants
- Mathé Toullier, présidente de l’Association des familles victimes du saturnisme
- François Veillerette, porte-parole de l’association Générations futures