Cancer thyroïdien

Une désescalade thérapeutique

Lucie Allard, Laurence Leenhardt, Camille Buffet

 Affiliations et déclarations d’intérêt

  • La Revue du Praticien Médecine Générale
  • Publié le 12 Décembre 2022
  • 36(1072);495-500

Fil d’Ariane

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  3. Cancer thyroïdien

Ces dernières années, le nombre de nouveaux cas de cancer de la thyroïde a augmenté drastiquement. La tendance est néanmoins à l’allègement du dépistage (en ciblant uniquement les patients à risque) et du suivi pour cette pathologie qui, dans la majorité des cas, est de très bon pronostic.

L’incidence des cancers thyroïdiens augmente depuis plusieurs décennies et se situe actuellement au cinquième rang des cancers chez la femme. Cette augmentation s’est faite essentiellement aux dépens des cancers de souche vésiculaire, en particulier de type papillaire de petite taille. Les autres types histologiques ont une incidence stable. La mortalité, quant à elle, reste faible (2 % à cinq ans),1 suggérant que l’augmentation des cas puisse être liée à la découverte fortuite de petits cancers de bon pronostic par des examens d’imagerie de plus en plus nombreux et performants et par l’analyse de pièces opératoires de thyroïdectomie réalisées pour d’autres raisons. Cela concourt au dépistage de cancers thyroïdiens à faible, voire très faible, risque évolutif. La tendance actuelle est donc à la désescalade thérapeutique, afin de ne pas entraîner une morbidité non justifiée, compte tenu de l’excellent pronostic de la majorité de ces cancers. L’objectif du clinicien doit être de dépister les cancers thyroïdiens seulement chez les patients à risque ou chez ceux dont le cancer est à risque de décès (stade pTNM avancé). Le traitement et le suivi de ces cancers sont désormais adaptés au risque de récidive.

Folliculaires ou parafolliculaires : deux souches histologiques

Les nodules thyroïdiens sont fréquents, en particulier chez la femme, et leur prévalence augmente avec l’âge.1 Néanmoins, le cancer thyroïdien représente seulement 5 % des nodules thyroïdiens, avec des carac­téristiques histologiques diverses.

Souche folliculaire majoritaire

La plupart des cancers thyroïdiens sont de souche folliculaire – développés à partir des thyréocytes (cellules épithéliales thyroïdiennes) – et bien différenciés. On en distingue deux types : les carcinomes papillaires, majoritaires (80 %), et les carcinomes vésiculaires (2-5 %).
Les autres types histologiques, plus rares, comprennent les cancers à cellules de Hürthle (2-3 %), les cancers de souche vésiculaire peu différenciés (5 %) et anaplasiques ou indifférenciés (1 %).2
Il faut noter que, depuis la dernière classification de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2017, le NIFT-P (non-invasive follicular thyroid neoplasm with papillary-like nuclear features), anciennement identifié comme un carcinome papillaire de variant vésiculaire, totalement encapsulé, sans angio-invasion, n’est plus considéré comme un cancer. Son diagnostic répond désormais à des critères histologiques stricts, en particulier l’analyse complète de la capsule du nodule ; sa prise en charge par lobo-isthmectomie est suffisante.

Carcinomes de souche parafolliculaire : rares

Les cancers de la thyroïde peuvent aussi se développer à partir des cellules parafolliculaires, ou cellules C ; il s’agit des carcinomes médullaires de la thyroïde (CMT), qui sont rares (5-10 %). Ils peuvent être sporadiques (75 %) ou familiaux (CMT familial ou néoplasie endocrinienne multiple de type 2 [NEM2] par mutation germinale du gène RET). Le dosage de la calcitonine permet leur diagnostic et leur suivi. Les cellules C ne sont ni sensibles à l’iode ni régulées par l’hormone thyroïdienne (TSH). Le traitement repose avant tout sur la chirurgie suivie d’un traitement hormonal substitutif.
Seuls les cancers différenciés de la thyroïde de souche folliculaire, les plus fréquents, sont abordés dans la suite de cet article.

Lire aussi |Goitre, nodules thyroïdiens et cancers thyroïdiens

Poser le diagnostic et l’indication chirurgicale

Un cancer thyroïdien prend la forme d’un nodule. L’aspect échographique et la taille du nodule orientent vers l’indication de la cytoponction. L’analyse cytologique – qui repose sur la classification de Bethesda de 2017 – est l’examen le plus performant pour affirmer la malignité. Dans environ 30 % des cas, elle est mise en défaut avec un résultat dit « douteux » correspondant aux terminologies suivantes : atypies de signification indéterminée (classe III), néoplasme folliculaire (classe IV), suspect de malignité (classe V). Ces résultats doivent faire l’objet d’une prise en charge par le spécialiste, avant de poser une éventuelle indication chirurgicale.
Un dosage de la calcitonine et une échographie cervicale à la recherche d’adénopathies suspectes doivent être réalisés avant toute intervention chirurgicale pour un nodule suspect de cancer ; ils guident l’étendue du geste chirurgical.
Le dosage de la thyroglobuline ultrasensible (Tg us) n’est pas justifié pour poser le diagnostic de cancer thyroïdien de souche vésiculaire et n’a pas d’intérêt en préopératoire. En effet, la thyroglobuline est synthétisée aussi bien par les cellules vésiculaires thyroïdiennes normales que par les cellules tumorales.

Prise en charge : avant tout chirurgicale

La chirurgie demeure le traitement de première intention. Ce qui permet, par la suite, l’analyse anatomopathologique de la pièce opératoire et la décision d’une éventuelle irathérapie en complément.

Modalités du geste chirurgical

La prise en charge des cancers de la thyroïde repose avant tout sur la chirurgie dont l’étendue est guidée par les données échographiques (nodule controlatéral, ganglions suspects) et cliniques. Si la situation le permet, la lobectomie est préférée à la thyroïdectomie totale, en particulier pour les nodules uniques de moins de 2 cm.
Le curage ganglionnaire central et/ou latéral est recommandé en cas d’adénopathie avérée dans le secteur correspondant (curage thérapeutique). Le curage prophylactique central ou latéral, en l’absence d’adénopathie découverte en préopératoire, ne fait pas consensus.3
Préalablement à l’acte chirurgical, le patient doit être prévenu du risque de dysphonie (par lésion du nerf récurrent ou du nerf laryngé supérieur) et d’hypo­parathyroïdie (complication constatée essentiellement après thyroïdectomie totale). Ces complications sont le plus souvent transitoires (10-15 %) mais peuvent être permanentes (moins de 5 % des cas si le chirurgien est expérimenté).

Quelle analyse de la pièce opératoire ?

La pièce opératoire est analysée en anatomopathologie pour classification pTNM (tableau 1). Cette classification est corrélée à la survie du patient.
Le stade pTNM permet de classer le cancer selon son risque de récidive (tableau 2). On distingue trois niveaux :
– risque de récidive très faible ou faible (70 % des patients, 0-10 % de risque de récidive) ;
– intermédiaire (10 % des patients, 30 % de risque de récidive) ;
– élevé (30 % des patients, 60 % de risque de récidive).3

Irathérapie complémentaire : selon le risque de récidive

La décision de totalisation isotopique par iode radio­actif (I131, irathérapie) est validée en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) selon le risque de récidive (figure).
En cas de lobectomie et d’indication à une ablation isotopique, une totalisation chirurgicale est nécessaire avant irathérapie.
L’irathérapie est administrée pendant une hospitalisation de quarante-huit heures en service de médecine nucléaire, dans une chambre protégée.
 

Trois objectifs

Le traitement complémentaire par iode 131 a trois ­intérêts :
– l’ablation de reliquats de tissu thyroïdien sain pour négativer le taux de Tg us, facilitant ainsi ladétection d’une éventuelle récidive cancéreuse en cas de réascension de la Tg us au cours du suivi ;
– la classification de la maladie initiale est possible grâce à la réalisation d’une scintigraphie corps entier quelques jours après l’administration de la gélule d’iode 131 ; elle précise l’existence d’une éventuelle extension locorégionale et/ou à distance ;
– une diminution théorique du risque de récidive (en détruisant une maladie tumorale résiduelle suspectée ou prouvée), voire une amélioration de la survie, avec l’administration d’une forte activité d’iode 131 (au moins 100 millicuries [mCi], soit 3 700 gigabecquerels [GBq]). Ceci n’est prouvé que pour les patients atteints de cancers thyroïdiens à haut risque évolutif ou à risque évolutif intermédiaire, avec des données controversées sur l’amélioration de leur survie.3
 

Ablative, adjuvante ou thérapeutique : selon la situation

L’irathérapie à visée ablative correspond à l’administration de faibles activités d’iode 131 (30 mCi, 1 100 GBq), après préparation par TSH recombinante, chez les patients à faible risque évolutif.4
L’irathérapie à visée adjuvante correspond à l’administration d’activités classiques d’iode 131 (100 mCi, 3 700 GBq), après préparation par TSH recombinante, chez des patients à risque évolutif intermédiaire pour lesquels une maladie résiduelle tumorale est suspectée mais non prouvée.
L’irathérapie à visée thérapeutique, enfin, correspond à l’administration de fortes activités d’iode 131 (classiquement 100 mCi, 3 700 GBq en France, voire 150-200 mCi dans d’autres pays), après sevrage de lévothyroxine (4 semaines), chez des patients ayant une maladie métastatique prouvée (figure, tableau 3).

Modalités du suivi systématique

Tout patient opéré pour un cancer de la thyroïde – qu’il ait reçu de l’iode 131 ou non – doit bénéficier d’une réévaluation à 6-12 mois par une palpation cervicale3 ; des dosages de la Tg us, des anticorps anti­thyroglobuline (anti-Tg) et de la TSH (sous lévothyroxine ou sous TSH recombinante) ; d’une échographie cervicale réalisée dans un service spécialisé. Les dosages de Tg us après stimulation par TSH recombinante permettant de sensibiliser ce dosage ont perdu leur intérêt depuis l’apparition des dosages ultrasensibles de la thyroglobuline. L’indication du dosage de la Tg us sous TSH recombinante doit être posée par le spécialiste.

Après thyroïdectomie totale et irathérapie : restratifier le risque de récidive

Le bilan à six-douze mois permet de classer les patients en différentes catégories :
– excellente réponse ou rémission (Tg us inférieure ou égale à 0,1 µg/L sous lévothyroxine ou inférieure à 1 µg/L sous stimulation par TSH recombinante, et échographie cervicale normale) ;
– persistance morphologique prouvée (adénopathies cervicales, métastases) ;
– persistance biochimique (persistance de faibles concentrations de Tg us isolée) ;
– réponse indéterminée (images échographiques douteuses).
Le suivi ultérieur dépend du risque initial et des résultats de ce bilan. En effet, lorsque ce bilan est normal, le risque de récidive diminue fortement. C’est le concept de restratification du risque de récidive.
 

Après 6-12 mois, quels examens clinique et biologique ?

Chez les patients en rémission à 6-12 mois, le suivi ­repose essentiellement sur la palpation cervicale et les dosages de la Tg us, des anti-Tg et de la TSH tous les douze mois initialement.3
 

Après 6-12 mois, place de l’échographie cervicale

L’échographie cervicale n’est pas indiquée de façon systématique mais selon le risque initial du cancer (tableau 2).3 Pour les cancers à faible risque, une dernière échographie à 5-7 ans du diagnostic (période considérée comme la plus à risque de récidive) peut être envisagée, mais n’est pas obligatoire.
Pour les cancers à risque évolutif intermédiaire et élevé, il n’existe pas de consensus récent fixant le rythme de la surveillance échographique. Les consensus européens de 2019 et de 2013 conseillent respectivement une échographie cervicale à 3-5 ans de la prise en charge initiale pour les patients à risque évolutif intermédiaire et une échographie cervicale annuelle pendant cinq ans pour les patients à haut risque évolutif, en rémission, représentant une minorité des patients.5,6

Protocole simplifié après thyroïdectomie totale sans irathérapie

Les patients ayant eu une thyroïdectomie totale sans iode 131 doivent bénéficier du même bilan entre six et douze mois que ceux ayant bénéficié d’une irathérapie.
Un seuil de Tg us sous lévothyroxine inférieur à 1 µg/L, en l’absence d’anti-Tg et avec une échographie cervicale normale, peut être proposé pour considérer le patient en rémission. Le suivi ultérieur peut alors être simplifié : dosage annuel de la Tg us, des anti-Tg et de la TSH, sans renouveler l’échographie cervicale.7

Lobo-isthmectomie : tenir compte du pronostic favorable

Chez les patients ayant eu une lobo-isthmectomie, le dosage de la Tg us peut être difficile à interpréter et doit prendre en compte le volume du lobe restant. En cas de doute, il est préférable d’adresser à l’endocrinologue. Le rythme de réalisation des échographies cervicales dépend de la présence de nodules dans le lobe restant. La surveillance est organisée en tenant compte du bon pronostic des cancers thyroïdiens traités par lobectomie seule.

Suivi au long cours : la fin du dogme ?

Historiquement, le suivi était préconisé sur le long cours pour tous les patients traités pour un cancer thyroïdien. Cependant, les dosages ultrasensibles de Tg us et l’amélioration des appareils d’échographie remettent en question ce dogme. Une étude de 2013 sur 1 020 carcinomes papillaires de la thyroïde a montré que les récidives chez les patients en rémission à 6-12 mois de la chirurgie initiale et de l’irathérapie étaient rares (1,4 %) et survenaient dans les huit ans au maximum.8 Toutefois, aucune recommandation ne se prononce actuellement sur la durée de suivi nécessaire.

Cas particuliers des patients non en rémission

Les patients qui ne sont pas en rémission ou qui ont des métastases à distance (5-10 % des cas) doivent être suivis en milieu spécialisé. Deux tiers d’entre eux sont d’emblée, ou deviennent, réfractaires au traitement par iode radioactif. Des progrès considérables dans l’analyse génomique des tumeurs de ces patients réfractaires à l’iode 131 permettent actuellement de leur proposer des thérapies ciblées.9
La positivité des anti-Tg peut faussement négativer la Tg us, et le titre des anticorps doit être surveillé. Les patients ayant des anti-Tg positifs ne sont pas considérés comme en rémission, mais un titre stable ou descendant est un élément favorable. La surveillance par échographie cervicale peut être maintenue chez ces patients.

Surveillance active : une alternative à la chirugie ?

Le microcarcinome papillaire thyroïdien, très fréquent, d’une taille inférieure ou égale à 1 cm, est un cancer d’excellent pronostic. Ce constat est à l’origine du concept de « surveillance active » publié en 2003 et intégré aux recommandations japonaises dès 2011.10 Les principales publications d’observation de cohortes de patients atteints de ce type de cancers rapportent une survenue très faible d’événements dans les trois ans (augmentation de volume de la tumeur dans 12 à 23 % des cas, apparition d’adénopathies dans 1,4 % des cas).11,12
Les critères pertinents d’éligibilité à la surveillance active sont liés à la tumeur (localisation par rapport à la capsule thyroïdienne, proximité du nerf récurrent, présence ou non d’adénopathie), au ­patient (plus de 60 ans, comorbidités, souhait) et à l’expertise du centre qui assure le suivi (échographistes expérimentés, suivi régulier possible). L’indication doit être rigou­reusement examinée en centre expert.
Une surveillance échographique est nécessaire tous les 6-12 mois initialement, puis espacée, à la recherche d’une augmentation de taille et/ou de volume et d’adénopathie cervicale.13
En pratique, en l’absence de décision chirurgicale immédiate, la réalisation d’une cytologie sur un nodule thyroïdien suspect de moins de 10 mm n’est donc pas obligatoire ; elle est réalisée en cas d’augmentation de la taille du nodule et/ou d’apparition d’une adénopathie, en vue d’une décision chirurgicale. La proportion de récidive pour ces patients opérés avec retard par rapport à la découverte du nodule est identique à celle des patients ayant été opérés d’emblée. Cela conforte l’intérêt de cette stratégie de surveillance active.

ENCADRE

Objectifs de TSH dans le suivi des patients traités pour cancer de la thyroïde

Pour les patients à risque évolutif très faible ou faible et traités par chirurgie seule, l’objectif de TSH est compris entre 0,5 et 2 mUI/L. Aucun consensus n’établit le nombre d’années pendant lesquelles cette freination modérée de la TSH doit être maintenue.

Pour les patients traités par irathérapie, deux situations sont à distinguer :

en cas de risque évolutif faible ou intermédiaire, la TSH est maintenue initialement entre 0,1 et 0,5 mUI/L ; si la rémission est atteinte, un maintien entre 0,5 et 2 mUI/L est admis ;

en cas de risque évolutif haut, la TSH doit être maintenue en dessous de 0,1 mUI/L ; si la rémission est obtenue, un maintien de la TSH entre 0,1 et 0,5 mUI/L est requis pendant au moins cinq ans.

En cas de maladie tumorale persistante, l’objectif est de maintenir une TSH inférieure à 0,1 mUI/L.

Ces objectifs peuvent être assouplis chez des sujets très âgés et/ou avec des antécédents cardiovasculaires, en particulier de troubles du rythme.

ENCADRE

Que dire à vos patients ?

Le cancer de la thyroïde est, dans la majorité des cas, de bon pronostic.

Le traitement repose avant tout sur la chirurgie, parfois complétée par un traitement par iode radioactif (irathérapie) dont l’indication est discutée en réunion de concertation pluridisciplinaire.

En cas de rémission lors du bilan à 6-12 mois, le risque de récidive est faible.

Le suivi repose sur la palpation cervicale et le dosage de la thyroglobuline ultrasensible (Tg us), de la TSH et des anticorps anti-Tg.

L’échographie cervicale n’est pas répétée systématiquement lors du suivi.

RÉFÉRENCES

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9. De la Fouchardiere C, Alghuzlan A, Bardet S, et al. The medical treatment of radioiodine-­refractory differentiated thyroid cancers ­in 2019. A TUTHYREF® network review. Bull Cancer 2019;106(9):812-9.
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