Hashimoto, pensez à l’estomac !
Cet article est l’occasion de vous dire pourquoi je recherche systématiquement une gastrite auto-immune chez mes patients atteints de thyroïdite de Hashimoto.
Le syndrome auto-immun thyro-gastrique (SAT) décrit dans les années soixante par Tudhope et Wilson, est l’association auto-immune d’une atteinte thyroïdienne (maladie de Hashimoto ou maladie de Graves- Basedow) et d’une atteinte de la muqueuse gastrique (maladie de Biermer) chez un même patient historiquement dans 8% des cas. Une prédisposition génétique est suspectée en raison de formes familiales. L’évocation du SAT apparait dans la classification moderne des polyendocrinopathies (type 3b) sous une forme tronquée et peu explicite (anémie pernicieuse). Cela explique donc la difficulté à évaluer le spectre que recouvre la dénomination de gastrite auto-immune (GAI). D’ailleurs, on estime à tort que la maladie auto-immune gastrique est rare, confinée à certains pays scandinaves ou asiatiques.
La maladie de Biermer (anémie par carence en vitamine B 12 ou anémie pernicieuse décrite par Anton Biermer) est une gastrite atrophique (atrophie de la muqueuse de l’estomac), constituant seulement une des étapes du continuum d’évolution de la gastrite auto-immune («cascade de Correa»). La rupture de la tolérance du soi dans les maladies auto-immunes est valable pour la thyroïde mais aussi pour l’estomac dans le cas présent. Une revue complète de la littérature estime à 18 à 30 % la présence d’anticorps anti-cellule pariétale de l’estomac chez les malades de thyroïdite chronique. La pathologie thyroïdienne auto-immune a précédé la découverte de la maladie de Biermer en moyenne de 5 ans.
Cette maladie est malheureusement souvent découverte au stade avancé de carence en vitamine B 12 qui se traduit par une anémie (macrocytaire c’est à dire avec un volume des globules rouges augmenté) mais aussi des manifestations cliniques variées : glossine de Hunter (inflammation de la langue qui est lisse et luisante), perte d’appétit, vomissements, douleurs abdominales, troubles neurologiques (polyneuropathie des membres inférieurs et supérieurs, ataxie, troubles de la mémoire, instabilité) et psychiatriques (dépression, démence). La maladie de Biermer est à haut risque de cancer de l’estomac.
La vit. B12 ou cobalamine est synthétisée uniquement par des bactéries et provient exclusivement de produits animaliers. Cette vitamine est principalement stockée dans le foie et on estime ses réserves entre 2 et 5 mg, ce qui correspond à environ 1000 jours d’apport. Deux systèmes distincts contribuent à son absorption intestinale. Le facteur intrinsèque de Castle (FI) est produit par les cellules pariétales de l’estomac et il se lie à la vitamine B 12 pour permettre son assimilation intestinale. Cependant il est saturable mais il peut être suppléé par le mécanisme d’absorption passive par diffusion (1 à 5 % de la dose ingérée). Vous comprenez donc qu’en cas de maladie de Biermer l’alimentation ne suffit plus et qu’il faut apporter de la vitamine B 12 par injection intra-musculaire, les fortes doses par voie orale fonctionnant parfois comme alternative.
Je viens de vous décrire ce que la faculté enseigne traditionnellement aux étudiants en médecine mais dont on ne doit plus se contenter lorsque l’on est un médecin progressiste. Que signifie pour moi la découverte systématique des éléments suivants : anticorps anti-cellule pariétale gastrique, anticorps anti-facteur intrinsèque, sérologie positive à Helicobacter pylori (HP).
Helicobacter Pylori est une bactérie Gram négative qui colonise la surface de la muqueuse de l’estomac sans l’envahir. L’infection digestive par HP déclenche une réponse immunitaire intense chez l’humain. Elle peut déterminer une gastrite chronique active, des ulcères ou des manifestations fonctionnelles. HP est un cancérogène qui joue un rôle clé dans l’apparition du cancer gastrique et du lymphome MALT. Un mimétisme moléculaire suggère un lien possible de causalité entre l’infection par HP et les thyroïdites ce qui élargie le champ des connaissances de la maladie de Hashimoto.
Indépendamment d’HP, l’atrophie de la muqueuse de l’estomac dans la GAI augmente le risque de cancers de l’estomac (adénocarcinome) mais aussi de tumeurs neuro-endocriniennes qui ressemblent à des polypes (NETs) en lien avec la diminution de l’acide chlorhydrique et l’augmentation de la gastrine. Il n’est donc pas conseillé de prendre des IPP (inhibiteurs de la pompe à protons) au long cours dans la GAI…
En cas de présence d’anticorps dirigés contre l’estomac ou d’une sérologie positive à HP, la logique impose une fibroscopie gastrique avec biopsies. Je ne vous cache pas les difficultés que l’on peut parfois avoir en France pour faire accepter cette stratégie préventive… Le Japon est un pays d’avant-garde dans le développement de systèmes optiques pour l’endoscopie. Les Japonais ont essayé d’améliorer la capacité de prédiction de cancer gastrique dans la gastrite atrophique, à partir de la chromo-endoscopie virtuelle. La surveillance endoscopique est recommandée tous les 3-5 ans dans la GAI.
L’enjeu moderne pour le clinicien est de pouvoir dépister précocement les marqueurs d’auto-immunité gastrique afin d’éviter ces complications. A la lumière de tous les éléments pionniers que je vous ai exposés, je considère qu’il faut militer pour proposer une stratégie de dépistage large de la GAI et de l’HP dans les maladies auto-immunes thyroïdiennes. En raison des liens étroits entre les dysthyroïdies auto-immunes et certains agents infectieux, le monde associatif doit se positionner en observatoire et lanceur d’alerte. La méconnaissance des conséquences à moyen et long terme d’une atteinte par la covid 19 sur les pathologies thyroïdiennes touchant l’immunité est une opportunité de recherche clinique. C’est une action que je soutiendrai en tant que président de l’association « touspartenairescovid » (covid.org).
M le docteur Jean Marc Comas endocrinologue à Brive