THYROÏDE ET DIGESTION

Je vous propose aujourd’hui de découvrir la retranscription écrite de la vidéo que j’ai réalisée avec le Dr Stéphane Résimont sur les liens entre thyroïde et digestion. Il nous explique aussi ce qu’est précisément l’hypothyroïdie, ses causes, en quoi les tests sanguins réalisés actuellement ne renseignent en rien l’état de fonctionnement réel de la thyroïde et ce qu’il faut faire au contraire. Il nous livre les traitements qui marchent, ainsi que ses conseils pour une Pleine santé, pour reprendre le titre du livre qu’il vient de sortir.

Marion Kaplan : Pouvez-vous tout d’abord vous présenter succinctement ?

Stéphane Résimont. Je suis médecin chirurgien spécialisé en ORL/chirurgie cervico-faciale à la base, et j’ai fait plusieurs formations en chirurgie esthétique et médecine esthétique.

À la fin des années 1980, j’ai commencé à m’intéresser à la nutrition et je m’y suis formé avec le Dr Jean-Paul Curtay, le Pr Vincent Castronovo et le Dr Serge Balon-Perin, notamment. Ensuite, je me suis intéressé à l’hormonologie à laquelle j’ai été formé par le Dr Thierry Hertoghe. En fait, j’ai eu beaucoup de formateurs tout au long de ce parcours.

Au départ, j’ai fait ces différentes formations et études simplement pour mon bien-être personnel et celui de mon entourage, puis j’ai commencé à appliquer ce que j’ai appris dans mon travail de médecin et de chirurgien ORL, recevant beaucoup de patients présentant des nodules à la thyroïde. Finalement, la médecine fonctionnelle est devenue mon principal travail.

Nous allons maintenant aborder l’objet de notre interview. Quelle est l’interaction entre thyroïde et digestion ? Quel est le lien qui les unit ?

On peut considérer la thyroïde comme un chef d’orchestre. Elle gère la digestion, elle gère l’intestin, aussi bien du point des sécrétions que de celui de la mobilité, elle agit également sur les gonades (testicules, ovaires), ainsi que sur les glandes surrénales qui sécrètent de nombreuses hormones. Enfin, elle intervient dans le fonctionnement du cerveau ou encore la carburation mitochondriale.

Par conséquent, quand la thyroïde ne va pas bien, il n’y a rien qui va. Je ne dis pas que la thyroïde c’est tout, mais c’est quand même une partie importante du fonctionnement de l’être humain. Pour illustrer le lien entre thyroïde et digestion, je prendrais pour exemple la gastroparésie1 (ou syndrome de « l’estomac paresseux »). C’est cette sensation qu’ont beaucoup de patients, au cours du repas ou à la fin du repas, de gonflement de l’estomac, de pression avec des renvois, des éructations, voire des irritations provoquées par des remontées acides.

Dans la vaste majorité des cas, cette gastroparésie, qui paralyse l’estomac, est liée à un manque de l’hormone thyroïdienne T3 (donc à une hypothyroïdie). Je précise bien la T3, pas la T4.

Ce n’est pas lié à un manque d’acidité gastrique, c’est-à-dire d’acide chlorhydrique (HCL) dans l’estomac ?

En fait, c’est la T3 qui stimule la sécrétion d’acide au niveau de l’estomac. Donc un manque d’acidité dans l’estomac peut être déclenché (lié) par un manque de T3. La T3 agit également au niveau de la sécrétion de ce que l’on appelle le facteur intrinsèque2 nécessaire à l’absorption de la vitamine B12. Ainsi, on peut comprendre qu’un déficit en B12 peut provoquer un manque de T3. La T3 agit aussi sur les enzymes de l’estomac : la lipase, permettant de dégrader les lipides (les graisses), la pepsine, qui transforme les protéines, ainsi que sur le flux biliaire.

Donc un manque de T3 est associé à un risque de mal digestion des graisses, de manque d’acidité dans l’estomac, de mauvaise transformation des protéines, mais également de formation de calculs biliaires. En effet, de plus en plus d’études pointent aujourd’hui le lien entre déficit en T3 et calculs biliaires. Je suis moi-même très étonné de recevoir depuis mal d’années des patients jeunes, de 18 ans, 20 ou 22 ans, ayant subi une ablation de la vésicule biliaire (cholécystectomie), alors que cela concernait auparavant des personnes plutôt âgées.

Le pancréas exocrine est également sous la dépendance de la T3. Ce dernier, je le rappelle, sécrète notamment le suc pancréatique qui est riche en bicarbonates et en enzymes : amylases, lipases et enzymes protéolytiques, comme la trypsine. Ces enzymes participent à la digestion.

La T3 agit enfin sur la mobilité de l’intestin, sa contraction qui permet d’aller à la selle. Ce qui explique le phénomène de constipation que l’on retrouve dans l’hypothyroïdie et, à l’inverse, de diarrhées en condition d’hyperthyroïdie.

Puisqu’elle régule l’estomac, est-ce qu’une personne ayant une T3 anormale, peut avoir des douleurs à l’estomac, des aigreurs, des problèmes gastriques ?

Oui, tout à fait.

J’oserai dire – et c’est très polémique – que les dosages sanguins habituellement réalisés n’ont aucune valeur pour renseigner l’état de fonctionnement de la thyroïde.

Le dosage de la TSH (Thyroid-Stimulating Hormone) n’a, selon vous, aucune valeur ?

Si on parle de celui-ci, c’est le pire des dosages que l’on puisse envisager. Cela ne veut absolument rien dire du tout et je vous explique pourquoi. La TSH est une hormone produite par l’hypophyse qui va aller en quelque sorte « taper » sur la thyroïde pour lui faire sécréter de la T43. Or, la T4 est une hormone inactive. Pour devenir active, elle doit se transformer en T3 et cette transformation nécessite beaucoup de cofacteurs qui s’appellent la vitamine B12, le magnésium, le manganèse, le fer, le zinc, un peu de cuivre, etc. Il suffit qu’un élément manque et la transformation ne se fait pas ou ne se fait pas bien.

Parmi ces cofacteurs, il y a aussi l’iode et le sélénium ?

L’iode intervient avant la synthèse de la T4. L’iode est nécessaire pour que la thyroïde fasse de la T4, mais là je parle de ce qui se passe après, c’est-à-dire quand la T4 est là : cette T4, qui est une pro hormone inactive, doit être activée en T3. Et pour cela, il faut les cofacteurs que je viens de vous citer, avec le sélénium aussi, oui.

Alors, la T3 étant une hormone active, on peut imaginer la doser plutôt que la TSH ? En fait non, cela ne suffit pas, ce n’est pas aussi simple. Il faut savoir que la T3 circule dans le sang, elle est produite dans tous les organes. La production de T3 au niveau thyroïdien est très faible (20%), la T4 devient T3 dans le foie, dans le cerveau, dans les reins, le cœur, les muscles, etc4.

La T4 se transforme en T3 grâce à l’intervention d’une enzyme appelée désiodase (5’désiodase) : elle retire un atome d’iode à l’hormone T4 et la transforme ainsi en T3. On trouve cette désiodase essentiellement dans le foie, mais aussi dans les reins, le cœur, le système nerveux, les muscles.

Qui plus est, des variants génétiques peuvent intervenir dans cette activité enzymatique. En effet, un polymorphisme génétique assez répandu altère cette activité enzymatique5.

Donc, d’une part, cette désiodase est plus ou moins efficace en fonction de son terrain génétique, et d’autre part, elle peut encore être différente d’un organe à l’autre. En d’autres termes, ce n’est pas parce qu’on transforme bien la T4 en T3 au niveau de l’estomac qu’on le fait bien au niveau du cerveau.

Tout cela rend très complexe le fonctionnement thyroïdien.

En effet. Donc, le dosage de la T3 on oublie aussi…

Oui parce que ce n’est pas parce qu’elle est là (dans le sang), qu’elle a un effet. Les récepteurs de la T3 sont intracellulaires, c’est-à-dire qu’ils ne se trouvent pas à la surface des cellules, mais à l’intérieur. Ce qui signifie que pour parvenir à son récepteur qui permettra son activation, la T3 doit passer à travers la membrane de la cellule. Et pour pénétrer dans la cellule, la T3 a besoin de vitamine D. Et l’on sait qu’en Europe, nous manquons cruellement d’ensoleillement, ce qui fait que nous sommes de fait carencés en cette vitamine.

Qui plus est, une fois que la T3 entre dans la cellule, il se produitune action conjointe de la vitamine A et de la vitamine D pour aller activer le récepteur nucléaire à la T3. Donc, si la vitamine A est basse, comme c’est le cas chez 80% des Européens, l’activation de la T3 ne pourra pas se faire.

Enfin, il faut que le récepteur puisse « virer », qu’il puisse bouger, il faut qu’il puisse signaler via une membrane cellulaire souple. Donc, si vous n’avez pas suffisamment d’oméga-3 ou d’oméga-6 (huile de bourrache et d’onagre), cela « coince » : les récepteurs sont bloqués par une membrane trop rigide.

À tout ceci s’ajoute un autre problème : cette transformation de T4 en T3 nécessite l’absence de métaux lourds, de perturbateurs endocriniens…

Donc, résumer la thyroïde, comme certains le font, au simple dosage de la TSH : elle est bonne, le patient va bien, elle n’est pas bonne, il est hypothyroïdien, c’est une erreur monumentale. C’est comme si on disait que pour aller sur la lune, il suffisait de mettre un gros pétard autour d’un caisson en bois, et hop, c’est parti ! C’est une erreur aussi grosse que celle-là !

Que peut-on faire alors ?

Si vous êtes en présence de métaux lourds et autres perturbateurs endocriniens, si vous avez des déficits et des carences en vitamines et minéraux6, votre T4 va favoriser la formation de R-T3 (Reverse-T3), au détriment de la T3. La R-T3, contrairement à la T3, est inactive. Elle va inhiber, désactiver la T3. La R-T3 va augmenter l’hypothyroïdie en bloquant le récepteur de la T3 active.

Donc, si vous tenez absolument à effectuer un dosage, autant calculer directement la R-T3.

Dans la pratique, comment savoir si la thyroïde est fonctionnelle, comment repérer une hypothyroïdie ?

Il faut interroger le patient : quels sont vos signes ? Êtes-vous frileux ? Avez-vous le bout des doigts et des orteils toujours froids, douloureux ? Est-ce que le matin, il vous faut deux cafés et trois redbulls avant d’être en forme ? Est-ce que vous êtes constipé ? Est-ce que vous perdez vos cheveux ? Est-ce que vos coudes, talons, tibias sont secs ? Est-ce que vous avez une gastroparésie ?

Les poches sont les yeux le matin aussi sont un signe d’hypothyroïdie, n’est-ce pas ?

En effet. Est-ce que le matin, vous avez des poches sous les yeux, c’est-à-dire une rétention d’eau au niveau du visage ou myxœdème facial. Pouvez-vous enfiler votre bague le matin au réveil ? Les doigts gonflés au réveil sont un signe typique d’hypothyroïdie. Avez-vous, mesdames, une voix de camionneur au réveil ?

Si le patient ne présente que quelques signes, entre un et cinq, je ne m’inquiète pas trop. S’il en a beaucoup en revanche (20-25), cela renforce mon diagnostic. Donc, c’est l’anamnèse qui prime. Le diagnostic ne se base pas sur les analyses biologiques, le diagnostic se base sur le patient. On soigne un patient et non une feuille de papier avec des résultats écrits dessus.

Si le patient présente ces signes typiques que je viens de vous citer, notamment la frilosité et la sensation de froid aux extrémités : je ne connais pas d’autres pathologies en médecine où on a froid tout le temps, il n’y a que la thyroïde, une constipation, une rétention d’eau au niveau du visage le matin, une température à 36°, 35°8 : cela renforce le diagnostic d’hypothyroïdie. Il n’y a pas de doute à avoir.

Mais une fois que vous savez grâce à l’anamnèse que votre patient est en hypothyroïdie, vous faites tout de même un bilan sanguin pour savoir s’il a suffisamment d’iode, de sélénium, de zinc, de magnésium, d’oméga-3, etc. ?

Oui, tout à fait. Il y a deux façons d’agir à ce moment-là. Soit on est médecin, donc on a accès à des dosages biologiques précis (qui ne sont pas les dosages classiques comme vous l’avez compris) et on fait de la bonne médecine. Soit on est non médecin – et ce n’est pas du tout une critique – et on n’a pas la possibilité de faire ces dosages (à moins d’un accord avec un partenaire médecin). Dans ce cas, puisqu’on sait que statistiquement 90% de la population européenne est carencée en sélénium, 80% en zinc (c’est la chute du zinc qui est responsable de la perte de l’odorat et du goût des malades liée à la Covid-19), entre 60 et 80% en iode, 70 à 80% en magnésium…

Et en vitamine D aussi…

Oui, concernant la vitamine D, c’est 100% de carence si on ne prend aucune une complémentation à 8 000-10000 UI par jour au moins.

Quel est le bon sondage selon vous ?

L’état optimal selon moi se situe à 70 ng/mL, soit 170-180 en milli équivalence.

Donc, je reprends : soit j’ai accès à ces dosages et je les fais, soit je n’y ai pas accès et je complémente simplement ces patients en vitamine D, en magnésium, surtout s’ils ont des crampes, des calcifications, en iode, en sélénium, en zinc… Et, croyez-moi, on ne fera pas de tort aux patients. Avec les dosages présents dans les compléments, dépasser le seuil en zinc, cela n’existe pas, en sélénium il faut y aller vraiment très fort, et en iode, je n’en ai jamais vu.

Mais vous faites bien les dosages de vitamine D et de vitamine A quand même ?

Oui bien sûr.

Concernant la vitamine D, j’en donne lors de la première consultation 10 000 Ul par jour et je revois le patient quelques semaines après pour adapter le dosage après analyse biologique. Pour la vitamine A, c’est la même chose, mais j’en donne rarement en première consultation, sauf si le patient a des plaintes spécifiques telles qu’une sécheresse de la peau au niveau du visage, une perte de vision nocturne, si le patient voit moins bien les couleurs ou si une patiente présente une sécheresse vaginale, qui est également un signe de manque en vitamine A. Là, j’en donne d’office.

Donc, je me base fortement sur la clinique avec comme filet de sécurité un dosage biologique qui va être réalisé dans les semaines qui suivent les premières prises quotidiennes.

Le statut en fer6 est également important. Et il y a des gens qui ont un bon taux de fer (ferritine) et un mauvais taux de transferrine.

Oui, bien sûr.

Un homme qui a un taux de fer bas, à moins d’une hémorragie, c’est un cancer du côlon.

Quand une patiente me dit qu’elle a des règles très abondantes, une véritable hémorragie, et que je constate ensuite un taux de fer bas, évidemment il ne faut pas aller chercher plus loin. J’en profite d’ailleurs pour recommander à tous mes collègues de ne surtout pas donner de fer, ou même de cuivre, sans avoir un dosage biologique attestant d’une carence.

Par ailleurs, il y a le problème des maladies inflammatoires. Un taux de ferritine élevé peut être dû à une maladie inflammatoire, par exemple, ou encore un taux de transferrine bas à des réactions inflammatoires aiguës, et un taux élevé à une anémie ferriptive.

Si vous constatez des carences qui ne sont pas forcément dues à l’alimentation parce que les personnes se nourrissent bien, vous allez regarder du côté du microbiote, je suppose ?

C’est évident en effet. La relation thyroïde et intestin est fondamentale, et cela marche dans les deux sens puisque l’on sait qu’en cas d’hypothyroïdie, on a un dysfonctionnement de l’intestin qui entraîne une mal digestion des protéines au niveau de l’estomac, ou des sucres plus loin dans l’intestin. Donc cela entraîne une dysbiose de putréfaction (les gaz malodorants) dans le côlon gauche. Et la mauvaise digestion des sucres entraîne une fermentation, voire des candidoses associées, parce que les sucres les nourrissent. Ce que l’on retrouve aussi avec les Fodmaps d’ailleurs, qui sont des sucres qui nourrissent une flore pathogène.

Maintenant, l’autre problème, c’est que 25% de la T4 inactive donne de la T3 dans l’intestin. Donc quand l’intestin est « pourri », la thyroïde ne sait pas activer la T4 en T3 en partie.

Par conséquent, que le problème soit thyroïdien et/ou intestinal, il faut traiter les deux en même temps et non l’un après l’autre, ceci n’ayant pour seul effet que de courir après le bien-être du patient.

C’est ce que j’explique à mes collègues – que vous connaissez d’ailleurs – qui n’étaient pas de cet avis au départ, mais qui semblent commencer à en changer : pour moi, traiter une dysbiose sans traiter la thyroïde, c’est voué à l’échec puisque nous allons avoir des patients en récidive un mois, deux mois, trois mois après. Ces patients vont aller de traitements en traitements pour traiter une dysbiose récurrente, sans jamais pouvoir la résoudre, puisqu’on ne se s’est pas penché en même temps sur la thyroïde.

Voyons maintenant les traitements. Comment traitez-vous une hypothyroïdie ? Est-ce que vous donnez des hormones thyroïdiennes ? Que faites-vous ?

Cela dépend. Est-ce que le patient a cinq signes d’hypothyroïdie ou est-ce qu’il en a 30 ? Est-ce qu’il a une hypothyroïdie « light » ou est-elle profonde ?

Le patient a-t-il a 20 ans ou il a 80 ans ? Je sais déjà qu’une thyroïde de plus de 60 ans n’a quasiment aucune chance de fonctionner toute seule, sans aide hormonale.

Est-ce que mon patient a une hypothyroïdie par simple carence micronutritionnelle ?

Je peux un peu appréhender la situation, la palper en fonction des signes.

Si ce sont des hypothyroïdies par manque de cofacteurs, de micronutriments, je le verrai à la prise de sang et le patient va très bien réagir au premier shote de vitamine D, de magnésium, de sélénium, ou encore d’iode, que je vais prescrire.

Et si malgré cette supplémentation, la thyroïde ne fonctionne toujours pas, quel type d’hormones donnez-vous ?

Je ne donne jamais de T4. Cela fait presque 30 ans que je le dis : ne jamais donner de traitement par T4, comme les spécialités qui existent aujourd’hui : L-thyroxine, Levothyrox, Euthyrox, TCAPS… C’est comme si on fournissait au patient du mazout pour remplir sa cuve et chauffer la maison sans lui donner la lumière de la chaudière qui est la T3. C’est d’une stupidité ! C’est d’une évidence scientifique et je ne comprends pas.

Actuellement, 99% des patients qui viennent me voir pour la première fois ont un traitement thyroïdien par T4, et ils se plaignent d’être gros, fatigués, dépressifs, de perdre leurs cheveux, suivis par un médecin qui leur prescrit et represcrit cette T4, passant de l’Euthryox au Levothyrox, du Levothyrox au TCAPS en croyant que cela va changer quelque chose. C’est comme donner de l’aspro après avoir essayé l’aspirine…

Que donnez-vous alors : Euthyral ?

Oui, le plus simple, surtout pour la France, c’est Euthyral. Pour le Luxembourg, c’est la même chose, mais sous l’appellation Levothyral. Il s’agit d’une préparation à base de T3 et de T4.

Maintenant, le Gold Standard, la Rolls-Royce du traitement thyroïdien, ce sont les hormones thyroïdiennes naturelles extraites de thyroïde7.

Et vous les trouvez où ?

Aux Etats-Unis, au Canada, en Nouvelle-Zélande.

Avez-vous un site à nous communiquer ?

Je les obtiens par mes pharmacies. En Belgique, par exemple, je fais une prescription pour Erfa Thyroid® qui vient du Canada. Je sors un document d’autorisation d’importation, le patient va dans sa pharmacie et soit elle l’a en stock, soit elle la commande et le patient a son produit trois jours après.

En France, c’est une catastrophe parce que ces hormones sont interdites. Pourquoi le sont-elles ? On n’en sait rien. La France autorise des statines, des somnifères, des antidépresseurs qui sont très toxiques, et elle interdit des traitements qui fonctionnent.

Alors que fait-on quand on est en France ?

On en reste à l’Euthyral, qui est très bien de toute façon.

À quelle posologie ? Un comprimé ? Un demi-comprimé ?

Cela dépend. Moi par exemple, là je suis à Ibiza, j’en prends ½ le matin, 0 le midi et 0 le soir. Par contre, quand j’étais en Pologne aux sports d’hiver, il faisait très froid, j’étais à ½ le matin, 1 le midi, 1 à 17h. En Laponie il y a quelques années, j’étais à 1 le matin, 1 le midi, 1 à 17h, par contre lors du marathon dans le Sahara, je suis plutôt à un demi le matin, 0 le midi, 0 le soir. Donc, cela dépend du climat et cela dépend des signes qu’a le patient. Je lui dis de commencer par ½ le matin et de voir ce qui se passe au bout d’un jour ou deux : est-il fatigué ? Est-ce que ses signes d’hypothyroïdie – le patient a sa liste de signes – ont disparu ou pas ? Si la réponse est non, je lui dis de monter à ¾, ou à 1.

Si le patient me dit qu’avec Euthyral son moral est stable et qu’il a de l’énergie toute la journée, qu’il va aux toilettes sans problèmes, qu’il n’est plus constipé donc, mais que le matin, en revanche, il se lève avec les yeux gonflés, les doigts gonflés et le moral bas, cela veut dire qu’il est hypothyroïdie la nuit. Dans ce cas, je redonne ¼ au coucher le soir.

Je dis toujours que le traitement par Euthyral en France ou Levothyral en Belgique, c’est pour des patients intelligents. Il faut pouvoir soi-même, en fonction de ses propres signes d’hypothyroïdie, parvenir à trouver le traitement qui convient, la bonne dose. Ce, sans risque d’être surdosés, parce que les patients connaissent les signes d’hyperthyroïdie : palpitations, nervosité, tremblements, sensations d’oppression, diarrhées.

Le patient doit être capable de jongler, d’adapter ses prises selon son propre terrain mais également le climat. Je vous donne pour exemple cette patiente qui vient me voir avec une prescription de Levothyrox 150 mg par son endocrinologue, ce pour toute l’année. Je lui dis pour qu’elle comprenne l’aberration de la situation : est-ce que vous allez mettre votre réglage de chauffage à la maison de la même façon par moins 40° dehors et par plus 40° ?

Donc vous gérez la posologie en fonction du climat et des symptômes. Peut-on dire du même coup qu’il n’y a pas d’accoutumance à l’Euthyral par exemple ? C’est-à-dire que l’on peut décider parce que ça va bien d’arrêter le traitement ?

Non, il ne faut jamais arrêter un traitement de soi-même.

J’ai chaque semaine des hypothyroïdiens chez qui je fais arrêter le traitement parce qu’ils n’en ont plus besoin. Ce sont des patients chez qui j’ai guéri des thyroïdites d’Hashimoto, cette maladie où la thyroïde est attaquée par des anticorps sécrétés par l’organisme lui-même. Oui, elles se guérissent.

Mais comment faites-vous ?

Il faut traiter les causes tout simplement. Pourquoi fait-on une thyroïdite d’Hashimoto ? Les causes sont multiples et se potentialisent :

Dans Hashimoto, la vitamine D est trop basse, donc j’en donne vingt fois plus.

La thyroïdite d’Hashimoto est une maladie auto-immune et l’on sait que 80% des défenses immunitaires, c’est dans l’intestin que cela se passe. Donc, imaginez un patient qui mange de l’avoine comme les ânes, du pain avec du gluten, des produits laitiers et des faux sucres, qui ne mâche pas bien, et a été « bourré » d’antibiotiques… Il se met en dysbiose et l’immunité s’altère, ce qui conduit à une thyroïdite d’Hashimoto, qui va devenir deux ans après une sclérose en plaques. C’est ainsi que l’on voit aujourd’hui de plus en plus de jeunes de 20-30 ans avec une sclérose en plaques, un diabète de type1, une polyarthrite : ils peuvent en combiner trois. Cela explose !

Enfin, la troisième cause d’Hashimoto, c’est le manque de cortisol. La surrénale n’arrive plus à sécréter cette hormone qui est capitale. C’est l’hormone la plus importante du corps, elle régule l’immunité7.

Alors vous mesurez le cortisol le matin, ensuite à 11h, etc. ?

Le seul dosage qui ait un intérêt clinique est le dosage salivaire du cortsiol étalé sur la journée. Le matin au lever, une demi-heure après, à midi, en fin d’après-midi, et on suit l’évolution des courbes. Puis, en fonction de cela, on peut en tirer pas mal de conclusions.

Mais, de nouveau, ainsi que je le dis dans mes cours en hormonologie, pour le cortisol – comme pour la thyroïde -, c’est la clinique qui prime, donc les signes que présente le patient. Il existe 30-35 signes possibles de manque de cortisol. Là encore, si le patient présente tous les signes, je sais qu’il a en besoin et je n’ai pas besoin de dosage sanguin qui me le montre.

Quels les signes d’un cortisol effondré ?

Un coup de stress, on est fatigué, une compulsion pour le sucre et le sel, les deux. Les chips, par exemple, qui sont sucrées salées : vous commencez le paquet et vous le finissez, vous ne savez pas vous arrêter.

C’est le fait d’avoir un gros coup de pompe après le repas du midi.

C’est le fait également d’avoir des douleurs : le cortisol, c’est la substance naturelle du corps qui fait qu’on n’a pas mal. Cela peut être des tendinites, des douleurs articulaires, des douleurs musculaires : on s’enflamme. D’ailleurs, beaucoup de médecins taxent ces patients-là de fibromyalgiques inguérissables. En fait d’inguérissables, ils sont guéris en deux ou trois semaines de la fibromyalgie parce qu’on a traité les causes de la maladie.

Que donnez-vous à vos patients pour faire remonter le cortisol ?

J’essaye de voir en phytothérapie, moi j’adore l’Ashwagandha, mais il y a aussi la Shissandra ou encore les bourgeons de cassis. Il existe un bon nombre de substances qui augmentent le cortisol.

Après, une autre donnée qui entre en jeu, c’est l’âge. J’ai des chances de faire repartir, au bout d’un certain temps, la surrénale d’un jeune de 20 ans, alors que les chances qu’elles reparte chez une personne de 60 ans ou plus sont nulles.

On va souvent passer à la supplémentation physiologique à l’hydrocortisone bio identique, voire y associer, en cas d’inflammation, la méthylprednisolone ou la predsinolone.

On peut également supplémenter en prégnénonolone pour son effet bénéfique sur l’équilibre hormonal d’une manière générale.

La prégnénonolone fait aussi partie en effet des grandes hormones très importantes. Et vous les donnez à quelle heure : est-ce qu’il y a aussi une chronobiologie des hormones ?

Cela dépend de la durée de vie. Pour les hormones à durée de vie très courte, 4-5 heures, il faut souvent splitter, c’est-à-dire qu’il faut en donner une partie le matin, une partie le midi, voire une partie enfin d’après-midi, et en soirée pour la thyroïde. Et pour le cortisol, on s’arrête à 16-17h l’après-midi. Les cortisols synthétiques ont une durée de vie plus longue, c’est pour cela qu’une seule prise le matin suffit.

Venons-en aux conseils alimentaires. Pour vous, c’est le petit-déjeuner protéiné je suppose ?

Pour moi, un patient qui ne veut pas manger convenablement, ce n’est plus mon patient.

Pour imager mon propos, je suis un bon garagiste et j’ai un client qui vient avec une Ferrari et qui persiste à mettre du diesel dans sa voiture : il ne doit plus venir chez moi, je ne sais rien faire pour lui. Je ne sais pas non plus aider les gens qui marchent à l’envers, c’est-à-dire qui ne mangent rien le matin et font un festin le soir, et qui viennent chez moi en étant trop gros, fatigués, dépressifs…

Donc le matin, c’est un petit-déjeuner lourd, protéiné, avec du gras, du bon gras évidemment : de la viande, du poisson, des œufs. Cela peut être végétal également, mais cela passe par un repas qui est lourd, qui est plein de protéines végétales ou animales, de bon gras.

La protéine du matin, c’est le précurseur des neurotransmetteurs. La tyrosine le matin devient dopamine, donc joie de vivre, mémoire, concentration, motivation, et la noradrénaline, c’est-à-dire la pêche de la journée devient également l’hormone thyroïdienne. Donc si on n’apporte pas de protéines le matin, on est hypothyroïdien, c’est-à-dire fatigué, dépressif. En bref, on tourne en rond.

Que pensez-vous des gens qui font le fameux fasting, le jeûne séquentiel ?

Génial, quand ils sont trop gros oui, mais… Il vaut mieux sauter le repas du soir.

Je reviens sur les protéines : attention au régime hyperprotéiné. J’incite plutôt les gens en effet à manger des protéines, mais pas que cela. Avec un régime hyperprotéiné, c’est génial, on perd du poids, et à un moment donné, cela « coince ». La raison à cela est simple : on a un blocage de la thyroïde. Ce type de régime induit une transformation de la T4 en Reverse-T3 et rend les récepteurs à la T3 moins efficaces. Donc un régime hyperprotéiné, ça marche et puis ça casse.

Il faut manger beaucoup de légumes, vous êtes d’accord, une partie crus une partie cuits à la vapeur. Le tout cru pas forcément, cela dépend du pays où on est bien sûr, pourquoi pas dans des pays très chauds, mais pas dans les pays occidentaux ? Qu’en pensez-vous ?

Le cru semble très bien convenir à certaines personnes, mais moins à d’autres, donc je ne sais pas.

Mais en cas de dysbiose, ce n’est pas évident…

Tout à fait.

Et si un patient vegan vient vous voir, que faites-vous ?

Là c’est une situation extrêmement difficile, parce qu’il ne mange pas d’œufs et les déficiences liées au veganisme sont nombreuses. Autant je n’ai aucun problème avec des patients végétariens, parce que je peux insister sur le fait de garder les œufs, autant face aux patients vegans, c’est vraiment très compliqué.

Et qu’est-ce que vous pensez du fromage le matin, lait de vache de brebis, chèvre ?

Ici, je suis chez des amis à Ibiza. Ils servent des Français donc ils servent des fromages français à la fin du repas, je prends un petit morceau de fromage au couteau, sans morceau de pain sinon mes journées suivantes sont foutues, et c’est un aliment plaisir oui, mais pour moi le fromage ne doit pas être un aliment de base à l’alimentation.

Merci beaucoup Stéphane Résimont. Pour terminer, vous venez de sortir un livre : Pleine santé. Il est génial, c’est un livre que j’aurais aimé avoir écrit. Il est clair et il fait tous les liens. C’est un livre à la fois pour les thérapeutes et pour le grand public, parce que cela peut donner envie de comprendre ce qu’est la micronutrition, de comprendre que finalement un complément alimentaire ce n’est pas un médicament, que nous sommes dans une société qui a très appauvri ses aliments. Or nous sommes des machines à nutriments parce que nos mitochondries marchent à cela. Donc, si nous en manquons, notre machinerie ne fonctionnera plus. Alors, qu’est-ce qu’on fait ? Soit on est malade et on prend des médicaments, soit on prend les choses en main et on essaye de comprendre comment tout cela fonctionne et on agit en conséquence, on se responsabilise et devenons acteur de notre pleine santé.

Pleine santé : vitalité, immunité, anti-âge, anti-kilos, Dr Stéphane Résimont, Alain Andreu, préface du Dr Thierry Hertoghe, Éd. Marco Pietteur, 2021

Retranscription par Myriam Marino

Interview du dr Stéphane Résimont par Marion Kaplan

Docteur en médecine avec une spécialisation en chirurgie ORL et cervico spatiale, il est également acupuncteur, spécialiste en hormonologie et en micro nutrition

Notes :

1 – La gastroparésie est un trouble fonctionnel digestif, généralement chronique, caractérisé par un ralentissement de la vidange de l’estomac, en l’absence de tout obstacle mécanique. Elle relève d’une difficulté à réguler l’activité musculaire gastrique. Elle se produit quand les nerfs vagues ne remplissent pas bien ces fonctions. Cette paire de nerfs relie, entre autres, le cerveau à la plus grande partie du tube digestif et envoie les messages nécessaires au bon fonctionnement des muscles de l’estomac. Plutôt que d’être entraînés après environ deux heures dans la suite du tube digestif, les aliments stagnent alors dans l’estomac beaucoup plus longtemps. Il y a plusieurs types de gastroparésie. Parmi les causes, figure l’hypothyroïdie ou conséquence d’une faible production d’hormones par la glande thyroïde. Gastroparésie : le syndrome de « l’estomac paresseux » et la vidange gastrique, Passeport santé.

2 – La facteur intrinsèque appelé aussi facteur intrinsèque gastrique ou facteur de Castle, du nom de son découvreur, est une glucoprotéine sécrétée par les cellules pariétales de la muqueuse de l’estomac. Il est nécessaire à l’absorption de la vitamine B12. Très schématiquement, après avoir suivi un parcours depuis les glandes salivaires, la vitamine B12 peut se lier au facteur intrinsèque dans l’environnement intestinal, moins acide, avec l’intervention des enzymes pancréatiques

3 – En réalité, la thyroïde sécrète quatre hormones : T1, T2, T3 et T4, mais on ne connaît pas encore d’action précise aux hormones T1 et T2. En finir avec l’hypothyroïdie, Dr Benoît Claeys, Thierry Souccar Éditions, 2015

4 – Seulement 20% de la T3 circulant dans le sang est directement produite par la thyroïde. Le reste, soit 80%, résulte d’une désiodatipn de la T4.

5 – Lorsque le gène correspondant s’exprime, tout traitement à la T4 seule est inefficace puisque la transformation enzymatique en T3 est déficiente. Ce polymorphisme est associé à d’autres pathologies tels les troubles bipolaires, la dépression, la résistance à l’insuline, l’hypertension.

6 – D’autres facteurs diminuent la transformation de la T4 en T3 ou favorisent la formation de R-T3 au détriment de la T3, notamment : l’âge, le stress, l’obésité, certaines maladies comme le diabète, les excès de caféine, d’alcool, de tabac, de boissons « light », certains médicaments comme les bêta-bloquants, les sulfamides contenus dans les médicaments. Op. cit. 3

7 – Il s’agit d’extraits thyroïdiens standardisés de thyroïde de porc sous forme de poudre sèche prescrite en milligrammes alors que les hormones de synthèse sont prescrites en microgrammes. Il existe plusieurs marques dont Armour®, Erfa Thyroid® et autres. En effet, les hormones thyroïdiennes de porc sont les plus proches de celles de l’homme. Ces extraits secs ont un avantage très intéressant par rapport aux préparations de T3 et T4 : ils contiennent tout l’éventail des hormones thyroïdiennes T1, T2, T3, T4, ainsi que la protéine thyroglobuline (matrice à laquelle sont attachées les hormones thyroïdiennes, ce qui permet un relargage progressif dans la journée). Cette protéine est donc absorbée lentement par l’organisme et permet une diffusion lente sur 24h de l’hormone T3. Pleine santé, Dr Stéphane Résimont et Alain Andreu, Ed. Marco Pietteur

8 – À dose excessive, il tend à baisser l’immunité (d’où l’impact négatif sur la santé d’un stress chronique), mais à dose physiologique, il stimule la production des cellules T, augmente localement le taux de leucocytes granuleux, et le taux d’immunoglobulines IgG, IgA et IgM (appelé « profil immunitaire »). Op. cit. 7

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