Vaccin : l’Allemagne fait bloc face à l’offre américaine
Par Stéphane Roland, Correspondance à Berlin — 17 mars 2020 à 20:26
Berlin a opposé une fin de non-recevoir à Donald Trump, qui s’était rapproché du laboratoire CureVac pour s’approprier les résultats de ses recherches.
Pas question de céder le laboratoire CureVac aux Américains. Qu’importe le prix proposé en catimini par Donald Trump pour se réserver les droits exclusifs du vaccin développé par les scientifiques allemands ! Après la fin de non-recevoir de la chancelière allemande, Angela Merkel, c’est la présidente de la Commission européenne qui est passée à l’offensive en posant 80 millions de subventions sur la table pour stopper les convoitises de Washington.«Dans cette crise sanitaire, il est essentiel de soutenir nos chercheurs et nos industries technologiques de pointe. Nous sommes déterminés à alimenter financièrement CureVac pour accélérer le développement et la production d’un vaccin», a déclaré Ursula von der Leyen. L’enjeu est énorme : CureVac se dit en mesure de lancer les premiers tests cliniques dès juillet et mettre ce vaccin sur le marché à l’automne.
Coulisses
L’annonce n’a pas échappé à Donald Trump dont l’objectif est de servir l’Amérique d’abord. Surtout quand il s’agit de sauver des vies ! Le président américain n’a eu aucun scrupule à proposer début mars un milliard de dollars pour racheter ce laboratoire privé qui développe depuis janvier ce vaccin contre le Covid-19. L’offre malsaine de Trump a été démentie par Richard Grenell, l’ambassadeur américain à Berlin. Mais il ne s’agit aucunement de rumeurs, de fake news ou «d’exagérations» comme le font croire les sources diplomatiques américaines. «Je ne peux que confirmer ce que plusieurs membres du gouvernement m’ont déjà rapporté. Nous avons évoqué la question au sein de la cellule de crise», a assuré le ministre fédéral de l’Intérieur, Horst Seehofer.
Selon les informations du journal Die Welt am Sonntag, Trump a tenté de convaincre l’équipe de scientifiques de déménager aux Etats-Unis. L’objectif du Président étant, au final, d’obtenir ce vaccin «uniquement pour les Etats-Unis». On ignore ce qu’il s’est passé en coulisses. Mais une chose est sûre : l’ancien directeur du laboratoire, l’Américain Daniel Menichella, a rencontré Trump à la Maison Blanche le 3 mars, entouré des membres de la cellule de crise américaine sur le coronavirus, pour étudier les possibilités d’«accélérer la recherche sur ce vaccin». Trump aurait donc tenté d’amadouer à cette occasion le directeur avec des sommes d’argents importantes pour s’assurer ainsi l’exclusivité du vaccin. Quelques jours après cette visite, Menichella a été suspendu de ses fonctions «jusqu’à nouvel ordre» pour «raisons de santé». Son absence n’a rien à voir avec une infection au Covid-19, assure le laboratoire.
Artillerie
L’actionnaire de référence de cette entreprise créée en 2000 et installée à Tübingen dans le Bade-Wurtemberg a dû sortir de son silence pour assurer aux Européens qu’il ne céderait pas ses parts aux Américains. «Il n’est pas imaginable qu’une entreprise allemande développe un vaccin et que les Etats-Unis l’exploitent en exclusivité», a pesté Dietmar Hopp, l’une des plus grandes fortunes d’Allemagne. «Cela n’a jamais été une option pour moi», a-t-il ajouté dans une interview à la chaîne Sport 1. Dietmar Hopp est fondateur de la société de logiciels SAP et propriétaire de l’équipe de football d’Hoffenheim. Il a confirmé que Trump, avec lequel il n’est jamais entré en contact, avait approché les scientifiques. «[Le président américain] a parlé avec la société et on m’a demandé ce que j’en pensais. Avant même de répondre, je savais qu’il n’en serait jamais question, a-t-il dit. Nous voulons développer ce vaccin pour le monde entier et pas pour quelques Etats.»
Merkel et son gouvernement n’ont pas du tout apprécié les avances de Trump alors que le laboratoire travaille étroitement avec l’institut de sciences biomédicales Paul-Ehrlich qui appartient à l’Etat. Berlin a sorti la grosse artillerie avec des déclarations de plusieurs ministres. «Nous sommes déterminés à produire ce vaccin en Allemagne et en Europe», a contré Peter Altmaier, le ministre conservateur (CDU) de l’Economie, qui a promis d’utiliser son droit de veto, autorisé par une loi récente qui permet de retenir en Allemagne les entreprises jugées stratégiques.
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Ses alliés sociaux-démocrates (SPD) ont fait bloc derrière la chancelière. «On doit tout faire pour empêcher la vente d’un vaccin aux Etats-Unis. Le capitalisme a ses limites», a critiqué le député Karl Lauterbach, porte-parole du SPD pour les questions de santé. «Nous devons combattre ce virus ensemble. Pas comme concurrents», a ajouté Heiko Maas, le ministre fédéral des Affaires étrangères, pour souligner l’égoïsme de Washington.Stéphane Roland Correspondance à Berlin PARTAGER TWEETER