Le plomb de Notre-Dame, l’inadmissible déni
20 juillet 2019 Par Romaric Godin
Trente-trois ans après le « nuage de Tchernobyl », les autorités françaises passent du silence au déni sur le plomb relâché dans l’atmosphère par l’incendie de Notre-Dame. Une position justifiée par la politique et l’économie, mais difficilement soutenabl
Depuis plusieurs semaines, Mediapart révèle l’existence d’un sérieux problème de contamination au plomb dans la foulée de l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Le silence des autorités sur la question, mais aussi leur absence d’action concrète dans des cas aussi révoltants que celui des écoles proches du site, où les taux de concentration de plomb ont été parfois dix fois supérieurs à la moyenne, laissent sans voix.
Lorsque des enfants se voient menacés de souffrances futures, dans le silence et l’indifférence de la puissance publique, on ne peut que se rappeler d’un précédent sans doute plus grave, celui du fameux nuage de Tchernobyl en 1986.
Qu’on se rappelle alors la politique de l’autruche des autorités françaises, soucieuses de ne pas provoquer la panique, mais aussi de contenir toute future contestation du parc nucléaire hexagonal. À l’époque, contre l’évidence, les autorités scientifiques officielles pouvaient proclamer que « du point de vue de la santé publique, il n’y a aucun risque », comme le souligne ici une vidéo rétrospective de l’Institut national de l’audiovisuel des « mensonges » qui ont suivi l’accident dans la centrale ukrainienne. Du reste, la France était bien protégée du nuage radioactif par l’anticyclone des Açores…
Le nuage radioactif évite la France sur un graphique du journal télévisé d’Antenne 2 en 1986. © DR
On pensait néanmoins que ce type de pratique appartenait au passé, à « l’ancien monde ». On avait tort.
De toute évidence, la contamination au plomb des abords de la cathédrale a été massive dans les premiers temps. Le premier article sur le sujet publié par Mediapart a révélé qu’un document officiel faisait état de concentrations supérieures de 400 à 700 fois au seuil autorisé. Les cas de saturnisme existent. Le risque est patent. Et quelle est la réponse des autorités républicaines ? D’abord, le silence. Ni l’État, propriétaire du bâtiment, ni la mairie de Paris n’ont immédiatement informé les riverains et, plus généralement, le public du risque lié au plomb.
Dans les jours qui ont suivi l’incendie, il a été demandé à une personne chargée de la prévention des risques d’ôter une combinaison de protection « pour ne pas effrayer » le public. Pendant des semaines, les demandes des familles inquiètes ont été ignorées. Il a fallu les révélations de la presse pour que ce silence ne soit plus possible. Mais tout semble s’être passé comme si l’on avait voulu que cette question du plomb n’existât pas.
Le silence n’étant plus possible, c’est le déni qui a été la politique des autorités. La mairie de Paris a répété dans sa communication interne qu’il n’y avait pas de « concentration de plomb anormale ». Avant finalement, une fois l’article de Mediapart publié le 18 juillet, d’annoncer un grand nettoyage des écoles et crèches de la zone.
L’agence régionale de santé a systématiquement nié tout problème sanitaire malgré les relevés alarmants. Quant aux cas de saturnisme déjà relevés, ils sont systématiquement renvoyés à d’autres causes, selon une méthode habituelle dans ce type de cas. Le comble de ce déni est bien dans la manipulation des seuils, que l’on relativise ou que l’on noie dans des discussions byzantines. Avant finalement, ultime manipulation, de relever fort opportunément le seuil maximal autorisé de poussière de plomb sur les sols pour la seule ville de Paris.
Subitement, le danger qui apparaissait à 1 000 µg par mètre carré n’apparaît plus qu’à 5 000 ! Voilà qui tombe parfaitement bien pour rendre immédiatement inoffensives d’immenses zones proches de la cathédrale. Mais qui est dupe d’un seuil ad hoc, que l’on découvre subitement après l’incendie de Notre-Dame et qui cache mal une stratégie d’évitement ne visant qu’à endormir les crédules ?
Silence et déni sont donc les réponses à un risque sanitaire avéré. Une transparence complète permettrait pourtant de traiter le problème en profondeur et, pourquoi pas ?, de rassurer sur l’ampleur de cette pollution. Seulement voilà, le cas de Notre-Dame est sensible et cette stratégie « tchernobylienne » des autorités ne se comprend qu’à la lumière d’une double réalité.
Notre-Dame en flammes, le 15 avril 2019 © Patrick Artinian
La première, c’est évidemment l’enjeu économique. Notre-Dame, même détruite, est un pôle d’attractivité de touristes. Le gouvernement et la Ville, qui se sont montrés beaucoup plus empressés de venir au secours des commerces que de faire preuve de transparence sur la question du plomb, ne souhaitent évidemment pas mettre en avant un risque qui ferait fuir les touristes et causerait un dommage de réputation sur la zone jadis la plus visitée de Paris.
L’approche des Jeux olympiques et la hâte du président de la République à fixer une date de reconstruction qui s’y rapporte (même si nul ne croit réellement à sa faisabilité) montrent combien la priorité est bien à un retour rapide au « business as usual ». Il y a là naturellement une forme de « conjuration du silence » et de déni entre les commerçants, l’État, la mairie et même certains propriétaires, qui ne veulent évidemment pas voir chuter les prix d’appartements se négociant jusqu’à près de 16 000 euros le mètre carré pour une histoire de plomb, surtout s’il faut partir…
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La deuxième raison de ce silence, c’est bien entendu que le chantier de Notre-Dame a acquis une valeur symbolique particulière pour Emmanuel Macron. Rappelons que le président de la République avait annulé une intervention qui devait faire le bilan du « grand débat » le soir de l’incendie et qu’il l’avait remplacée, le lendemain, par une intervention lénifiante promettant une reconstruction rapide. Notre-Dame, c’est, comme nous l’avons écrit, un « hochet pour la vanité présidentielle » et un utile dérivatif pour sortir de la plus grande crise du quinquennat. Une crise sanitaire ferait évidemment le plus mauvais effet, pour un chantier que l’Élysée fait visiter comme un privilège à certains hôtes triés sur le volet.
Il a du reste fallu toute la pugnacité des sénateurs pour que, dans la loi d’exception adoptée le 17 juillet, l’article 9 qui, initialement, accordait au gouvernement la possibilité d’adopter des ordonnances dérogeant à toutes les normes, soit modifié. Désormais, ces ordonnances devront s’inscrire dans quelques principes généraux, dont le respect de la santé publique. Mais l’attitude de l’ARS et la manipulation des normes rendent cette précaution minimale bien peu convaincante. Par ailleurs le Sénat a rejeté la loi et refusé tout accord en commission mixte paritaire, en grande partie à cause de l’article 9.
N’est-il pas impensable que l’on ait donné les quasi-pleins pouvoirs sur cette matière à un gouvernement qui a traité et continue de traiter cette affaire de plomb avec aussi peu de sérieux ? Comme en 1986, les intérêts économiques et politiques prédominent sur la santé publique. Et comme en 1986, il manque dans cette République des contre-pouvoirs capables d’arrêter une telle folie, au risque de devoir, dans les prochaines années, ne pouvoir rien faire d’autre que de compter les victimes. Zone contenant les pièces jointesPrévisualiser la vidéo YouTube Le nuage radioactif de Tchernobyl ne touchera pas la France | Archive INALe nuage radioactif de Tchernobyl ne touchera pas la France | Archive INA