Les inquiétudes sur la dépendance des labos pharmaceutiques aux ingrédients chinois refont surface

 Par Jean-Yves Paillé  |   |  555  mot

En 2012, plus de 80% des ingrédients pharmaceutiques actifs utilisés par l'industrie pharmaceutique américaine étaient produits à l'étranger.En 2012, plus de 80% des ingrédients pharmaceutiques actifs utilisés par l’industrie pharmaceutique américaine étaient produits à l’étranger. (Crédits : reuters.com)

Les pratiques de plusieurs groupes chinois, accusés d’opacité sur leur production, inquiètent les autorités sanitaires aux Etats-Unis. Mais celles-ci restent relativement clémentes en raison de la dépendance des laboratoires pharmaceutiques américains aux composants produits par les sociétés chinoises.

La FDA (Food and drug administration), l’autorité sanitaire américaine, a adressé une lettre à Zhejiang Medicine, réclamant  « une évaluation des risques potentiels des défaillances observées ». La cause ? Les autorités de régulation américaines soupçonnent le groupe chinois, un fabricant d’antibiotiques, d’avoir caché les résultats de tests concernant ses produits, soupçonnés d’être contaminés. Dans une réponse adressée par mail, la société chinoise a promis d’agir et de changer ses pratiques, rapporte Bloomberg mardi 16 août.Si la FDA s’en mêle, c’est parce que Zhejiang Medicine fournit des ingrédients pharmaceutiques (API), nécessaires à la fabrications de certains médicaments, à des laboratoires américains.

Un cas loin d’être isolé

Le cas de Zhejiang Medicine n’est pas isolé. La FDA a déjà mis sur liste noire plusieurs dizaines d’usines chinoises. Ces dernières ne peuvent plus exporter leurs médicaments vers les Etats-Unis. Mais Zhejiang Medicine n’en fait pas partie. Il faut dire que cette société s’est associée avec Pfizer dont la fabrication vancomycin, un antibiotique largement utilisé aux Etats-Unis, dépend d’un ingrédient produit par le chinois.

Avec les inquiétudes concernant les pratiques de Zhejiang Medicine, les autorités américaines se retrouvent ainsi une nouvelle fois face à un dilemme : sévir et risquer une pénurie de certains médicaments, ou se montrer relativement souple quitte à laisser une marge de manœuvre.

Fin 2015, les autorités de régulations américaines ont adressé une lettre d’avertissement à Zhejiang Hisun, une autre société chinoise spécialisée dans la fabrication d’ingrédients pharmaceutiques. Durant une inspection, la FDA explique avoir observé des changements de données concernant les produits conçus dans l’usine située à environ 300 km de Shanghai. Elle souligne « des dossiers incomplets pour évaluer la qualité des médicaments » et cherche à « déterminer si ces médicaments étaient conformes aux spécifications et aux normes établies ».

La lettre réclame des actions concrètes pour remédier à ces lacunes. Si la FDA a interdit l’exportation de plusieurs ingrédients de la société chinoise aux Etats-Unis, elle l’autorise à exporter aux Etats-Unis une quinzaine d’autres ingrédients, dont neufs composants importants pour des traitements contre le cancer.

La dépendances des Etats-Unis aux ingrédients pharmaceutiques conçus à l’étranger

Avec la fabrication de médicaments dédiés à des pathologies grave, la production de composants de base est devenu l’autre priorité du secteur pharmaceutique chinois. Et les Etats-Unis en dépendent: en 2012, plus de 80% des ingrédients pharmaceutiques actifs utilisés par l’industrie pharmaceutique américaine étaient produits à l’étranger, et la plupart en Inde et en Chine.

En 2009, le patron du laboratoire pharmaceutique indien Cipla témoignait à sa façon de la dépendance de l’industrie pharmaceutique à la Chine : « Si demain la Chine cesse de produire des ingrédients pour les fabricants de médicaments, l’industrie pharmaceutique mondiale s’effondrerait. »

Le souvenir du scandale de 2008

Outre la dépendance des laboratoires pharmaceutiques à de nombreux composants, les autorités de régulation américaines peuvent difficilement se permettre d’être trop souples, à cause d’un scandale survenu en 2008.

L’heparine, un anticoagulant conçu avec des ingrédients chinois contaminés était lié à la mort de 246 personnes, comme le rappelle la revue spécialisée Fierce Pharma.

Fabrication de médicaments : les sous-traitants français profitent des déboires asiatiques

 Par Jean-Yves Paillé  |   |  756  mo
Les sociétés françaises concevant des molécules ou des principes actifs pour des tiers travaillent insuffisamment sur les nouveaux types de médicaments produits par les biotechs, juge le rapport d'Alcimed.
Les sociétés françaises concevant des molécules ou des principes actifs pour des tiers travaillent insuffisamment sur les nouveaux types de médicaments produits par les biotechs, juge le rapport d’Alcimed. (Crédits : Reuters)
Les producteurs de principes actifs et de médicaments pour des tiers enregistrent une croissance solide. La réputation des deux géants mondiaux, la Chine et l’Inde, est entachée par de multiples scandales, ce qui permet à la France de bénéficier du regain d’intérêt des grands laboratoires. Ces derniers anticipent les risques sanitaires.

Jusqu’à aujourd’hui, les données sur les producteurs sous-traitants français de principes actifs et de médicaments étaient quasi inexistantes. Et selon un rapport du cabinet Alcimed dévoilé jeudi 9 mars, il se porte très bien. 86 entreprises, des PME et quelques ETI embauchant 17.000 salariés, génèrent 3,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel en France en produisant des principes actifs (1,6 milliard d’euros de revenus) et des médicaments pour des tiers (2 milliards d’euros). La moitié d’entre elles enregistre plus de 5% de croissance annuelle. Preuve de la solidité du secteur, suite à la crise de 2008, il a « mieux résisté que d’autres métiers à la baisse généralisée des emplois de l’industrie pharmaceutique (-9800 depuis 2008) », explique le rapport

Dans le détails, les fabricants français bénéficient d’un positionnement au dessus de la moyenne mondiale dans presque tous les domaines de production, et plus particulièrement dans les princeps (médicament original) biologiques et les principes actifs à haute activité. L’Hexagone fait partie des leaders dans les formes solides orales, les suppositoires et les unidoses. Le seul retard à déplorer est dans le secteur des biosimilaires.

« Parmi leurs principaux points forts, les entreprises françaises ont une expertise historique et les salariés jouissent de formations de haut vol. Les sociétés françaises sont une référence dans le secteur. Elles ont également une capacité de production importante », s’enthousiasme Géraldine Börtlein, membre d’Alcimed, lors d’une présentation à Bercy, jeudi.

Et d’ajouter: « La France jouit également d’un haut de niveau de qualité de production, grâce à une réglementation stricte. »

Les autorités sanitaires serrent la vis, les labos investissent plus dans la qualité

En insistant sur l’aspect qualitatif, l’Hexagone fait mieux que résister à la concurrence féroce de la Chine et de l’Inde, les deux premiers marchés mondiaux: elle grignote leurs parts. La France bénéficie particulièrement de relocalisations de productions issues de ces deux géants asiatiques, estime Géraldine Börtlein.

Les grands laboratoire « reviennent en Europe pour produire leurs principes actifs. […] Ces derniers sont prêts à augmenter légèrement leurs coûts pour garantir la qualité de leur approvisionnement en pricnipes actifs », explique le rapport d’Alcimed.

Si l’Inde et la Chine  produisent 60 à 80% des principes actifs en volume mondial, très axé sur les génériques et biosimilaires, plusieurs problèmes survenus ces dernières années ont entaché la réputation des deux géants et entrainé un durcissement réglementaire des Agences des médicaments européenne et américaine. En juillet 2015, par exemple, l’Agence européenne des médicaments a interdit pas moins de 700 génériques conçus en Inde. Deux ans plus tôt, un rapport sénatorial s’inquiétait de « sérieuses lacunes en termes de traçabilité des produits de santé importés en Europe ».

Outre-Atlantique, les Etats-Unis s’inquiètent également. Certains fabricants chinois sont  en porte-à-faux avec le pays à propos de composants chimiques nécessaires à la fabrication de médicaments, dont la production est jugée opaque, et concernent parfois des anticancéreux. L’Agence américaine des médicaments a déjà sévi, comme en 2015 contre Zhejiang Hisun, lui interdisant d’exporter certains composants outre-Atlantique.

La France devrait continuer à tirer profit des déboires des deux géants asiatiques dans les années à venir, estime Géraldine Börtlein. Mais elle ne sera pas seule et sera concurrencée par des pays « comme la Pologne qui sont en train de développer une production de grande qualité », ajoute-t-elle.

Des risques dans les années à venir

Néanmoins, le producteurs français devront faire face à des défis difficiles à relever. « La pression sur les prix des médicaments pourrait entrainer une dégradation de l’emploi dans la production pour tiers de médicaments« , estime le rapport d’Alcimed. Egalement, la sérialisation des médicaments qui sera imposée aux entreprises européennes 2019 (les fabricants devront faire en sorte que chaque boîte de médicaments délivrée sous ordonnance soit identifiée à l’aide d’un code unique) devrait entraîner des surcoûts pour les sociétés.

Enfin, les fabricants français travaillent insuffisamment sur les nouveaux types de médicaments produits par les biotechs, juge le rapport du cabinet de conseil. Géraldine Börtlein reste optimiste sur ce point-là: « Les sociétés françaises ont les moyens de concevoir tous les types de médicaments et de principes actifs. Elles ont surtout besoin d’améliorer leur visibilité. »

 

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