Paris, le jeudi 8 mars 2018 – Que l’on attribue à un effet nocebo ou au contraire à la composition du médicament les milliers de signalements d’effets secondaires associés au nouveau Lévothyrox, l’idée soutenue par certains qui voudrait qu’il existe une tromperie volontaire à l’origine de cette situation est difficile à étayer. Car quel aurait été l’intérêt pour l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et pour les laboratoires Merck de procéder à la modification d’un produit qui jusqu’alors n’avait que très peu fait parler de lui (si non en bien !) ? Les déboires actuels pourraient même, si l’on ne craignait pas d’être exposé à de virulentes remontrances, inciter à désigner l’industriel et l’agence comme des victimes secondaires de l’affaire. C’est en effet mue d’une intention louable que l’autorité du médicament a pressé le laboratoire de faire évoluer la formule du produit, afin que sa stabilité réponde mieux aux besoins des patients. Le fait d’ailleurs que l’ordre ait été initié par l’ANSM paraît discréditer la thèse, fréquente dans ce type d’affaires, d’une pression mercantile éloignée des intérêts des malades.
Instabilité : études indisponibles
Certains pourtant mettent en doute cette version. Dès l’éclatement de l’affaire, d’aucuns se sont intéressés à cette instabilité de l’ancienne formule. On a ainsi pu reprocher à l’ANSM de s’être basée sur des études très restreintes pour décider de l’existence d’un défaut nécessitant une modification. Cependant, plusieurs endocrinologues ont pu témoigner que les difficultés d’équilibration du traitement n’étaient pas si rares. Néanmoins, certains doutent toujours d’une réelle nécessité. En tout état de cause, journaliste membre du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), Aurore Gorius indiquait interrogée récemment par le Magazine de la Santé sur France 5 qu’il était aujourd’hui impossible de consulter les études ayant conduit l’ANSM à prendre sa décision, en raison des procédures judiciaires en cours.
L’ANSM a-t-elle voulu faciliter les affaires de Merck Serono ?
Cependant, à supposer que l’évolution de la formule n’ait pas répondu à un réel impératif d’amélioration de la qualité du traitement, demeure toujours l’interrogation de la raison pour laquelle cette mesure a été prise. Aurore Gorius émet l’hypothèse d’une volonté des laboratoires Merck de privilégier une production mondiale de Lévothyrox sans lactose, un excipient très mal toléré sur le marché asiatique, marché convoité par l’ensemble des laboratoires pharmaceutiques. Le souhait de voir son médicament introduit en Chine ou en Asie n’a de fait pas été caché par Merck : des documents stratégiques l’attestant étaient accessibles facilement sur internet jusqu’à récemment et sont présentés sur le site Les Jours pour lequel travaille Aurore Gorius. Même s’il serait nécessaire d’étayer cette piste (Merck aurait pu faire le choix de deux productions distinctes, tandis que sa volonté d’éviction du lactose pourrait également répondre à une préoccupation croissante en Europe), pour constituer un début de suspicion de tromperie il faudrait que le changement de formulation ait été initié par Merck. C’est pourtant l’ANSM qui en a eu l’initiative. Certes, mais la lettre par laquelle l’ANSM a averti Merck de sa volonté de voir la composition modifiée a été signée par le professeur Philippe Lechat qui avait auparavant régulièrement travaillé pour Merck, comme le révèlent Anne Gorius et Les Jours. Là encore, la démonstration n’est pas suffisante pour pouvoir affirmer l’existence d’un réel conflit d’intérêt, notamment parce que, comme le confirme elle-même Aurore Gorius, Philippe Lechat n’a jamais contribué à des travaux concernant le Lévothyrox pour le compte de Merck et aussi parce qu’il n’existait plus de lien entre le laboratoire et lui au moment de la décision. Il semble donc que seule la justice pourra déterminer si cette piste permet de confirmer l’existence d’une réelle influence.
Le Lévothyrox a perdu un tiers de son marché l’automne dernier
Pour Aurore Gorius, elle ne semble guère faire de doute, comme ne fait aucun doute l’existence d’une véritable crise sanitaire. La journaliste affirme notamment que les 17 000 signalements recensés par l’ANSM ne correspondent pas à la réalité. D’abord parce que ces chiffres remontent à novembre, ensuite parce que les plateformes de signalements sont surchargées et enfin parce que beaucoup de patients auraient renoncé à déclarer leurs troubles (argument qui a ses limites puisqu’on pourrait également remarquer parallèlement que beaucoup de personnes ayant fait une déclaration n’ont pu présenter que des effets minimes et/ou non liés au médicament). Pour Aurore Gorius, il y a une claire minimisation de la situation par les autorités sanitaires. Ce sentiment est partagé par l’association Vivre sans thyroïde qui estime pour sa part à un million le nombre de personnes ayant abandonné le Lévothyrox. Pour obtenir un tel chiffre, elle se réfère à la base statistique publiée début février par l’Assurance maladie concernant les volumes de tous les médicaments remboursés. Cette base fait apparaître que le Levothyrox a perdu un tiers du marché au quatrième trimestre 2017 (31 %). Compte tenu du fait que trois millions de personnes étaient traitées en France avant la crise, Vivre sans thyroïde considère que jusqu’à un million de personnes pourraient avoir abandonné le Lévothyrox. Faut-il pour autant considérer qu’il s’agit de la preuve absolue d’un réel défaut du médicament et non pas uniquement d’une conjonction entre une adaptation difficile pour certains et un effet nocebo amplifié par les réseaux sociaux pour beaucoup d’autres ? Aucune preuve supplémentaire n’est apportée en la matière.
Diane Caulet