Vente en ligne de Levothyrox : des malades vont déposer plainte
Au téléphone, la voix est particulièrement avenante. « Je connais bien les symptômes avec la nouvelle formule du Levothyrox. Là, vous avez des médicaments bien contrôlés, pas dangereux ! », tente de convaincre notre interlocuteur. « Là », c’est sur différents sites Internet, dont Dokteronline. Nous avons pu joindre, sans préciser que nous étions journalistes, son service clients. En un clic, on peut s’y procurer « en ligne » et « sans ordonnance » ce qui est présenté comme de l’Euthyrox 100 mcg, nom européen du comprimé de Merck, équivalent à l’ancienne formule du Levothyrox. Pour rappel, la nouvelle version de ce médicament de la thyroïde prescrit à près de trois millions de Français fait polémique, accusée par des patients de provoquer d’importants effets indésirables.
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La récente mise à disposition temporaire (et limitée) d’Euthyrox dans les pharmacies françaises n’a pas suffi à calmer les esprits. « Ces sites jouent sur la peur des gens de ne pas avoir leur traitement », accuse Gérard Bapt, ancien député (PS) spécialiste des questions de santé. Problème : en ligne, ce Levothyrox est cédé à prix d’or. Récemment, on trouvait même une enchère (retirée depuis) à 40 000 € sur eBay !
Sur Dokteronline, le médicament est vendu 107,50 € quand il coûte moins de 4 € en pharmacie. « Il y a une consultation médicale », justifie le service clients. Evidemment, vous ne voyez pas de médecin mais remplissez un questionnaire : « Si le médecin a des questions, il vous envoie un mail, sinon, pas de problème », explique-t-on. Mais surtout, personne ne sait d’où viennent les médicaments dont on reconnaît le packaging de Merck. « Bien sûr, pas de nous », confirme le laboratoire.
Une vente en ligne interdite
Alain Delgutte, président du Conseil central de l’ordre des pharmaciens, s’intéresse lui aussi de près à ces sites. « Dokteronline est référencé comme une plate-forme faisant l’intermédiaire avec des pharmacies anglaises ou allemandes. Mais qui dit que cet Euthyrox est authentique ? Il ne faut pas le commander mais consulter son médecin », recommande-t-il.
Et de rappeler la loi en vigueur : « En France, il est interdit de vendre en ligne des médicaments prescrits sur ordonnance. Or, c’est le cas pour Levothyrox comme Euthyrox. » Oui, mais au téléphone, le site nous indique être basé aux Antilles néerlandaises : « La règle, c’est le pays de destination. Personne ne peut vendre en France un produit sur ordonnance quand bien même celui-ci serait en vente libre dans un autre pays », rétorque Alain Delgutte.D’autant plus que le « conseiller » au bout du fil assure que nous pouvons « couper » le comprimé d’Euthyrox s’il n’est pas au bon dosage… « Pure folie ! Ce médicament doit être pris au gramme près, sinon c’est très dangereux » s’offusque Chantal L’Hoir, présidente de l’Association française des malades de la thyroïde. L’avocate de l’association, Marie-Odile Bertella-Geffroy, nous annonce avoir préparé contre ces sites une plainte pour mise en danger de la vie d’autrui qu’elle déposera dans les jours qui viennent.
Les malades ne désarment pas
Tombé mercredi soir, le communiqué de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) se voulait rassurant. Non seulement le gendarme du médicament y annonce l’arrivée « durable » ce lundi d’un nouveau médicament pour les patients souffrant de la thyroïde, le L-Thyroxin Henning du laboratoire Sanofi, mais il dédouane aussi le Levothyrox dont Merck a modifié la formule à sa demande. « Tous les effets indésirables témoignent d’un déséquilibre thyroïdien en lien avec le changement de traitement. Aucun effet indésirable d’un type nouveau, qui serait spécifique de la seule nouvelle formule, n’a été retrouvé », note l’ANSM évoquant fatigue, maux de tête, douleurs musculaires, perte de cheveux… « De qui se moque-t-on ? C’est la négation de la souffrance de tant de patients », s’agace Chantal L’Hoir, la présidente de l’Association française des malades de la thyroïde (AFMT). Mardi, avec d’autres membres de l’association et un conseiller scientifique, elle se rendra à l’Assemblée nationale pour redire le désespoir des patients. Après avoir déposé quelque 50 premières plaintes ces dernières semaines, l’association s’apprête à mener une nouvelle plainte collective, avec près de 150 autres dossiers.
Le Parisien