Affaire du Levothyrox. « On a servi de cobayes », dénoncent des malades à Toulouse
Des analyses, dévoilées à Toulouse, confirment que le changement de formule du Levothyrox a engendré des effets secondaires. Une cause portée par l’AFMT depuis 2017.
Par Margot FourniePublié le 18 Avr 24 à 16:01
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« Nous avons attendu cinq ans pour avoir les résultats », s’exclame Chantal L’Hoir, présidente de l’Association française des malades de la thyroïde (AFMT). Et les résultats dévoilés ce mercredi 17 avril 2024, à Toulouse, par l’association sont sans équivoque.
Grâce aux 1000 boîtes de Levothyrox, que l’association a récolté auprès de malades, les analyses ont pu montrer que la composition du médicament produit par le laboratoire Merck a changé au moins 12 fois à partir de 2017, sans communication.
« On a découvert, entre-autre, qu’il a des phospholipides en quantité inattendue et non déclarée« , affirme Jacques Guillet, conseiller scientifique de l’association.
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Le moindre dérèglement dans la formule a des effets secondaires
Le problème est que cet additif, comme les autres impuretés mises en avant par les nouvelles analyses, interagit avec le lévothyroxine. Leurs échanges peuvent provoquer des effets indésirables chez les malades.
Et ils sont nombreux. Le moindre dérèglement dans la formule entraîne « des troubles cardiaques, envies suicidaires, chutes, dépression », insiste Gérard Bapt, ancien maire de Saint-Jean et ancien député de la Haute-Garonne. Il est aujourd’hui responsable national de l’association.
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Les résultats ont amené beaucoup de soulagement chez les malades
Chantal L’Hoir peut enfin faire un pied de nez aux praticiens qui ont déclaré que tout ça, c’était un « effet nocebo », quelque chose de purement psychologique.
Elle avance que les malades se sont également heurtées à de la misogynie.Vidéos : en ce moment sur Actu
« La plupart des malades sont des femmes et par les temps qui courent, les femmes sont émotionnelles. Nous sommes des folles. C’est ce que l’on nous disait », s’exclame-t-elle.
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« On a servi de cobayes »
Avant 2017, il n’y avait qu’un traitement pour lutter contre les problèmes de thyroïde pour les trois millions de personnes touchées en France. Merck avait un monopole de fait.
« C’était une situation unique en Europe. On a servi de cobayes », assène Chantal L’Hoir.
Pourquoi la composition du traitement a-t-elle changé ? « C’était une demande de l’ANSM [l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, NDLR]. Elle voulait que le traitement soit plus fiable. Ça nous a interloqués parce que l’ancien avait peu d’effets indésirables. Il était utilisé depuis 30 ans. On ne croit pas aux arguments de l’ANSM », assène Gérard Bapt.
« Agnès Buzyn nous a dit que ce n’était qu’une question d’adaptation »
Pour rappel, son association, l’AFMT, a alerté les autorités dès les premières plaintes de malades. Elles sont survenues après le changement de formule en mars 2017.
Chantal L’Hoir assure que dès le « mois de juillet 2017, on a rencontré la ministre de la Santé. Agnès Buzyn nous a dit que ce n’était qu’une question de temps d’adaptation et le numéro vert est dirigé vers le standard de notre association. »
Résultats : 24 appels par minute. L’AFMT est débordée.
« Une étude comme celle-là, ne serait jamais passée dans une revue scientifique »
En septembre, « Agnès Buzyn nous dit que ce n’est pas normal d’avoir un seul traitement. ‘Avec moi, vous en aurez cinq’. Elle a tenu parole », reprend Chantal L’Hoir.
Puis, en octobre, l’ANSM commence à bouger. Elle rend une étude de bioéquivalence, à la Direction générale de la santé, qui doit permettre de prouver que le traitement n’a pas changé. Pour la réaliser, 204 volontaires, non-malades, des hommes, ont pris le traitement. Un nombre inhabituel de participants, qui a eu un impact sur les résultats.
« Une étude comme celle-là, ne serait jamais passée dans une revue scientifique. Nous, on a demandé que des analyses soient faites », reprend Jacques Guillet, conseiller scientifique de l’association.
Les deux traitements ne sont pas interchangeables
En conséquence, quelques mois plus tard, une équipe toulousaine, menée par le docteur Pierre-Louis Toutain, montre que les deux traitements ne sont pas interchangeables.
« Le CNRS a vu que des impuretés avaient été introduites humainement. Ils ne sont pas allés plus loin dans la composition », affirme Jacques Guillet. L’association se tourne alors vers un laboratoire privé pour avoir des précisions. Aucun ne veut s’en charger.
« On a essayé de trouver un laboratoire en Belgique, en Espagne. Mais personne ne voulait le faire parce que ça touchait à Merck. Il nous restait la voie universitaire. Le docteur Toutain s’est adressé à une université en République tchèque, qui a accepté de faire des analyses », explique Chantal l’Hoir.
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Des poursuites juridiques sont en cours
Les nouvelles analyses vont permettre de faire des avancées du côté juridique. C’est en tout cas ce qu’espère Sylvie Chéreau, la présidente du collectif des victimes du Levothyrox.
« Je prenais du Levothyrox depuis 2003. J’ai cru mourir avec la nouvelle formule. Je ne comprenais pas ce qui se passait. En septembre 2017, on m’a amené en Espagne. J’ai retrouvé l’ancienne formule et ma vie a repris. À côté, Agnès Buzyn disait qu’il n’y avait pas de problème. Pour moi, j’ai été empoisonnée« , raconte cette dernière.
Elle commence alors à se battre pour que l’ancienne formule soit toujours accessible. Dans la foulée, elle se fait représenter par Maître Jacques Lévy.
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« Le rapport d’expertise rendu par les trois experts toulousains en 2019 est une honte »
Suite à leur action combinée, Merck est condamné le 14 novembre 2017 à fournir « sans délai » l’ancienne formule, par le tribunal de grande instance de Toulouse. Il a demandé en novembre 2018 à ce que des expertises soient réalisées.
Mais « le rapport rendu par les trois experts toulousains en 2019 est une honte. Il n’y a pas eu d’analyse », affirme Me Jacques Lévy.
Face à cette situation, Maître Jacques Lévy avait demandé un changement d’expert en cour d’appel. Il ajoute qu’elle « nous a renvoyés vers le Tribunal administratif de Montpellier. On est en attente de sa réponse. »
Les nouveaux résultats sont déterminants
Les résultats des nouvelles analyses « sont déterminants. Ils vont permettre de relancer l’affaire de Toulouse. »
À côté, Maître Lévy représente aussi des malades à Lyon. Il souffle qu’il y a « une procédure à Lyon pour les malades. Là-dessus, il y a aussi une plainte de l’association au pénal. La résolution n’arrivera pas avant trois ans. Merck va se battre jusqu’au bout. »
Pour rappel, l’ANSM a été mis en examen pour « tromperie » en 2022. La filiale française de Merck a été mise en examen pour « tromperie aggravée » la même année.