Quand la bureaucratie étouffe la science : un cri d’alerte au CNRS

Le replay de « Voyage en absurdie », la chronique matinale d’Emmanuelle Ducros sur Europe 1

Publié le 6 décembre 2023 à 12:49 – Maj 6 décembre 2023 à 13:08

Emmanuelle Ducros

Un scientifique qui rend aux autorités académiques la médaille du CNRS qu’il a reçue pour la qualité de ses travaux. Le symbole d’un grand ras-le-bol. Pourquoi un tel geste ?

Ce chercheur s’appelle Pierre Rochette, il est géophysicien, professeur à Aix-Marseille. Une star dans son domaine. Il a signé avant-hier dans Le Monde une tribune au titre choc : « Ma médaille d’argent du CNRS m’inspire aujourd’hui du dégoût ». Cette médaille, il l’a reçue en 2006, pour ses travaux sur le magnétisme des roches. Il en a été très fier. Désormais, elle le ramène, dit-il, « à la maltraitance généralisée à laquelle le CNRS refuse de remédier. » Il a décidé de la renvoyer à la direction du CNRS. Il appelle les autres médaillés, la crème de la crème de la recherche française, à faire de même, et à le faire savoir.

Maltraitance généralisée ! C’est fort ! De quoi parle-t-il ?

De l’incroyable bureaucratie qui a gagné tous les rouages du CNRS et qui finit par paralyser totalement la recherche, et qui crée frustration, découragement, résignation.

Il donne des exemples ?

Plusieurs. Des nouveaux logiciels, supposés aider à rassembler les pièces administratives pour organiser les déplacements financés par le CNRS qui se révèlent « un calvaire indescriptible » et poussent les chercheurs à renoncer à leurs missions. Ils s’appellent par exemple Notilus et Goelett, ils sont en plein naufrage. Un juridisme pointilleux et une inflation paperassière, qui ont transformé techniciens et chercheurs en remplisseurs de formulaires. Sans parler des contrats et projets qui achoppent, car le fatras administratif les met hors délai. Les chercheurs ne parviennent plus à avoir accès aux crédits, qui pourtant sont là.

Son constat est-il isolé ?

Il n’est pas le seul à le faire. Des pétitions tournent, signées par plus de 3.700 chercheurs, dénonçant la déconnexion entre l’administration et les pratiques de recherche. Un rapport du conseil scientifique du CNRS, intitulé « Les entraves à la recherche » a aussi souligné le problème. Et enfin un rapport d’experts internationaux commandé par l’administration en 2021, qui appelle à « une action commando » face au « fardeau bureaucratique » qui écrabouille le CNRS.

C’est grave docteur ?

Oui, cette recherche entravée pousse les jeunes chercheurs français à aller chercher ailleurs conditions de travail normales. Les autres, dit Pierre Rochette, « se résignent et voient leur production scientifique ralentir ». Traduction : une chute continue du nombre de travaux scientifique publiés en France. Notre pays subit une dégringolade inédite dans le classement des contributions à la recherche mondiale. En queue de peloton de l’OCDE, sous la moyenne mondiale depuis 2019, selon le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche.

C’est un gâchis. La France consacre quatre milliards d’euros à la recherche chaque année. Des moyens assez constants, mais qui se perdent dans les méandres d’une administration devenue folle. Simplifier n’est pas seulement un enjeu pour les entreprises, c’est aussi une condition vitale pour ne pas finir de saborder nos domaines d’excellence.

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