Plus il y a de vignes, plus le risque de leucémie augmente pour les enfants

Plus il y a de vignes, plus le risque de leucémie augmente pour les enfants

L’étude met en évidence «une augmentation modérée du risque de leucémie» lorsque les abords des domiciles conmprennent une importante proportion de vignes. – luigifab / CC BY-SA 3.0 / Wikimedia Commons

Une étude française a observé le lien entre la densité des vignobles près des maisons et le nombre de leucémies aiguës chez les enfants. Plus les vignes sont présentes, plus le nombre de ces cancers augmente.

Plus la densité de vignes est importante autour du domicile d’un enfant, plus il présente de risques de développer une leucémie aiguë. Ce résultat d’une équipe de chercheurs de l’Inserm (Institut national de la santé et la recherche médicale) est publié dans la revue Environmental Health Perspectives ce mercredi 18 octobre.

Les scientifiques ont observé que quand la densité de vignes autour de la résidence des enfants augmentait de 10 %, le risque de leucémie lymphoblastique — qui représente 80 % des leucémies aiguës de l’enfant — augmentait également de 10 %.

« Nous mettons en évidence une augmentation modérée du risque de leucémie », dit Stéphanie Goujon, autrice de l’étude, chercheuse à l’Inserm au sein de l’équipe Epicea, spécialisée sur l’épidémiologie des cancers de l’enfant et de l’adolescent.

« Les régions où l’association est la plus nette sont celles où la densité de vignes est la plus élevée », dit Stéphanie Goujeon. Palauenc05 / CC BY-SA 3.0 / Wikimedia Commons

Les données sur les risques de cancers en fonction de la proximité aux cultures agricoles sont encore rares. Un sujet sensible, voire tabou, en particulier dans les régions viticoles, comme l’avait constaté Reporterre dans le Beaujolais. Le projet Géocap-Agri, dans lequel s’inscrit cette étude, vise donc « à déterminer si le fait de résider à proximité de certaines cultures (vignes, arboriculture, maïs, etc.) augmente le risque de certains cancers chez les enfants de moins de 15 ans en France métropolitaine »explique Santé Publique France.

Ici, les chercheurs ont décidé de s’intéresser aux vignes car cette culture à l’avantage d’être pérenne, donc plus facile à localiser. Elle est aussi « soumise à un usage intensif des pesticides », expliquent les auteurs de l’étude.

Ils ont choisi de travailler sur l’association avec les leucémies — des cancers des tissus responsables de la formation du sang — car « on avait besoin d’une population large », explique Stéphanie Goujeon, « et les leucémies représentent un tiers des cancers de l’enfant. Par ailleurs, beaucoup de travaux suggèrent un lien entre l’exposition professionnelle et domestique aux pesticides pendant la grossesse et les leucémies. »

Une étude sur près de 4 000 enfants touchés

Une première étude de la même équipe, publiée en 2020, s’était intéressée à l’échelle des communes et avait montré qu’il y avait plus de risques de leucémies pour les enfants dans celles où l’on cultive la vigne. « Cette fois-ci, nous sommes passés à l’échelle individuelle, avec les adresses de résidence précises », poursuit l’épidémiologiste.

Pour cela les chercheurs ont utilisé le registre national des cancers de l’enfant (RNCE) sur la période 2006-2013. Ils y ont recensé 3 711 enfants de moins de 15 ans atteints de leucémie sur la période. Ils ont également constitué un groupe témoin de 40 196 enfants. Leurs adresses de résidence ont été localisées grâce au registre fiscal. Puis un rayon de 1 000 mètres autour de chaque domicile a été tracé, dans lequel la présence des vignes a été quantifiée.

La quantité de vignes compte plus que la simple présence

Le plus difficile a été de localiser les parcelles de vignes dans toute la France. Les chercheurs ont dû utiliser trois bases de données pour constituer leur propre carte, « parce qu’il n’existe pas en France de données complètes et précises pour localiser l’ensemble des parcelles en culture », regrette Stéphanie Goujeon. Une fois ce gros travail effectué, ils ont enfin pu questionner leurs données.

L’équipe s’est d’abord demandé si on trouvait une différence entre les enfants vivant à moins d’un kilomètre de vignes et les autres. Le résultat est négatif. « La simple présence de vignes à moins de 1 000 mètres de l’adresse de résidence ne semble pas en soi être un facteur de risque de leucémie », explicite l’Inserm dans son communiqué.

Cela n’a pas surpris Stéphanie Goujeon. « Pour beaucoup d’enfants, les parcelles représentent une petite surface dans leur périmètre de résidence ou sont en bordure du périmètre des 1 000 mètres », précise-t-elle. « Les trois quarts des enfants qui ont de la vigne autour de leur domicile en ont sur moins de 25 % de la surface autour de chez eux. »

Des chiffres « significatifs »

Les chercheurs se sont donc intéressés à un indicateur plus précis : ils ont examiné le lien entre la densité de vignes autour du domicile de l’enfant (qui allait dans la majorité des cas de 0 % à 60 % de la surface, dans ce cercle de 1 000 mètres autour du domicile), et la probabilité de développer une leucémie. Là, le lien s’est avéré positif. « Il y a une augmentation du risque de leucémie aiguë de 4 %, quand la quantité de vignes augmente de 10 % », nous apprend la chercheuse.

Quand on ne regarde les résultats que pour une catégorie précise de leucémies, celles de type « lymphoblastique », qui représentent 80 % des leucémies chez l’enfant, le risque est même supérieur. Il augmente de 10 % quand la densité de vignes augmente aussi de 10 %. Des chiffres pas spectaculaires, mais « significatifs », souligne Stéphanie Goujeon.

Les associations qui suivent le dossier demandent à l’État de revoir le décret dit de protection des personnes qui n’impose des zones non traitées par des pesticides que de 3 à 10 mètres. Christian Ferrer / CC BY-SA 3.0 / Wikimedia Commons

Les chercheurs ont également remarqué une « association statistique significative » pour les régions viticoles, à savoir les Pays de la Loire, le Grand-Est, l’Occitanie, et la Provence-Alpes-Côte d’Azur-Corse. « Les régions où l’association est la plus nette sont celles où la densité de vignes est la plus élevée », fait remarquer Stéphanie Goujeon.

En revanche la Nouvelle-Aquitaine, où se situe le Bordelais, y échappe. La scientifique admet ne pas avoir d’explication précise à cela. « On est prudents dans les interprétations des résultats régionaux », indique-t-elle. « On a construit un indicateur fait pour être fiable à l’échelle nationale. Si on raisonnait région par région, on aurait peut-être d’autres indicateurs. »

« Nous demandons des périmètres de protection autour de tous les lieux de vie »

En conclusion de leur papier, les auteurs estiment que « ce résultat renforce l’hypothèse selon laquelle l’exposition environnementale aux pesticides peut être associée à la leucémie lymphoblastique chez l’enfant. » L’étude était très attendue. Elle avait été lancée en 2016 à la suite de l’alerte lancée par des parents d’enfants malades et une enseignante à Preignac en Gironde, rappellent nos confrères de Basta.

L’annonce des résultats était sans cesse repoussée. Finalement, une première présentation — alors que l’étude n’était pas encore publiée — avait eu lieu fin juin au ministère de la Santé. « Nous demandons à l’État de revoir […] le décret dit de protection des personnes qui n’impose des zones non traitées par des pesticides de synthèse que de 3 à 10 mètres. Nous demandons aussi des périmètres de protection autour de tous les lieux de vie, écoles, crèches, terrains de sport et habitations compris », avaient réagi dans un communiqué les associations qui suivent ce dossier de l’exposition des riverains aux pesticides [1].

De leur côté, les scientifiques prévoient de poursuivre les recherches selon trois pistes : les liens entre les leucémies et d’autres types de cultures, les liens avec d’autres types de cancer chez l’enfant, et de s’intéresser plus précisément aux types de traitements pesticides utilisés sur les cultures pour mieux évaluer à quelles substances sont exposés les enfants.

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