Conduite à tenir devant un goitre plongeant
2309 11 – Véronique Kerlan La Revue du Praticien Médecine Générale
Le goitre plongeant est plus fréquent après l’âge de 50 ans, avec un sex ratio de 1/4. Le diagnostic repose sur l’imagerie, qui est de plus en plus souvent le mode de révélation.
Découverte d’un goitre plongeant
La découverte est souvent fortuite – lors d’un examen morphologique thoracique par radiographie ou scanner (figures) – ou liée à des signes fonctionnels – présence d’une dysthyroïdie ou d’une compression.
Le goitre est considéré comme cliniquement plongeant quand la palpation thyroïdienne ne permet pas d’atteindre le pôle inférieur des lobes thyroïdiens en position assise, à la déglutition ou en décubitus dorsal.
À l’échographie, il est considéré comme plongeant quand la partie basse du goitre n’est pas visualisée.1
L’interrogatoire recherche des facteurs favorisant la goitrigenèse ; ils peuvent être génétiques (antécédents familiaux), environnementaux (carence iodée, tabac), hormonaux (parité).
L’examen clinique précise le caractère homogène ou hétérogène, recherche des signes de dysthyroïdie et de compression des organes de voisinage, qui font la gravité du goitre plongeant : le plus fréquemment, il existe une dyspnée positionnelle due à la compression trachéale ; la dysphagie liée à la compression œsophagienne est, par ordre de fréquence, le deuxième symptôme retrouvé ; la dysphonie apparaît en cas de compression récurrentielle ; il faut également rechercher des signes de compression veineuse (turgescence jugulaire et/ou circulation collatérale de la partie haute du thorax) ; le signe de Pemberton, qui correspond à l’apparition d’une congestion faciale, d’un gonflement des vaisseaux du cou, voire d’une dyspnée, à l’élévation des deux bras contre la tête, pendant une minute, atteste une compression intrathoracique.2
Des signes de thyrotoxicose sont à rechercher systématiquement ; l’hypothyroïdie est plus rare.
Quels examens complémentaires ?
Examens morphologiques
La radiographie de thorax confirme le prolongement thoracique, avec élargissement du médiastin supérieur sous forme d’une opacité en arrière du manubrium sternal, refoulant ou laminant l’axe trachéal.
L’échographie thyroïdienne permet d’apprécier uniquement la partie cervicale du goitre et précise l’existence d’éventuels nodules ainsi que leur taille et leur caractère suspect ou non. La présence d’adénopathies cervicales est recherchée. Il n’est pas recommandé de réaliser une cytoponction, du fait des risques d’hémorragie intrathoracique.
Le scanner – sans injection et d’autant moins en cas d’hyperthyroïdie – ou l’IRM sont justifiés et systématiques en préopératoire. Le scanner apporte des précisions sur la masse : sa taille, ses caractéristiques et surtout ses rapports avec les structures avoisinantes ; il détecte et quantifie la sténose trachéale.
Parfois, et uniquement en cas de thyréostimuline (TSH) abaissée, une scintigraphie thyroïdienne est demandée, retrouvant le plus souvent une captation hétérogène avec des zones lacunaires et des zones hyperfixantes, en faveur d’un goitre multinodulaire toxique.
Biologie : rien que la TSH !
Seul le dosage de la TSH est indispensable. S’il est anormal, la thyroxine libre (T4L) est demandée. Le dosage de la thyroglobuline n’a aucun intérêt ; celui de la thyrocalcitonine est parfois justifié en préopératoire en cas de doute sur un carcinome médullaire (prévalence évaluée autour de 10 % dans les études) et en présence de nodules. Le dosage des anticorps antithyroperoxydase (TPO) et antithyroglobuline est parfois demandé en cas d’arguments cliniques ou échographiques en faveur d’une thyroïdite et/ou en cas de dysthyroïdie du fait de l’association possible à une thyroïdite de Hashimoto.
Trois points de vigilance
Un goitre est le plus souvent multihétéronodulaire. Parfois, il correspond à l’évolution d’un goitre homogène d’apparition ancienne, débuté à l’adolescence ou à l’âge adulte, vers une forme multinodulaire.
Devant un goitre multinodulaire, plongeant ou non, trois points de vigilance sont essentiels :
- recherche de l’autonomisation d’un ou plusieurs nodules, qui deviennent hyperfonctionnels, engendrant une hyperthyroïdie, dépistée par le dosage de la TSH ; une TSH basse nécessite, outre les dosages des T4 libre et T3 libre et des anticorps antirécepteurs de la TSH, la réalisation d’une scintigraphie thyroïdienne ;
- recherche systématique des complications liées au volume du goitre, et en particulier les signes compressifs ;
- connaissance du risque de survenue d’un cancer thyroïdien dans les nodules non fonctionnels.
Quelle prise en charge thérapeutique ?
La conduite à tenir devant un goitre plongeant dépend de l’âge, des signes fonctionnels, de l’évolution, de l’existence ou non d’une dysthyroïdie ou de critères faisant suspecter le caractère malin.
Traitement médicamenteux uniquement en cas de dysthyroïdie
Le plus souvent, le patient avec goitre plongeant est euthyroïdien ; le traitement dit « freinateur » par la L-thyroxine n’est alors pas indiqué.
En cas de dysthyroïdie, un traitement médicamenteux est proposé.3
La L-thyroxine est prescrite en cas d’hypothyroïdie, selon le schéma classique et en tenant compte de l’âge et des comorbidités afin d’adapter la posologie.
Il peut exister une hyperthyroïdie, liée à l’autonomisation d’un ou plusieurs nodules. Le traitement médicamenteux par antithyroïdiens de synthèse, sous contrôle d’un spécialiste, ne permet pas de guérir l’hyperthyroïdie mais de normaliser le taux des hormones thyroïdiennes. Une surveillance très étroite de l’hormonémie thyroïdienne est nécessaire ; toute élévation de la TSH par excès de traitement pourrait entraîner une augmentation de volume du goitre par effet trophique de la TSH, et ainsi générer l’apparition ou la majoration de signes compressifs, mettant en jeu le pronostic vital.
Recours à l’iode radioactif
En cas de goitre multinodulaire, surtout chez le sujet âgé ou en mauvais état général, l’administration d’une dose thérapeutique d’iode 131 – traitement non invasif – est très efficace sur l’hyperthyroïdie et permet aussi de diminuer le volume du goitre de 30 à 40 % – diminution qui peut être assez rapide (classiquement en quelques mois). Ce traitement est efficace et sûr dans les goitres multinodulaires cervicaux. Toutefois, dans environ 15 % des cas, une augmentation du volume initial du goitre est décrite, ce qui peut être fatal en cas de compression trachéale. Cette solution est donc préconisée uniquement dans les stades qui précèdent la compression.
En cas d’hyperthyroïdie clinique, un traitement préalable symptomatique par bêtabloquants, et parfois par antithyroïdien de synthèse, peut être discuté, sous réserve de ne pas induire une hypothyroïdie.
Place de la chirurgie
La chirurgie est indiquée pour les goitres symptomatiques, hyperfonctionnels, ou en cas de suspicion de malignité. Une thyroïdectomie est envisagée devant des signes cliniques compressifs sur la trachée ou l’œsophage, ou si la trachée apparaît rétrécie à l’imagerie, a fortiori pour un diamètre inférieur ou égal à 10 mm.
Les signes fonctionnels respiratoires et de déglutition sont améliorés significativement par le traitement chirurgical. La planification de l’étendue du geste chirurgical et du postopératoire est nécessaire. La laryngoscopie préopératoire est obligatoire. Les épreuves fonctionnelles respiratoires ont un intérêt en préopératoire, même en l’absence de signes cliniques. L’anesthésiste est averti de potentielles difficultés d’intubation. Les risques opératoires sont à prendre en compte : saignement peropératoire, hématomes éventuellement compressifs, détresse respiratoire, lésions du nerf récurrent, hypoparathyroïdie. Cela souligne la nécessité de confier le patient à une équipe de chirurgiens-anesthésistes aguerris dans ce type de pathologies.4 La voie d’abord est parfois purement cervicale en cas de prolongement modéré du goitre cervical. Pour un goitre plus profond en thoracique, et selon la hauteur par rapport au bouton aortique, une chirurgie à quatre mains (chirurgiens ORL et thoracique) peut être discutée.5
Surveillance seule, sous conditions
La surveillance seule est une attitude controversée ; aucune étude prospective sur l’évolution naturelle des goitres plongeants n’est disponible. Elle est de toute façon réservée aux cas asymptomatiques, de contre-indication à la chirurgie, ou de refus du patient : surveillance clinique, surtout à la recherche de signes de compression et de dysthyroïdie, du taux de TSH et du diamètre trachéal par l’imagerie. Un premier scanner à six mois ou à un an – toujours sans injection et en dehors de signes devant faire avancer la date de l’examen – peut être proposé, avec un suivi plus espacé en l’absence d’évolution.
Références
1. Knobel M. An overview of retrosternal goiter. J Endocrinol Invest 2021;44(4):679-91.
2. Can AS, Nagalli S. Substernal goiter. StatPearls Publishing 2023, PMID : 32491348.
3. HAS. Prise en charge des dysthyroïdies chez l’adulte. Recommandation de bonne pratique. Décembre 2022.
4. Chen A, Bernet VJ, Carty SE, et al. American Thyroid Association statement on optimal surgical management of goiter. Thyroid 2014;24(2):181-9.
5. Polistena A, Sanguinetti A, Lucchini R, et al. Surgical approach to mediastinal goiter: An update based on a retrospective cohort study. Int J Surg 2016;28 Suppl 1:S42-6.