Après 15 ans de procédure judiciaire, Bayer-Monsanto condamnée à verser 11 135 euros à l’agriculteur Paul François

Le tribunal de Lyon a condamné la société Bayer, ex-Monsanto France, à indemniser l’agriculteur Paul François pour son intoxication à l’herbicide Lasso. Une somme très insuffisante, selon lui.Article rédigé par

Cellule Investigation de Radio France – franceinfo – Anne-Laure Barral

Radio France

Paul François, agriculteur intoxiqué après avoir inhalé des vapeurs de l'herbicide Lasso, commercialisé à l'époque par Monsanto. Il a été photographié lors d'une conférence de presse d'EELV en mai 2019.
  (LEON TANGUY / MAXPPP)
Paul François, agriculteur intoxiqué après avoir inhalé des vapeurs de l’herbicide Lasso, commercialisé à l’époque par Monsanto. Il a été photographié lors d’une conférence de presse d’EELV en mai 2019. (LEON TANGUY / MAXPPP)

« 11 000 euros pour autant de sacrifices ! » Quand il a eu connaissance du montant de son indemnisation, Paul François ne cache pas qu’il a fondu en larmes. « Je me suis même dit que j’étais puni d’avoir fait passer 15 ans à la justice sur le sujet », explique-t-il. Lui qui avait chiffré à plus d’un million d’euros les préjudices subis, il espérait surtout mettre un point final à cette affaire. « Qui va oser aller affronter de telles épreuves pour un montant pareil ? », se demande-t-il aujourd’hui.

En octobre 2020, la Cour de cassation avait définitivement confirmé la responsabilité de Bayer-Monsanto dans l’intoxication de l’agriculteur. Il restait à la justice à fixer le montant des dommages et intérêts à régler au plaignant, ce qui a été fait par le tribunal judiciaire de Lyon le mois dernier. Malgré le montant dérisoire de son indemnisation, Paul François y voit aussi une forme de victoire.

« C’est la première fois que la justice reconnaît une responsabilité de l’entreprise. »

Paul François 

à la cellule investigation de Radio France

« On a beaucoup parlé de Dewayne Johnson le jardinier américain qui a obtenu une indemnisation de 20 millions de dollars de la part de Monsanto. Mais c’est le résultat d’un accord passé entre les deux partis, il n’y a pas de condamnation en tant que telle », poursuit l’agriculteur. En effet, la société Bayer (qui a absorbé Monsanto en 2018) annonçait en 2020 qu’elle était prête à verser dix milliards de dollars pour solder les contentieux ou futurs contentieux concernant le Roundup, un herbicide au glyphosate, mais elle ne reconnaît aucune faute. Depuis que l’entreprise allemande a racheté le groupe américain, elle fait face à des milliers d’actions en justice.

Dans le cas de Paul François, la décision de faire appel d’un côté comme de l’autre n’a pas été prise. Mais Bayer nous a fait savoir qu’elle prenait acte de la décision du tribunal et qu’elle respectera l’ensemble des dispositions de cette décision. « Bayer a une approche pragmatique de la gestion des contentieux et comme le montant des indemnisations est tellement modeste, le jeu n’en vaut pas la chandelle probablement, explique Me Jean-Daniel Bretzner, l’avocat de l’entreprise. Le tribunal ne reconnaît pas d’effet [sanitaire, NDR] à moyen ou long terme, seuls des effets à court terme et avec une incidence très faible sur la vie de M. François sont admis par le tribunal », conclut-il.

Une longue bataille judiciaire

Dans les 18 pages du jugement du tribunal judiciaire de Lyon, que la cellule investigation de Radio France s’est procuré, se déclinent les 15 ans de procédure qui ont conduit un simple céréalier charentais à assigner devant la justice une multinationale comme Monsanto. Elles rappellent son intoxication aiguë en 2004, en nettoyant les cuves de son pulvérisateur. Il respire alors les composés chimiques d’alachlore et de monochlorobenzène du Lasso, l’herbicide produit par la firme américaine. Il sera hospitalisé, victime de nombreux problèmes de santé : maux de tête, vomissements, vertiges… Il devra renoncer à certaines activités, et embaucher du personnel pour se faire aider sur son exploitation.

Le jugement rappelle également que ce produit a été ensuite retiré du marché français en 2007 compte tenu de ses effets cancérogènes. 2007, c’est justement l’année où Paul François va décider de se lancer dans un marathon judiciaire qui va le conduire jusqu’à cette dernière décision de 2022 qui reconnaît que « l’existence d’un fait dommageable causé par le défaut d’un produit est donc définitivement établie ».

La Cour d’appel de Lyon avait en effet établi en 2019 une responsabilité de Monsanto dans l’accident de Paul François du fait d’un produit défectueux lié aux omissions qui affectaient l’étiquetage de l’herbicide Lasso. La justice ne s’est donc pas prononcée sur la dangerosité du produit mais sur le fait que l’entreprise n’avait pas suffisamment précisé sur son étiquette les conditions d’usage. Bayer s’était pourvu en cassation mais la Cour a rejeté son pourvoi en octobre 2020. À l’époque, la multinationale avait pris acte de la décision et rappelé dans un communiqué « sa compassion pour les personnes dans des situations de santé difficiles avérées ». Mais elle se dit toujours convaincue que le Lasso « n’est pas à l’origine des maladies alléguées par M. François ». « Les produits que nous commercialisons ne présentent pas de risque pour la santé humaine s’ils sont utilisés dans les conditions d’emploi définies dans le cadre de leur autorisation de mise sur le marché et des bonnes pratiques agricoles », poursuivait Bayer.

Débat sur les critères d’indemnisation

Mais au moment de fixer le montant des indemnités à verser au plaignant, les évaluations de celui-ci sont contestées. Pas question de reconnaître près de 600 000 euros de pertes de gains professionnels futurs ou 100 000 euros de souffrances morales. La justice s’appuie sur le rapport d’expertise pour admettre un préjudice temporaire lié à l’exposition du produit de Monsanto, ainsi qu’un stress post-traumatique mais pas d’intoxication chronique. « Malheureusement comme dans de nombreux dossiers de réparations de dommages corporels en France, les montants d’indemnisation ne sont pas à la hauteur des dommages subis », estime Me François Lafforgue, l’avocat de Paul François. Le jugement précise toutefois que « les données scientifiques actuelles ne peuvent pas prendre en considération des aléas au-delà de quelques semaines après cette exposition ».

Le tribunal reconnaît aussi un préjudice à hauteur d’environ 50 000 euros mais dont près de 40 000 ont déjà été indemnisés par la Mutualité sociale agricole (MSA) et l’assurance de l’agriculteur, il ne reste qu’une dizaine de millier d’euros à prendre en charge par la multinationale. « Cette décision ouvre la possibilité pour ces organismes de se retourner contre Bayer pour demander le remboursement des sommes qu’ils ont versé à Paul François », estime François Lafforgue. Contacté, l’assureur de Paul François n’a pas souhaité répondre à la cellule investigation de Radio France.

« Un avant et un après l’affaire Paul François »

Pour Me Jean-Daniel Bretzner cette condamnation civile de Bayer, ex-Monsanto, n’ouvre pas la possibilité pour d’autres agriculteurs victimes de lancer une procédure comme Paul François.

Mais l’avocat du plaignant, Me François Lafforgue, veut y croire : « Il y a un avant et un après l’affaire Paul François. Le regard sur les fabricants de pesticides a changé. La plupart des victimes de pesticides que nous défendons sont très attachées à la portée symbolique des décisions de justice qui peuvent être rendues au-delà de l’aspect purement financier. Elles le font parce qu’elles ne veulent pas qu’il arrive à d’autres ce qui leur est arrivé », conclut Me Lafforgue.

Depuis 2020, un fond d’indemnisation des victimes professionnelles des pesticides a été créé. L’association Phyto-Victim, créée justement par l’agriculteur charentais, a reçu cette année plus de 600 dossiers de demandes d’indemnisation.

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