Réglementation européenne des produits chimiques : «Le recul de la France se fait dans un silence assourdissant»
Lobbying
François Veillerette, porte-parole de l’association Générations futures, fustige le rôle de Paris dans le report par la Commission européenne de la révision du règlement Reach.
par Olivier Monod
publié le 21 octobre 2022 à 16h51
Reculer pour ne pas sauter ? Ce mercredi 19 octobre, la Commission européenne a annoncé le report de la révision de son règlement sur l’autorisation des substances chimiques (appelé Reach). La réforme, annoncée en 2021, prévoyait une simplification des contrôles de toxicité des substances chimiques et donc une plus grande efficacité du dispositif. Elle devait être finalisée en 2022 mais elle n’apparaît pas au planning de la Commission avant fin 2023. Une conséquence de «la pression de l’industrie», regrette François Veillerette, porte-parole de l’association Générations futures. Il dénonce surtout auprès de Libération «la position française» dans le dossier qui a «a relayé activement les intérêts de l’industrie».
Cette semaine, la Commission européenne a repoussé la révision du règlement Reach sur les produits chimiques à fin 2023, comment analysez-vous cette décision ?
C’est clairement le fruit de la pression de l’industrie. La révision de ce règlement devait être finalisée en 2022 ! En reportant le texte à 2023, la discussion va cogner avec le début de la campagne électorale [les élections européennes sont prévues au printemps 2024, ndlr] et la Commission ne prendra pas le risque de conclure quoique ce soir. C’est un enterrement déguisé, une manière de passer le sujet à la commission suivante. Mais j’aimerais beaucoup avoir la position officielle des autorités françaises sur le sujet. La France – et particulièrement le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire – a relayé activement les intérêts de l’industrie dans ce dossier. C’est un revirement dans la position française sur le sujet. Jusqu’à présent, la France faisait partie des pays les plus ambitieux en matière de santé environnementale. Mais nous n’avons aucune réaction officielle. Le recul de la France se fait dans un silence assourdissant.
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Pourquoi ce règlement Reach est-il si important ?
Il s’agit du règlement chapeau qui préside à la mise sur le marché de toutes les substances chimiques (sauf les pesticides qui ont leurs propres règles). Mais concrètement, on parle de composés potentiellement cancérigènes ou reprotoxiques [toxiques pour la reproduction, ndlr] et présents dans les objets de la vie courante (jouets, biberons, vêtements, etc.). On parle de milliers de substances. Jusqu’à présent, ce règlement n’a pas produit l’effet escompté. Peu de substances ont été interdites. Il s’agit de le rendre plus efficace. Cela embête les industriels de la chimie qui veulent limiter le nombre de molécules retirées du marché.
Quelles sont les pistes à l’étude pour le rendre plus efficace ?
Une première piste est de privilégier l’évaluation des familles de substances à celles de substances individuelles. Prenez les perfluorés, présents dans les emballages alimentaires à emporter. On parle de 4 800 composés différents. Si vous les évaluez un par un, même au rythme de dix par an, on en a pour 480 ans ! Un autre bon exemple est le remplacement du bisphénol A (présents dans les tickets de caisse et les plastiques) par le bisphénol S… qui apparaît lui aussi toxique !
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La révision du règlement Reach devrait aussi permettre de mieux prendre en compte l’exposition à plusieurs polluants en même temps, on appelle cela l’effet cocktail. Enfin, elle est essentielle dans le dossier des perturbateurs endocriniens, ces molécules qui interfèrent sur l’action des hormones. C’est Reach qui doit décider des tests requis pour définir une molécule comme perturbatrice endocrinienne.
Est-ce que la partie est définitivement perdue ?
Nous avons pris un coup sur la tête cette semaine, mais, depuis, plusieurs personnes me disent qu’on peut encore se battre pour accélérer le processus. Le texte est déjà très avancé et rien ne justifiait ce report. La Commission peut tout à fait avancer sur ce dossier dans les prochains mois. Mais le processus européen est long. Il faut aussi passer par des négociations tripartites entre la Commission, le Conseil de l’Europe et le Parlement… Pour accélérer il faudra que la France arrête de se cacher derrière l’Allemagne [pays leader de la chimie en Europe, qui a poussé pour le report de Reach, ndlr] et assume sa position.