Levothyrox : qui peut désormais nier la crise sanitaire ?

SOCIÉTÉ

Publié le 03/05/2019 à 13:00

Gérard Bapt

Gérard Bapt

Député honoraire, ancien président de la mission d’information sur le Mediator.

Médecin-conseil de l’AFMT.

Une étude scientifique confirme que la nouvelle formule du Levothyrox laisse à désirer. Un revers pour l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) selon l’ancien député socialiste, ex-Président de la mission d’information sur le Médiator.

Depuis 50 ans, l’insuffisance thyroïdienne est traitée par la levothyroxine de synthèse. En 2017, plus de 2 millions et demi de patients sont traités par le Levothyrox en comprimés du Laboratoire Merck, en situation de monopole sur le marché français. La substance active, la levothyroxine, était accompagnée d’un excipient principal, le lactose.

En mars 2017 a été autorisé par le gendarme français du médicament, l’ANSM(1) un arrêt de commercialisation de la spécialité Levothyrox avec lactose (AF), qui n’avait donné lieu qu’à de très rares effets indésirables signalés les années passées. En même temps a été effectuée la mise sur le marché d’une nouvelle formulation(NF), sans lactose, mais avec de nouveaux excipients – mannitol – et acide citrique .

Une crise sanitaire s’est alors déclenchée, motivant un afflux sans précédent – dizaines de milliers – d’alertes pour effets indésirables. Les organismes chargés de les documenter, les CRPV(2), furent débordés, dans l’obligation d’embaucher ! Mais l’existence d’une crise sanitaire fut longtemps niée par les autorités sanitaires, ministère de la santé et ANSM s’abritant derrière le déni de leaders d’opinion tenants de « l’effet nocebo », attribuant à une contagion psychique les effets ressentis par de très nombreux patients.

L’antécédent de la crise déjà survenue en France en 2010 à l’occasion de la mise sur le marché d’un générique du Levothyrox, produit par le laboratoire Biogaran – avec déjà l’excipient mannitol – aurait dû suffire aux autorités de sécurité sanitaire pour exiger de Merck une étude clinique chez des patients avant d’autoriser la nouvelle formulation (NF). En août 2013, l’Académie de médecine avait communiqué sur « l’extrême prudence » nécessaire pour substituer des spécialités à base de levothyroxine, notamment pour les patients fragiles – cancéreux, femmes enceintes, personnes très âgées.

L’étude de Condorcet-Toutain confirme que la nouvelle formulation est de moindre qualité que l’ancienne pour une majorité de patients.

Seule une étude dite de « bioéquivalence » réalisée chez des sujets sains, visant à confirmer le passage dans le sang des mêmes quantités de levothyroxine pour l’ancienne et la nouvelle formule a été demandée. Les limites d’une telle étude de bioéquivalence, ainsi que la présentation biaisée qui en a été faite par le laboratoire, et acceptée par l’ANSM, viennent d’être mis en évidence par une publication scientifique. L’étude de Condorcet-Toutain(3) a confirmé début avril que la nouvelle formulation est de moindre qualité que l’ancienne pour une majorité de patients. Contrairement aux affirmations de l’ANSM, il n’y a pas d’équivalence thérapeutique entre les deux médicaments.

LA SÉCURITÉ SANITAIRE NÉGLIGÉE

Aussi est-il possible de mieux comprendre pourquoi tant de patients ont été concernés par des effets indésirables, parfois graves en terme de pronostic vital, et ont subi des dégâts sanitaires, ou sociaux et professionnels… Un million de patients ont abandonné le Levothyrox vers d’autres spécialités !

Il apparaît que l’ANSM, dès la phase initiale du processus de substitution, a été incapable d’assurer la qualité thérapeutique du médicament générique qu’elle imposait aux patients. Il est regrettable que les autorités chargées de la sécurité sanitaire, ainsi que le ministère de tutelle de la santé, n’aient pas entendu dès le départ les alertes de certains patients et des associations, laissant se développer une crise majeure avant de réagir.

Il serait souhaitable que les élections européennes permettent de débattre des questions de sécurité sanitaire, de transparence des données fournies par les laboratoires, ainsi que de l’influence des lobbies sur la décision publique.LIRE AUSSILevothyrox, labos, vaccins… la grande révolte des malades

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