Lettre ouverte du docteur Catherine Noël au Président Emmanuel Macron

Dr Catherine NOEL
Angiologie Rennes A Mr Emmanuel MACRON Président de la République

                                                                                                                  Le 31/03/2019

                         Monsieur le Président de la République,

J’ai lu avec attention votre lettre adressée à tous les Français pour annoncer le grand débat national. Il y est fait état : du sens de l’injustice, de santé accessible à tous, de liberté, de votre fidélité au projet pré électoral, de votre désir d’investir dans le savoir, la recherche etc. Quatre thèmes retenus. Mais il n’y aura pas de questions interdites. La santé paraissant la grande oubliée de ce débat national, c’est sur un sujet de santé publique que j’ai choisi de vous interpeller :

Monsieur le président, par cette nouvelle lettre, je souhaite vous intéresser au sort de ces centaines de milliers de patients traités pour hypothyroïdie qui ont vu leur vie basculer en 2017 lors du changement de formule de leur Lévothyrox et par conséquent vous intéresser à la sécurité médicamenteuse en général.

Depuis près de deux ans des Français, (des Françaises surtout) témoignent de leur mal-être sous Lévothyrox nouvelle formule. Ils veulent comprendre ce qui leur est arrivé et souhaitent surtout retrouver leur état de santé antérieur (quand c’est encore possible). Ces patients se sont regroupés en collectifs, ont interpellé les élus, ont rejoint des associations, ont été jusqu’à payer des analyses de médicaments devant l’absence de réaction des autorités sanitaires françaises. Tout cela dans la dignité. Vous écrivez que vous n’accepterez aucune forme de violence. Ici il n’y a pas eu de violence. Mais force est de constater que ces très nombreuses victimes n’ont pas été écoutées (ou très mal).

Le 23 novembre 2017, je vous adressais une première lettre à double titre, en tant que médecin avec une proportion très importante de patients symptomatiques dans ma patientèle (>50 %) et en tant que patiente avec développement d’une symptomatologie inquiétante sous Lévothyrox nouvelle formule (symptomatologie régressive 2 à 3 jours après le retour à l’ancienne formule). Je concluais par :

Monsieur Le PRÉSIDENT, Je vous fais une lettre, car… j’ai l’intime conviction que ce médicament est potentiellement dangereux et que le principe de précaution s’impose. J’ai également la conviction que ce médicament est une régression par rapport à son prédécesseur… Au nom du principe de précaution, Je vous implore de suspendre au plus vite ce nouveau Lévothyrox, très probablement de façon définitive, mais certainement en tout cas jusqu’à ce que toute la lumière soit faite sur ses nombreux effets indésirables. (Politesses).

Quatre feuilles, 8 pages, c’était sans doute beaucoup trop long. Pourtant beaucoup de choses y figuraient déjà et surtout j’avais joint l’article de Dr William ROSTENE (1) paru dans Medisite en date du 6 novembre 2017. Je vais tenter d’être plus brève aujourd’hui avec pour commencer quelques questions dans le cadre de ce grand débat national, (d’autant que tant de choses ont déjà été écrites et restent consultables sur le site de l’AFMT par exemple).

Monsieur Le PRÉSIDENT,

QUESTION N °1 : Préambule : Il existe 2 grands principes en médecine :

     1) Quand un patient est bien équilibré et asymptomatique sous un certain traitement, on ne change pas son traitement ; cela est d’autant plus vrai quand il s’agit d’un médicament classé sensible car à marge thérapeutique étroite.

2) Pour tout nouveau traitement, le rapport bénéfice/risque doit être favorable

Rappel : Avant mars 2017, il y avait en France un médicament traitant l’hypothyroïdie, le Lévothyrox, médicament remarquablement efficace, remarquablement bien toléré (pratiquement aucune déclaration d’effets secondaires), médicament qui avait fait ses preuves depuis plus de 30 ans et très bon marché de l’ordre de deux euros par mois. À partir de mars 2017 s’est opéré de façon progressive et obligatoire le remplacement de cette ancienne formule par une nouvelle formule en raison d’une prétendue instabilité dans le temps de l’ancienne formule. Je ne m’étendrai pas sur le fait que curieusement cette modification intervient pour un « vieux » médicament qui allait pouvoir être copié en 2019 et qu’ôter le lactose permettait surtout d’envisager une vente en Chine où l’intolérance au lactose contrairement à l’Europe y est fréquente. Ce remplacement et très vite de très nombreux patients se sont manifestés pour déclarer leur mal-être. (Les centres de pharmacovigilance débordés sans qu’au départ les patients n’aient fait le lien avec le changement de formule puisque beaucoup d’entre eux n’en avaient pas été informés.)

Question n°1 : Pourquoi parmi différentes hypothèses étiologiques, a-t-il été exclu d’emblée la possibilité qu’il puisse y avoir un problème avec cette nouvelle formule ? Ceci d’autant que pour n’importe quelle personne s’intéressant de près au sujet, il s’avère très vite que, de façon aussi évidente que 2 et 2 font 4, c’est l’hypothèse à privilégier : 1-Disparition de la symptomatologie en quelques jours lors du retour à l’ancienne formule, 2-mise sur le marché avec une extrême légèreté : – Sous la seule base de 2 études de bioéquivalence (cf analyse de Dr William ROSTENE) (1) sur la faiblesse de ces études) -Non prise en compte des nombreuses tentatives de génériquer des médicaments à base de L Thyroxine de part le monde qui se sont soldées par un échec, en particulier les 2 tentatives en France par le laboratoire Biogaran et Ratipharm qui contenaient déjà du mannitol – Aucune étude de tolérance pour ce médicament classé « sensible » qui allait être en situation de monopole – Et, fait incroyable, le laboratoire Merck n’a même pas eu à prouver la plus grande stabilité de sa nouvelle formule ! C’était pourtant a priori le motif du changement invoqué par l’ANSM : une prétendue instabilité de l’ancienne formule ! – Etc., etc.

QUESTIONS N°2 et N°3 :

Préambule : Clémenceau disait déjà : « Si vous voulez enterrer un problème, créer une commission »

Pour le Lévothyrox, Madame Buzyn en a créé deux !

La première : Une commission de suivi du médicament : trois rapports de pharmacovigilance ont été présentés consultables par tous. Il est fait état d’effets secondaires conséquents et inexpliqués d’une fréquence totalement inattendue

Question n° 2 : Comment se fait-il que dans un pays comme la France, le gouvernement n’ait pas mis tout en œuvre pour rechercher l’explication scientifique à ces effets secondaires conséquents et inexpliqués ? Avec dans le même temps l’application du principe de précaution dès 2017 à savoir : retrait de la nouvelle formule le temps de la recherche scientifique indépendante et compétente en demandant au laboratoire Merck d’assurer l’approvisionnement en ancienne formule alors disponible dans toute l’Europe ? »

Question n°3:
Préambule : La seconde commission avait pour but de réfléchir à une meilleure information sur le médicament puisque Mme A.BUZYN et les autorités sanitaires avaient décidé qu’il s’agissait essentiellement d’un problème de communication, (un problème de qualité du médicament avait été écarté d’emblée) Le 3 septembre 2018, cette commission communiquait son rapport: Tour d’équilibriste de haute voltige puisqu’il s’agissait de prévenir un nouveau scandale sanitaire sans avoir résolu le précédent ! Malgré cela les journalistes présents lors de la présentation de ce rapport ont tous souligné qu’il y était fait état de la très mauvaise gestion de la crise avec une minimisation que ce soit par l’agence de sécurité du médicament ou par la ministre de la santé du nombre ahurissant d’effets secondaires que produisait la nouvelle formule du Levothyrox ; erreurs tous azimuts (nombreux articles de presse et rapport consultable par tous)

Question n°3’: Pourquoi, suite à la publication de ce rapport, les autorités sanitaires françaises ne sont-elles pas reparties à zéro avec le désir de comprendre puis de résoudre cette crise sanitaire ? Pourquoi créer des commissions qui vont rédiger des rapports, pour ensuite ne pas en tenir compte ?

QUESTION N°4 : Préambule : Dans votre lettre aux Français, vous parlez de fidélité à votre programme préélectoral. Dans ma première lettre du 23 novembre 2017, j’y avais justement fait référence en citant : « Révolution » et votre attachement à Paul RICOEUR et sa philosophie : « Ne jamais s’enfermer dans une théorie qui ne se confronte pas avec les choses de la vie ».

– La théorie c’était ici : La supériorité supposée du Lévothyrox nouvelle formule.

– Les choses de la vie, ce fut : cette immense expérimentation sur près de 3 millions de personnes et ces dizaines de milliers de déclarations d’effets indésirables aux centres de pharmacovigilance et donc ces centaines de milliers de patients symptomatiques, puisque bien sûr tous les acteurs de terrain concernés le savent bien, la déclaration d’effets indésirables ne concerne toujours qu’une infime proportion des patients concernés.

Question n°4 : La question n°4 consiste à reposer la question 1 : Pourquoi toujours écarter une hypothèse majeure à savoir qu’il puisse y avoir un problème avec ce Lévothyrox nouvelle formule

                                                                                                                                                       QUELQUES RÉFLEXIONS : Quelques réflexions parmi d’autres jetées pêle-mêle

Le patient aura été (et reste toujours) le grand oublié. On a juste oublié de s’intéresser à l’essentiel : L’amélioration du service rendu au patient. Car enfin quel est le but d’un médicament ? S’il ne s’agit pas d’améliorer, de soigner, de soulager le patient ? Cela fait « une belle jambe » à ce patient, qui jadis se portait comme un charme et pour qui depuis le printemps 2017 la vie est devenue progressivement un enfer, de se dire que son médicament est peut-être plus stable ! (d’autant que cette immense expérimentation semble dire toute autre chose).

Un autre grand perdant, la science, (et l’honneur d’une profession, d’un pays, de ses institutions, je ne parle même pas de la réputation d’un laboratoire). Quand j’étais encore étudiante, des professeurs m’ont enseigné que le travail du médecin et de tout scientifique s’apparentait à celui du détective, qu’il fallait savoir ouvrir large l’éventail des hypothèses étiologiques, puis savoir les éliminer une à une, mais qu’il ne fallait surtout pas d’emblée en écarter une sans même l’avoir envisagée.

Dans votre lettre aux Français, il est question d’investir dans le savoir et la recherche.

Pourtant quand une association de patients, l’AFMT a été jusqu’à payer des analyses de médicaments dans des laboratoires reconnus (certains de renommée internationale), les autorités sanitaires ont cherché à ridiculiser, ont démenti, ont étouffé… Pourtant ces premiers résultats ont pour eux d’assez bien se confronter aux choses de la vie. Elles montrent entre autres que changer d’excipients n’est pas forcément sans conséquence ; elles montrent ce que pourtant tous les chimistes savent. À savoir qu’entre principe actif et excipients des réactions chimiques peuvent se produire. C’est la 3e fois en France qu’un générique de la L Thyroxine avec comme excipient du mannitol pose problème et dans un pays tel que la France on ne chercherait pas à savoir POURQUOI ! Il est essentiel à l’heure du tout générique qu’interactions entre principes actifs et excipients soient recherchées, soient connues. Cela va bien au-delà du seul Lévothyrox. Cela sous-entend que si l’on veut continuer dans la voie actuelle du tout générique, il faut soit miser sur des auto- génériques (excipients inchangés), soit exiger des études plus conséquentes avant la mise sur le marché… C’est tout le processus d’autorisation et de retrait du médicament (et des génériques) qui est à revoir. À travers ce Lévothyrox, c’est toute l’industrie pharmaceutique qui est interrogée et il y a « péril en la demeure » Le retrait de certains antihypertenseurs de la famille des sartans montre que le lieu de fabrication a toute son importance. La traçabilité du médicament doit être connue et communicable aisément. Notre extrême dépendance tout particulièrement vis-à-vis de la Chine et de l’Inde est préoccupante. Les ruptures de médicaments en pagaille, surtout quand il s’agit de médicaments vitaux sont tout simplement scandaleuses. Une sorte de Grenelle du médicament s’impose : L’état doit s’engager pour la sauvegarde de « bons vieux médicaments efficaces » qui ont fait leurs preuves surtout quand il s’agit de médicaments d’intérêt médical majeur. La question du coût des médicaments doit clairement être posée : La situation s’avère critique et paradoxale avec d’une part certains excellents vieux médicaments délaissés par les laboratoires car trop bon marché et jugés non rentables (Lévothyrox AF : moins de 2 euros par mois pour un médicament qui vous sauve la vie, est-ce bien raisonnable ?) et d’autre part de nouveaux médicaments à des prix exorbitants (avec un service médical rendu parfois discutable !) ou encore de nouveaux médicaments présentant un intérêt médical certain par rapport à leur prédécesseur mais qui du fait de leur coût faramineux ne pourront être administrés qu’à un certain pourcentage de patients. La toute-puissance du lobbying omniprésente dans le monde médical doit être combattue (2) : Un exemple : Lors des congres médicaux, sont présentées les dernières études pour faire valoir tel ou tel nouveau médicament. Il s’agit souvent de comparer le nouveau médicament avec l’ancien à la recherche d’une non-infériorité. Ces études sont financées par le laboratoire du nouveau médicament (jamais par le laboratoire du vieux médicament). Aucun laboratoire ne finance d’études pour défendre son vieux médicament à 3 francs 6 sous. La partie ne paraît pas très égale ! C’est comme un procès avec deux parties adverses, une partie défendue par un avocat, l’autre non ! De ces présentations d’études, découlent pourtant les recommandations de bonne pratique médicale

Monsieur LE PRÉSIDENT, pour CONCLURE, le 31 décembre dernier, vous avez formulé trois vœux.

Vœu de vérité : C’est un vœu essentiel De par ce scandale sanitaire « du Lévothyrox NF », ce sont des centaines de milliers de patients et leurs proches, soit plusieurs millions de Français qui, à juste titre, ont perdu confiance en leurs autorités sanitaires. Avec cette gestion de crise catastrophique, les autorités sanitaires françaises portent une lourde responsabilité vis-à-vis de cette méfiance qui s’est installée vis-à-vis des médicaments en général. Il est primordial que la vérité soit recherchée, connue et diffusée. Un grand ménage semble indispensable au sein de l’ANSM : Comment expliquer ce manque de réaction vis-à-vis du nouveau Lévothyrox NF maintenu sur le marché envers et contre tout ? Comment expliquer ce manque de réaction ou de réaction si tardive qu’il s’agisse de certaines prothèses mammaires ou des machines Haemonetics pour le don de plasma et de plaquettes ? Etc, etc Nos autorités sanitaires ont vite fait de clore tout débat en confondant lanceur de « Fake news » et « lanceur d’alerte ».

Vœu de Dignité : Les patients et leurs proches ont besoin de mots d’excuse pour se reconstruire (quand c’est encore possible), pour retrouver leur dignité de femmes et d’hommes. Pour beaucoup ce fut la double peine. Au-delà de la souffrance occasionnée par le changement de formule, une seconde souffrance parfois pire que la précédente, fut celle de ne pas avoir été cru, d’avoir été moqué : La violence des mots : « effet nocébo », « hystérie collective », « crise médiatique » etc. Ces mots furent d’autant plus douloureux qu’ils furent prononcés par le monde médical, par des responsables politiques et repris à grande échelle par des journalistes. Parmi d’autres courriers, ces mots d’une jeune femme anonyme me reviennent souvent : 3 ou 4 lignes. Une immense douleur perceptible tue, beaucoup de dignité. Cette femme voulait juste alerter pour qu’il n’y en ait pas d’autres. Son mari venait de se donner la mort. Il ne supportait pas la nouvelle formule. C’était en novembre 2017 ; il n’avait pas pu obtenir d’alternative. Avant ils vivaient heureux tous les 4.

Vœu d’Espoir : Sans vérité et sans dignité retrouvée, il n’y a pas d’espoir

-L’espoir pour beaucoup de patients c’est celui de retrouver leur ancien Levothyrox qui pourrait être copié par n’importe quel laboratoire à partir de 2019. -L’espoir pour tous ces patients c’est de retrouver (quand c’est encore) possible leur état de santé antérieur à la substitution avec un médicament de qualité qui leur convienne -L’espoir c’est que de par ce drame humain et de tant d’autres (Dépakine, etc.), à l’aube du procès sur le Médiator, naisse un vaste mouvement populaire, une sorte de « Grenelle du médicament » associant patients, scientifiques, professionnels de santé, etc. Car le médicament, c’est l’affaire de tous. Chacun est concerné un jour ou l’autre. – L’espoir c’est que l’état s’engage fortement pour favoriser une recherche scientifique de qualité et indépendante (loin des lobbies). Car de tout temps, des chercheurs se sont passionnés pour comprendre. Beaucoup de grandes découvertes ont été faites par hasard et parce que des scientifiques ont su s’interroger quand résultats attendus et résultats observés divergeaient — Il reste tant à découvrir ! La recherche sur les associations médicamenteuses est un domaine pratiquement inexploré (on a coutume de dire qu’à partir de 3 médicaments pris ensemble, voire au-delà de 1 médicament, on ne sait pas trop ce qui se passe). Et tant de maladies encore sans réel traitement !

L’espoir c’est celui d’un retour à l’essentiel : Remettre le patient au cœur de la politique de santé. Avoir l’obsession du médicament au service du patient Mieux on saura écouter les patients et mieux la science se portera. Et plus les Français retrouveront peu à peu confiance.

Monsieur le PRÉSIDENT, je vous prie d’agréer l’expression de ma très haute considération.

(1) : Medisite : 06/11/2017 : « Lévothyrox : Pourquoi avoir changé sa formule ? On nage en hormone trouble » par Dr William ROSTENE, Dr Émérite de recherche à l’INSERM, Président de la société de biologie
(2) : « Lobbytomie : Comment les lobbies empoisonnent nos vies et la démocratie » -Stephane Horel

Vous aimerez aussi...