L’article à lire pour comprendre l’affaire du Levothyrox
Plus de 4 000 dossiers de plaignants du Levothyrox sont étudiés par le tribunal d’instance de Lyon, lundi 3 décembre, dans le cadre d’une action collective contre le laboratoire allemand Merck.
L’affaire du Levothyrox de nouveau devant la justice. Lundi 3 décembre, le tribunal d’instance de Lyon se penche sur une action collective intentée contre le laboratoire Merck, qui fabrique ce médicament dont le changement de formule a suscité des effets secondaires inquiétants chez les patients. Au total, plus de 4 000 dossiers ont été déposés pour obtenir des dédommagements, mais aussi pour faire la lumière sur ce que les associations dénoncent comme « une crise sanitaire ». Si vous n’avez pas suivi cette tumultueuse affaire médico-judiciaire, franceinfo vous propose un résumé.
C’est quoi le Levothyrox ?
Ce médicament, qui prend la forme de petits comprimés, a pour but de remplacer une hormone, normalement produite par la thyroïde : la thyroxine. Le Levothyrox est prescrit notamment en cas d’hypothyroïdie ou d’ablation de la thyroïde à la suite d’un cancer. D’après les données de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), 2,2 millions de Français prennent ce traitement.
Début 2017, le laboratoire allemand Merck, qui commercialise le Levothyrox, a changé sa formule à la demande de l’ANSM. L’Agence a constaté qu’au fil du temps les comprimés de l’ancienne formule n’avaient plus la même teneur de substance active (la lévothyroxine) à cause du lactose, présent dans le médicament. Cet excipient a été remplacé par du mannitol, une substance chimique parfois utilisée comme additif alimentaire, dans les chewing-gums ou les bonbons sans sucre par exemple. Cette nouvelle formule est censée garantir une meilleure stabilité de l’hormone lévothyroxine dans le temps.
C’est quoi le problème avec ce médicament ?
Comme l’insuline ou l’adrénaline, la thyroxine – que remplace le Levothyrox – joue un rôle essentiel dans l’équilibre de l’organisme et notamment dans la production d’énergie. Problème : avec cette nouvelle formule, de nombreux patients affirment subir des effets secondaires, comme une très grande fatigue, des maux de tête, des crampes, voire un état dépressif.
J’ai commencé à être de plus en plus épuisée. Au point de ne même plus pouvoir me lever de mon lit. J’avais la tête qui tournait. Je ne savais pas ce qu’il m’arrivait.à franceinfo
Est-ce la faute du mannitol qui a remplacé le lactose dans le Levothyrox ? Cet excipient est connu pour être mal toléré par certains patients, chez qui il peut provoquer des problèmes digestifs. Mais à la faible dose où il est présent dans les comprimés, le mannitol est inoffensif, affirme l’ANSM. D’autant plus que les symptômes décrits par les patients ne correspondent pas à ceux que peut provoquer l’excipient.
>> Levothyrox : qu’est-ce qu’un excipient ?
Différentes hypothèses ont alors été avancées pour expliquer ces effets. Dans un premier temps, les associations ont d’abord souligné que le changement de formule, en lui-même, a pu modifier la façon dont le corps absorbe la lévothyroxine. « Si l’on change l’excipient, il est possible que le dosage soit modifié de quelques microgrammes », a expliqué Beate Bartès, présidente de l’association Vivre sans thyroïde, au Figaro.
En mai 2018, l’Association française des malades de la thyroïde a mis en cause des nanoparticules de métal qui auraient été retrouvées dans les comprimés, ce que dément formellement le laboratoire Merck. Un mois après, elle a affirmé que les comprimés contenaient en réalité moins de lévothyroxine que prévu, ce qui pourrait expliquer les dysfonctionnements du traitement. De son côté, l’ANSM affirme simplement que « l’analyse des données (…) ne permet pas de proposer d’hypothèse à la survenue de ces effets ». Le mystère demeure.
Combien de personnes sont concernées ?
Les rapports de pharmacovigilance se sont enchaînés et le dernier en date, dévoilé en juillet dernier par l’ANSM, relève 31 411 signalements de patients subissant des effets indésirables. Un chiffre impressionnant qui représente en réalité 1,43% des quelque 2,2 millions de patients traités avec ce médicament.
En novembre 2017, le magazine Edbo révélait dans son numéro zéro la mort de 13 patients prenant du Levothyrox. Ils sont en réalité 14, d’après l’ANSM, qui a rapidement affirmé qu’« aucun lien » n’est établi entre la prise du médicament et ces décès. « L’analyse des 14 décès montre qu’il s’agissait plutôt de personnes très âgées, avec beaucoup de pathologies et qui prenaient beaucoup de médicaments », a affirmé la ministre de la Santé Agnès Buzyn.
Et ce procès, c’est sur quoi au juste ?
C’est une procédure civile qui doit être tranchée le 3 décembre au tribunal d’instance de Lyon. Elle concerne 4 115 dossiers déposés dans le cadre d’une action collective intentée contre le laboratoire Merck pour « défaut d’information » lors du changement de formule et « préjudice d’angoisse » compte tenu de « l’anxiété suscitée par l’abandon des malades », explique leur avocat, Christophe Lèguevaques.
Les plaignants réclament une indemnité forfaitaire de 10 000 euros pour chacun. « Les patients attendent beaucoup de la justice. Ils demandent à être enfin respectés dans ce dossier, à ne plus être considérés comme des fous et des menteurs, comme Merck continue de le faire », explique Me Christophe Lèguevaques.
C’est l’une des premières actions de groupe, en matière de santé, à être jugée par un tribunal depuis l’entrée en vigueur de la loi relative à la consommation du 17 mars 2014, dite loi Hamon, qui permet ce type d’action en justice. En mai 2017, des familles de malades avaient lancé cette procédure dans le cas de la Dépakine, cet anti-épileptique du groupe pharmaceutique Sanofi soupçonné d’avoir provoqué des malformations chez des nouveaux-nés. Dans ce dossier, l’affaire devrait être jugée en mai 2019.
Il n’y a pas de procédure pénale ?
Si. En parallèle de la procédure civile, une enquête judiciaire contre X a été ouverte pour « tromperie aggravée », « blessure involontaire » et « mise en danger d’autrui ». Un juge d’instruction a été désigné à Marseille pour enquêter sur les 7 000 plaintes déposées par des patients un peu partout en France. Dans ce dossier, les plaignants demandent aussi des indemnités pour « préjudice d’anxiété » et « préjudice moral ».
En novembre, la justice a ordonné à des experts d’examiner des patients affirmant souffrir d’effets secondaires. Une première dans ce dossier. « On espère que cela fera enfin avancer les choses, mais pour le moment, on attend, explique Chantale Garnier, coprésidente de l’Association française des malades de la thyroïde. Ça fait presque deux ans que nous réclamons des explications sur cette crise sanitaire. Nous voulons faire la lumière sur cette affaire, établir la traçabilité de ces médicaments. Le malade a le droit de savoir ce qu’il consomme ! »
Pourquoi ne revient-on pas tout simplement à la première formule de ce médicament ?
C’est la question que posent les associations de patients, qui réclament depuis le début que l’ancienne formule reste disponible aux côtés du Levothyrox nouvelle génération. Mais le laboratoire et les autorités refusent. Interrogé par Le Parisien, en avril, le ministère de la Santé a affirmé qu’il « n’y aura pas retour à l’ancienne formule ».
Pourtant, à la fin de l’année 2017, Merck a été condamné par la justice à mettre à disposition des patients le médicament sous son ancienne forme. Il a fait son retour dans les pharmacies, mais en petite quantité et pour un temps limité, afin d’éviter « une transition brutale », a explique le ministère de la Santé. Désormais baptisée Euthyrox, l’ancienne formule est importée d’Allemagne car Merck ne dispose plus d’autorisation de mise sur le marché français, mais seulement d’autorisations d’importation. Cet acheminement depuis l’étranger devait prendre fin en 2018, mais il sera finalement prolongé « tout au long de l’année 2019 », a affirmé le groupe.
>> Levothyrox : quatre questions sur l’ancienne formule du médicament de retour en pharmacie
Pour Beate Bartès, présidente de l’association Vivre sans thyroïde, ce refus de réintégrer durablement l’ancienne formule dans les pharmacies est « probablement » lié à « une histoire de brevet ». « Le brevet de l’ancienne formule expire en mai 2019, alors que la nouvelle formule a un brevet de 2014 qui dure jusqu’en 2034, accuse-t-elle. Est-ce que Merck aurait suggéré à l’ANSM de lui demander d’améliorer l’ancienne formule pour faire un nouveau brevet ? C’est une question qu’on peut se poser. »
Et il n’y a pas d’alternatives à ce médicament ?
Il en existe, mais elles étaient peu connues avant l’explosion de l’affaire. Avec le Levothyrox, le laboratoire Merck bénéficiait d’un quasi-monopole. Depuis, 500 000 patients lui ont tourné le dos, d’après l’Agence du médicament. Lassés de subir les effets secondaires, certains ont décidé d’arrêter de se soigner. D’autres ont remplacé le Levothyrox par des médicaments alternatifs, tout juste arrivés en pharmacie : le Thyroxin Henning (Sanofi), le L-Thyroxine (Serb), le Thyrofix (Unipharma) et le Tcaps (Laboratoires Genevrier).
>> Six questions sur le L-Thyroxine Serb, les gouttes de substitution au Levothyrox
« Ces traitements conviennent à certains malades, mais d’autres ressentent toujours des effets indésirables et n’ont pas réussi à se stabiliser, regrette Chantale Garnier, coprésidente de l’Association française des malades de la thyroïde. Ce que nous réclamons aussi, c’est que tous soient remboursés par l’assurance-maladie. C’est pas le cas du Tcaps aujourd’hui. »
Depuis le début de l’affaire, qu’ont fait les autorités ?
Les associations reprochent au ministère de la Santé d’avoir réagi trop tardivement, à la fin du mois d’août 2017, alors qu’une pétition lancée au mois de juin dénonçait déjà les effets secondaires de la nouvelle formule. Surtout, elles pointent du doigt l’attitude équivoque de l’Agence nationale de sécurité du médicament, qui dépend du ministère de la Santé. En septembre 2018, l’agence a invoqué la loi sur le secret des affaires, fraîchement validée, pour censurer un document apportant des précisions sur la nouvelle formule, a dénoncé Me Emmanuel Ludot, qui défend des dizaines de patients.
En parallèle, certaines associations dénoncent un conflit d’intérêts au sein de l’ANSM. D’après Les Jours (article payant), qui révèle l’information, la lettre de l’agence commandant la nouvelle formule du Levothyrox à Merck a été signée par Philippe Lechat, le directeur de l’évaluation des médicaments, qui a travaillé quelques années plus tôt pour le laboratoire allemand.
J’ai eu la flemme de tout lire, vous me faites un résumé ?
Depuis que le laboratoire allemand Merck a changé la formule du Levothyrox, un médicament contre les troubles de la thyroïde qui jouit d’un quasi-monopole en France, des dizaines de milliers de patients se sont plaints d’effets secondaires inquiétants, allant de l’extrême fatigue à un état dépressif, en passant par des vertiges. Regroupés en associations, les malades ont réclamé le retour de l’ancienne formule du médicament. Chose que les autorités publiques ont accepté que partiellement et temporairement.
Mais surtout, les patients – qui se disent victimes d’une « crise sanitaire » – réclament que la lumière soit faite sur la composition du médicament et sur les causes de leurs souffrances. Pour ça, ils ont intenté une procédure civile, jugée à partir du 3 décembre par le tribunal d’instance de Lyon, et une procédure pénale, qui est toujours en cours d’instruction.