Procès RoundUp : pourquoi son équivalent est difficile à imaginer en France

Procès RoundUp : pourquoi son équivalent est difficile à imaginer en France
Roundup (Illustration) ((Robyn Beck / AFP))

Une victime américaine du glyphosate a fait condamner Monsanto pour avoir contribué à son cancer. Une décision qui serait bien difficile à envisager chez nous

Vue de France, la justice américaine paraît souvent très imparfaite, mais elle fait montre quelquefois d’une célérité stupéfiante. Il n’aura en effet fallu que deux ans pour que le jardinier Dewayne « Lee » Johnson fasse reconnaître devant les tribunaux californiens que la firme Monsanto était à l’origine de son lymphome non hodgkinien (une forme de cancer) et la condamne à lui verser près de 300 millions de dollars.

Certes, la victoire de Johnson n’est pas gravée dans le marbre, Monsanto ayant fait appel. Mais la fulgurance judiciaire américaine contraste furieusement avec une affaire bien française assez similaire : l’interminable combat – onze années de procédures à ce jour – mené par le céréalier Paul François contre le Lasso, un herbicide de Monsanto aujourd’hui interdit, qu’il dit être à l’origine d’une lourde intoxication : plainte déposée en 2012, condamnation de Monsanto prononcée en 2012, appel et jugement en appel en 2015, pourvoi en cassation en 2017, renvoi en cour…

 Abîme

Paul François est encore de ce monde, mais il est hélas envisageable qu’il n’assiste jamais à l’issue de son procès, qui peut encore durer deux ou trois ans, peut-être davantage… et qu’il doit désormais faire financer par un appel aux dons auprès des internautes. Cet abîme entre les usages de la justice américaine et hexagonale exaspère François Veillerette, porte-parole de l’association Générations Futures, qui, depuis des années, publie des études sur la dangerosité des pesticides« La justice française est une machine à classer sans suite des affaires qui relèvent de la santé environnementale. C’est de plus en plus difficile à comprendre. »

Ce n’est pas que les tribunaux français refusent de condamner les firmes, pointe François Veillerette : c’est qu’elles n’instruisent même pas les procès. En 2016, Générations Futures et six ONG européennes ont ainsi déposé une plainte commune contre l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et contre les firmes agrochimiques qui ont réclamé et obtenu l’homologation de pesticides que l’ONG juge dangereux pour la santé.

« Nous voulions que soit reconnue la mise en danger d’autrui et la tromperie aggravée, explique le porte-parole. Il n’était pas compliqué de faire reconnaître que l’EFSA avait agi de manière trompeuse, car on sait que certaines de ses conclusions sur la supposée non-dangerosité du glyphosate sont un pur copié-collé des documents produits par Monsanto. »

Blocage culturel

Pourtant, la justice française a classé sans suite, pour des motifs de forme, la plainte de l’ONG. Qui, à la rentrée, va repartir de zéro et recommencer une procédure en croisant les doigts pour que cette fois, elle passe.

« Mais nos plaintes pour mise en danger d’autrui due à la pollution de l’air n’ont pas davantage abouti. Alors même que la France est critiquée par les instances européennes pour cette raison… »On ne sera pas surpris de cette difficulté à poursuivre au pays du non-procès de l’amiante, une procédure qui flotte de tribunaux en tribunaux depuis plusieurs décennies sur un produit dont la dangerosité a été établie après la Deuxième Guerre mondiale, qui est, rappelons-le, interdit depuis plus de vingt ans et qui a causé, de manière avérée, le trépas de plusieurs dizaines de milliers de Français. Pour François Veillerette, ce blocage est d’abord culturel :

« La justice française est bloquée sur des vieux schémas, qui l’empêchent de reconnaître la réalité des questions de santé environnementale [comment notre environnement, notre alimentation contribuent à affecter notre santé, NDLR]. C’est paradoxal, parce que les autorités françaises commencent, elles, à lancer des grands Plans nationaux santé environnement, incriminent la qualité de l’air, les perturbateurs endocriniens, etc. Mais il y a comme un barrage culturel avec le monde des tribunaux. »Un barrage qui s’appuie sur ce qu’on pourrait nommer un « idéalisme judiciaire », c’est-à-dire la recherche d’une preuve absolue de lien de cause à effet, doublée de la recherche d’un coupable unique et identifiable. Une recherche qui, évidemment, s’avère inextricable pour les questions de santé environnementale, car il est impossible de prouver que, par exemple, la pollution de l’air est la seule responsable de la mort de 7 millions prématurées de personnes sur la planète. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) désigne la pollution atmosphérique comme « facteur de risque majeur », mais elle n’exclut pas d’autres facteurs (cigarette, alimentation…).

Pragmatisme anglo-saxon

La cour de San Francisco qui, dans l’affaire Dewayne Johnson, a déclaré Monsanto coupable a procédé d’une manière qui semble encore inimaginable en France : d’abord, elle a hâté le procès pour qu’il puisse survenir – c’est prévu dans les textes californiens – avant la mort probable de la victime (supposée dans deux ans). Ensuite, elle a estimé que l’herbicide du géant de l’agrochimie avait « considérablement » contribué à la maladie du plaignant. « Considérablement » ne signifie pas « à 100% », pas plus aux Etats-Unis qu’en France. Mais le pragmatisme anglo-saxon a permis au responsable d’un scandale sanitaire d’être identifié et condamné. En France, il courrait toujours…

Arnaud Gonzague

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